Ne nous sauvez pas, on s’en charge!

Réponse à Lorraine Questiaux, avocate et militante pour l’abolition de la prostitution

Par Adore Goldman, Melina May et Cherry Blue

Contre-manifestation abolition prostitution sex work travail du sexe

Le 3 juin dernier marquait la fin du 4e Congrès mondial pour mettre fin à l’exploitation sexuelle des femmes et des filles à Montréal. C’est pour parlé de ce congrès que Lorraine Questiaux, avocate et militante féministe française, était invité à parlé à Tout un matin sur les ondes de Radio-Canada.1 Questionnée sur la contre-manifestation organisée par le CATS, elle a déclaré que nous nous tenions du côté des oppresseurs et soutenions un discours réactionnaire et libéral. Devant de telles grossièretés, nous tenons à rétablir les faits et rappeler les revendications du CATS auxquelles visiblement Questiaux ne s’est pas attardée.

Le Congrès se tenait du 1er au 3 juin à Montréal, et était organisé par plusieurs organisations locales dont la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelles (CLES). Cette dernière est connue pour ses campagnes annuelles entourant le Grand Prix de Montréal qui revendiquent, avec succès, davantage d’intervention policière dans l’industrie du sexe. 2

La programmation de la fin de semaine était choquante. Au programme, un atelier sur l’importance de la collaboration entre les ONG et les forces de l’ordre et une prise de parole de Julie Bindell, écrivaine et journaliste britannique notoire pour ses positions transphobes. Le 1er juin, l’ONG SPACE international et la Coalition Abolition Prostitution, qui chapeaute l’organisation du Congrès, ont appelé à une manifestation. En réponse, le CATS a organisé une contre-manifestation. Plus d’une cinquantaine de personnes ont répondu à l’appel, contrairement à ce que prétend moqueusement Questiaux, qui a dit en onde que nous n’étions que quatre ou cinq.

Comme on peut voir, les prohibitionnistes ont été choquées qu’on ne les laisse pas défiler à Montréal sans rien dire. Questionnée sur notre contre-manifestation, Lorraine Questiaux répond que:

le patronat a toujours trouvé ce qu’on appelle «les jaunes», des personnes pour dire qu’elles étaient libres d’accepter des conditions d’oppression quelles qu’elles soient, et dans le système patriarcal, c’est la même chose. On parle d’inceste heureux. D’ailleurs les hommes violeurs dans toutes les affaires, toutes les procédures, disent que les femmes sont consentantes. Le consentement des victimes, c’est la base idéologique de l’oppression. Il n’y a pas d’oppression possible sans la collaboration active des opprimés et une certaine partie des opprimés qui parlent, qui se mettent du côté des oppresseurs et qui les défendent. Ça a toujours été le cas et donc ce n’est absolument pas surprenant que ce discours libéral et ce discours réactionnaire nous soit opposé. 

Qu’est-ce qui pousse la juriste à s’emporter ainsi si ce n’est la constatation que le discours féministe carcéral n’a plus le vent dans les voiles? Car derrière ses prétentions radicales se cache effectivement un appel à plus de police dans nos milieux de travail et davantage de surveillance aux frontières.

En se rabaissant à nous traiter d’apologiste du viol, elle oublie que nous partageons avec le camp d’en face l’expérience commune de la violence dans l’industrie du sexe. Si nous ne l’avons pas vécu nous-mêmes, nous en avons été témoins auprès de nos collègues. C’est précisément pour cette raison que le CATS existe!

Car non, notre comité n’est pas un syndicat jaune qui collabore avec le pouvoir. Il faut rétablir les faits: c’est nous qui nous battons contre le modèle en vigueur depuis 10 ans au Canada. Loin d’abolir les violences patriarcales, ces lois criminalisent le fait de travailler à plusieurs pour assurer notre sécurité et accroient la présence policière sur nos milieux de travail. Cette présence policière est néfaste pour les travailleur.se.s du sexe  déjà criminalisé.e.s, comme celleux qui consomment des drogues. Rappelons également que la loi en vigueur interdit aux travailleur.se.s migrant.e.s de travailler dans l’industrie du sexe, sous peine de déportation, ce qui arrive régulièrement.3 Donc, s’il y a bien quelqu’un qui collabore avec l’État patriarcal, capitaliste et colonial, ce sont les abolos en faisant appel à l’intervention de son bras armé.

Bien entendu, Questiaux n’a pas daigné s’attarder à notre argumentaire, puisque nous ne faisons pas partie des happy hookers auxquelles elle veut nous associer. Le CATS est un comité de travailleur.se.s qui s’organisent entre travailleur.se.s pour de meilleures conditions de travail et donc, contre les violences. Nous ne nions pas que le travail du sexe vient avec son lot d’exploitation. Seulement, nous disons que c’est le cas dans toutes les autres industries. Notre désaccord est sur les moyens de lutter contre la violence et non pas sur l’existence ou la banalité de celle-ci!

Nous pensons que seule l’organisation sur les milieux de travail peut venir à bout de cette violence. En créant des syndicats, nous pouvons prendre en charge nous même notre sécurité et nos conditions de travail. La décriminalisation est le système légal qui faciliterait le plus notre organisation et nous donnerait accès aux protections minimales auxquelles ont droits tou.te.s les travailleur.se.s Nous le répétons encore une fois, nous n’avons pas besoin de la police ni de l’État pour nous défendre!

Ne nous sauvez pas, on s’en charge!

1. Tout un matin. (2024). « Entrevue avec Lorraine Questiaux, avocate et militante féministe »

2. Daniel Renaud, Erika Bisaillon. (2022). «Le SPVM aura les clients et les proxénètes à l’oeil pendant le grand prix», La Presse.
En 2019, lors du Grand Prix de Formule 1, des policiers ont opéré une descente au Café Cléopâtre pour interroger les danseuses présentes. Au cours de leur intervention, ils ont pris des photos des tatouages des TDS pour supposément avoir des moyens d’identification si jamais elles étaient retrouvées mortes.

3. Lila Dussault. (2024). «Ces travailleuses du sexe qui risquent l’expulsion», La Presse