$ANDWICH BLUES

Maxime Holliday

Le 20 février 2021, j’suis embarquée dans ma voiture pour aller visiter l’agence d’escortes la plus près de chez moi. J’étais pu capable de travailler en restauration pis j’avais besoin de plus de temps pour faire de la musique. Mais le loyer de mon 4 et demi allait pas se payer tout seul.

À l’agence d’escortes, les responsables étaient deux gars qui avaient vaguement l’air sur la peanut et les installations étaient dégueulasses. J’ai jasé avec les filles sur place en fumant des clopes dans la salle de lavage qui leur servait aussi de fumoir. Les gars m’ont dit que j’aurais pu commencer tout de suite pour essayer si je voulais mais j’avais pas de brassière pour me présenter aux clients, juste des bobettes, faique j’suis partie.

Après, je suis allée au salon de massages érotiques.1 Là, je me suis fait accueillir par une réceptionniste dans un hall d’entrée propre et bien décoré. J’ai tout de suite rempli le formulaire d’embauche parce que c’était clair que j’allais être mieux là qu’à l’autre place. Quand on commence dans le domaine, il faut se choisir un nom de travail. Jai voulu prendre le nom Jasmine à cause de La bEElLe PrIiinCEs$sE. Évidemment, y’avait déjà une fille qui travaillait-là qui s’appelait de même. Faique j’ai plutôt fait ma première affirmation genderfuck en me choisissant un nom de gars.  J’me suis aussi acheté une belle montre dorée pour pouvoir calculer facilement le temps des séances sans avoir à regarder l’heure au mur devant les clients. Un de mes amoureux de longue date a arrêté de me toucher quand je lui ai dit que j’avais commencé à vendre des services sexuels. Je pense qu’il se voulait critique et cynique en me disant que j’avais «trouvé ma voix» mais c’était quand même vrai. 

Les putes sont des sorcières puissantes, qu’elles soient au courant ou pas.

Dans la salle des employées, je rencontre des filles aux caractères plus grands que nature avec lesquelles je me sens privilégiée d’établir des liens de sororité. J’ai trouvé un clan. La patronne du salon porte une cicatrice en travers du visage, une marque laissée par son ex. Elle s’occupe de ses enfants et prend soin de son salon et de «ses filles» en même temps. Souvent, elle nous cuisine des petits plats qu’elle met au congélateur de la salle d’employées au coût de 5$. Le salon est bien tenu et elle nous donne une cote sur le prix de location de la salle que les clients paient. À la fin de notre shift on a juste à tiper la réceptionniste. Avec l’argent des extras en plus, quand je vais travailler de jour, je fais en moyenne 500$ par shift de 7h.  Quand le salon a dû fermer à cause de la pandémie et du couvre-feu, Nancy2, une collègue d’une trentaine d’années mon aînée m’a prise sous son aile pour aller travailler à l’hôtel avec elle. Elle avait l’expérience de ces choses-là. C’est qu’il faut savoir à quel hôtel aller pour pas se faire dénoncer par le staff, quelle application télécharger pour se faire un numéro de téléphone anonyme et sur quel site publier ses annonces. L’affaire c’est aussi que c’est plus sécuritaire et moins plate de travailler à deux.3 Finalement, j’y suis juste allée deux jours pis j’ai pas vraiment aimé ça. Je trouvais ça trop difficile de gérer moi-même de répondre aux appels et aux textos, considérant que le tiers provenait de gars qui voulaient juste nous faire perdre notre temps et/ou nous agresser verbalement. Dans les salons, la façade institutionnelle et les réceptionnistes nous épargnent ça. 


Toujours est-il que quand le salon a réouvert quelques semaines plus tard, Nancy n’y travaillait plus. J’ai appris par des collègues qu’elle s’était chicanée avec tout le monde et qu’elle est était virée parano. Elle pensait que j’étais une police undercover parce que j’étais pas restée travailler avec elle à l’hôtel. 

Je comprenais un peu pourquoi quand même. Comparée à elle, j’étais straight en tabarnak. Je consomme jamais sua job, j’suis presque tout l’temps ben tranquille dans mon coin à travailler sur mon ordi pis je viens visiblement pas du même background social que Nancy. Les filles étaient crampées qu’elle aille pensé ça parce que j’aurais été une police flyée en criss et très dévouée mettons. Ça nous a bien fait rire mais moi un peu jaune quand même.

J’habite seule et je paye mon loyer, internet, hydro, le gaz, des assurances, ma voiture, ma nourriture et celle de mon chat. J’autoproduis ma musique. Je fais du sport. J’ai le temps d’investir chacune de mes priorités. Je suis maintenant engagée dans une relation amoureuse saine et dynamique avec une personne merveilleuse. Je sors avec une perle rare et sur mes mains sont tatouées des huitres. Au creux de mes paumes, comme un trésor précieux, je trace souvent son nom et celui de nos amant·e·s. 

Des fois, j’ai peur que les clients soient dégoûtés par mon poil de jambes ou d’aisselle -que je rase pas- et virent agressifs. Mais je pense que souvent ils le voient même pas. Et je pense aussi que des fois, ils trouvent ça beau. Dans tous les cas, je porte mes poils activement, doux accessoires de la révolution de nos corps qui commence dans la chambre à coucher.

Septembre 2021; suite à mon déménagement, j’ai commencé à travailler dans un nouveau salon à Montréal. Le propriétaire est fucké raide. L’achalandage est correct. Ici, on doit faire le lavage nous-même et on paye une cote de 10$ par client pour louer notre salle. Grande fille de la petite ville a changé de game.

« Travailler c’est faire la pute
Faire la pute c’est travailler »

J’ai écrit une lettre à ma mère pour lui parler de mon travail. On a toujours été super proches et on avait une excellente relation. Je pensais que ça nous rapprocherait encore plus. Qu’elle serait fière d’avoir une fille ayant la relation assez à cœur pour passer par-dessus la peur et le stigma social et lui confier son secret. Qu’elle trouverait ça intense mais qu’elle poserait des questions et qu’elle me ferait confiance malgré tout. Mais sa réaction a plutôt été le pire scénario que j’aurais pu m’imaginer. Elle a paniqué. Elle m’a demandé d’arrêter tout de suite en essayant de me virer du cash. En fait elle a tellement capoté que je soupçonne qu’elle ou une de ses amies proche a déjà eu une expérience traumatique par rapport au travail du sexe. Malgré ma patience et mes tentatives de rectifier la situation, elle a cessé de m’entendre et de me voir. Ne reste que le jugement et l’angoisse. Après plusieurs mois, elle est toujours aussi bloquée et je regrette de m’être ouverte car il m’est atrocement pénible de porter toute la honte et la douleur de ma propre mère. De sentir que son support peut être conditionnel. Un impact difficile. Je suis fragilisée. 

Une fois, je suis allée avec une amie travailler deux jours dans un bar à gaffe4 dans un trou perdu. Les monsieurs là-bas avaient des moustaches pis sentaient le p’tit lait ou le fumier. C’était des cultivateurs pas ben riches, qui se mettaient le plus beau qui pouvaient pour aller voir les filles de Montréal en visite. Raymond5 savait que j’allais venir cette semaine-là et m’a amené des boucles d’oreilles en cadeau mais il a jamais voulu qu’on aille à la chambre pour acheter mes services. On dirait que y’était juste vraiment content qu’une nouvelle personne se rende jusque-là pis voulait se sentir comme un provider pour une belle fille ça l’air.  J’suis repartie de d’là brûlée avec 2000$ et le sentiment doux-amer d’avoir eu un accès privilégié au cœur d’une petite communauté rurale isolée, émouvante de manière aussi tragique que pathétique.

Le 26 novembre 2021, je prends le métro vers une station que j’connais pas pour aller faire un shift dans un stripclub au centre-ville. J’me trouve ben brave pis y’a de quoi. C’est la première fois de ma vie que je vais rentrer dans un bar de danseuses pis c’est pour y travailler. Comme d’habitude dans le milieu, j’ai appris comment faire sur le tas en regardant les autres faire et avec quelques conseils d’une jeune ben fière de me montrer ce qu’elle savait. Le patron était tellement agressif et méprisant qu’en partant, à 3h du matin, je savais que j’y retournerais jamais.

Plus d’un an plus tard, je rencontre une fille qui me raconte qu’elle a déjà travaillé à ce bar-là. Pis qu’un soir qu’elle travaillait et qu’elle était pu capable de bouger parce qu’elle s’était fait mettre de la drogue dans son verre, ce même boss-là avait ordonné à une autre danseuse de la sortir dans la ruelle avec toutes ses affaires. La collègue en question avait refusé et décidé de l’amener elle-même à l’hôpital avec sa voiture. Le patron les a renvoyé les deux on the spot. Le bar c’est le Wanda’s, soyez prudent·e·s les babes.

Depuis que j’habite à Montréal, je m’implique dans un groupe militant autogéré par et pour les travailleuses du sexe. J’y trouve solidarité, colère, amour et intelligence. Courage, dignité et bienveillance. 

L’énergie sexuelle qui m’habite est un feu immuable qui ne demande que peu de moyens. 

Un feu qui rugit et soigne. 

J’éduque et je maudis. 

Je jette des sorts de toutes sortes. Je suis une good witch et une bad witch

Boy, fais-moi un $andwich.

Après avoir appris dans un livre militant que, pour éviter de se faire accuser de «tenu de bordel», un propriétaire de logement pouvait décider d’évincer sa locataire s’il la soupçonnait d’être travailleuse du sexe, je me suis sentie super unsafe chez moi pendant une bonne semaine. Je me suis sentie inférieure et fragile. M’imaginer perdre ma maison, mon balcon sur lequel je prends mon café le matin, les petits oiseaux dans la vigne. Devoir recommencer, seule et dépossédée. Le pire scénario possible. 

Je vais arriver flush à la manif. Je me suis arrêtée pour imprimer mon discours à la papeterie. Je vais m’en vais animer une manifestation pour la première fois de ma vie. On va marcher pour montrer qu’on existe et surtout pour crier qu’on veut des putains de droits. Qu’on veille les unes sur les autres. On va marcher, pis on va danser pis on va crier, pour nous pis surtout pour celles qui sont trop dans marde pour pouvoir faire toute ça.

Ces temps-ci quand je vais danser c’est en région. À Montréal je trouve les bars trop huppés pis ça m’écœure. Ça me tente pas de jouer la game du luxe pis anyway j’ai pas le casting ça l’air. J’ai appliqué à deux places mais les boss me rappellent pas. Finalement, j’suis rentrée au Cléo direct même si les danses sont à 10$6 parce je peux arriver pis partir quand je veux. Je vois quand même de la diversité dans le staff donc je suppose (I wish) que la gestion est moins raciste pis grossophobe qu’ailleurs. 

Mes meilleures chansons
pour strip :
M.I.A- Bad Girls
Ciara- Body Party
Troy Boy- Do you?
Rihanna- Sex with me
Beyoncé- Naughty girl
Future- Mask Off
Nathy Peluso- Delito 

J’ai quitté le salon où je travaillais depuis mon déménagement parce que le boss était trop toxique et ça commençait à me tirer trop de jus. Yannick Chicouane, si tu lis ça, sache que toutes tes masseuses, présentes et passées t’haïssent et complotent pour te planter. T’es un pervers narcissique manipulateur de la pire espèce. Un proxénète de marde, un abuseur dangereux. Je te maudis toi et tous les hommes qui exploitez le pouvoir sexuel des femmes pour vous enrichir. Criss de looser. Criss de lâche. J’écoute du Lingua Ignota et j’allume des chandelles de malheur dans ta direction. Si j’te pogne, j’te mange. 

« Je suis payée pour vous mentir mais je dis souvent la vérité. »
Jiz Lee

Janvier 2023. J’ai décidé d’aller à l’école pour devenir sexologue. La première étape c’était de faire des cours de base du collégial que j’avais pas fait parce que j’ai étudié en arts. J’ai trouvé un nouveau salon où travailler. C’était la seule place qui engageait quand je cherchais à ce temps-ci de l’année. C’est handjob seulement. Pas de fellation, pas de pénétration; pas de clients, pas de cash. J’y vais surtout pour étudier pis voir la réceptionniste que j’adore. Si j’suis chanceuse je fais un ou deux clients pis je sors de là avec 200$ cash.

Un soir au bar, un client est parti en courant pour pas payer ma collègue à qui il devait de l’argent. J’ai essayé de l’arrêter en me mettant entre lui et la porte faique il m’a rentré dedans pis j’me suis étiré un ligament dans le genou. Y’avait un bouncer. Y’avait des polices. Les bouncers pis la police servent à rien. Dans ce métier, on a pas le choix de se faire notre propre justice.

Août 2023. J’ai les genoux scrappes d’un été en talons hauts mais ben du cash de côté dans une petite boîte en bois pour commencer mon parcours universitaire du bon pied. Je suis partie dans un chalet toute seule pendant 4 jours pour me ressourcer avant l’école. J’ai trouvé ça difficile d’arrêter de travailler parce que le travail du sexe fait comme partie de mon identité maintenant. Je porte les anneaux dorés que Raymond m’a donné presque tous les jours. Je les ai même prêté à ma mère l’autre jour quand on a pris des photos de famille parce qu’elle les trouvait beaux.

En sortant de l’eau du lac tantôt, j’ai remarqué que ma montre avait pris l’eau. Tsé la belle montre que je m’étais acheté y’a trois ans quand j’ai commencé. La lumière fonctionne encore mais les chiffres ont complètement disparu de l’écran. J’me demande si j’devrais le prendre comme un signe qu’il faut que je prenne une pause. Le temps de me magasiner une nouvelle montre qui ornera mon corps à la hauteur de tout ce qu’il a apprit dans les trois dernières années.

Partition : Every Day Blues, Miroslav Loncar

1. Pour celleux qui savent pas, la différence entre un salon de massage et une agence d’escorte c’est qu’en salon, les filles se déplacent pas. Aussi, quand tu travailles en agence, le prix de base inclut une fellation (pis dans la majorité des agences, à Montréal en tout cas, ils t’engagent même pas si tu acceptes pas de faire tes fellations sans condom) et de la pénétration. En salon de massage, la seule affaire qui est inclut d’office dans le service que le client paye à l’accueil, c’est un massage et une masturbation manuelle. Tout le reste, c’est en extra, à la discrétion de la fille.  ↩

2. Pas son vrai nom. Ni son nom de travail. Un nom inventé pour le zine. ↩

3. Just sayin’ pour celleux qui pensent que le modèle légal concernant la prostitution en vigueur actuellement au Canada (le modèle Nordique; aussi en vigueur en Suède, en Norvège et en Irlande) est bon pour les travailleuses du sexe parce que la vente de service sexuelle est pas criminalisée, détrompez-vous. Toutes les autres affaires relatives, qui elles sont criminalisées, font en sorte notamment que travailler en équipe, que ce soit de manière indépendante avec une ou plusieurs collègues ou en salon, ça peut être considéré comme du proxénétisme et de la tenue de bordel par la police. Pis ça tu peux te faire accuser, arrêter et judiciariser pour. ↩

4. Un bar de danseuses où les filles peuvent faire des extras, allant du touche-pipi en cabine au full service dans une chambre de motel adjacente au bar. ↩

5. Pas son vrai nom. ↩

6. C’est qu’il faut savoir que d’habitude c’est 20$. Ça peut valoir la peine d’aller jusqu’à Rimouski pour enlever ses bobettes. ↩