Enquête: les conditions de travail dans les strip clubs montréalais

Enquête: les conditions de travail dans les strip clubs montréalais

par Cherry Blue

Sac et manteau par fashion freak designs, modèle: Luna Sebbar, photo par Carol Ribeiro

Je danse depuis maintenant trois ans, principalement à Montréal, et j’ai pu constater que les représentations collectives ne collaient pas souvent aux réalités de ce travail ou qu’elles ne s’intéressaient pas aux enjeux les plus importants. Alors que beaucoup sont obnubilés par la dynamique clients/danseuses, les abus de pouvoir les plus manifestes se situent généralement ailleurs. Suite à l’enquête militante du CATS par rapport aux conditions de travail des TDS dans les salons de massage, je me suis dit qu’il pourrait être pertinent de faire de même pour les strip clubs. J’ai ainsi eu le plaisir d’interviewer quelques danseuses montréalaises – Delilah, Dua et Cleo – qui ont évoqué des réalités de l’industrie et élaboré des pistes de réflexion pertinentes quant à leurs expériences. Cet article propose un melting pot de leurs commentaires, parfois divergents, mais souvent similaires dans leurs propos. 

Sécurité, management & saturation du milieu

La plupart des danseuses interviewées avaient en commun d’avoir commencé à danser par besoin économique, car les milieux artistiques ou celui de la restauration n’étaient pas assez payants et trop exigeants. L’une d’elle a précisé qu’elle avait toujours voulu danser, qu’il s’agissait d’un rêve qui remonte à l’enfance. Elles sont toutes d’accord pour dire qu’il s’agit du travail le plus satisfaisant dans l’éventail des possibles en termes de temps et d’énergie dépensés pour le revenu obtenu. Néanmoins, comme pour toustes les TDS, l’absence de régulation les impacte; aucune protection n’est offerte en cas de maladie ou de blessure. Delilah précise qu’il s’agit d’un travail super épuisant, notamment à cause des talons et du pole:

Il y a tellement de façons de se blesser et de se mettre en danger. Je dois faire attention à mon énergie et ne pas booker trop de soirées. En général, les clubs nous permettent d’être malade et de sauter un shift, mais certains sont vraiment stricts et demandent de prouver qu’on est malade, sinon ils nous barrent. Quelques managers nous mettent de la pression pour travailler beaucoup de shifts par semaine, et d’autres sont indifférents. En général, les clubs stricts sont ceux qui sont les plus «classes» et chers.

Plusieurs ont aussi mentionné que des danseuses sont parfois renvoyées pour des raisons ridicules et le management leur manque souvent de respect. Dua raconte qu’une de ses collègues s’est fait renvoyer parce qu’elle a répliqué à un client qui lui a fait une remarque raciste. Elles ont aussi toutes parlé des conditions hygiéniques relativement basses dans les clubs. Mais surtout, les interviewées remarquent que les managers et la sécurité ne sont généralement pas là pour les protéger en cas de besoin. Cleo décrit son expérience: «Dans certains clubs, même si je crie dans les cabines, ils ne m’entendent pas ou ne s’en soucient pas. Ils expulsent les clients qui n’achètent pas de boisson, mais pour les danses, on est en quelque sorte notre propre patron». Sauf exception, la direction fait très peu si le client ne respecte pas les limites des danseuses ou ne veut pas les payer. Il y a des réguliers irrespectueux avec elles qui dépensent beaucoup au bar, et c’est tout ce qui compte pour le club, leur propre argent.

Quand je leur ai demandé si leur expérience variait beaucoup d’un club à l’autre, on m’a répondu que les clients sont presque toujours similaires, good or bad, mais les différences se situent au niveau de la direction. Les managers abusent de leur pouvoir, déshumanisent et dévalorisent leurs employées. Certaines ont été licenciées pour avoir enfreint une règle ou pour des raisons obscures, et ce, sans aucun avertissement. Les changements de règles semblent aussi être des abus de pouvoir de la part de la direction; ils n’ont généralement aucun sens. Par exemple, l’un des clubs a enlevé les rideaux des cabines depuis la COVID-19 et ne les a jamais remis; ça affecte le club et l’argent des danseuses sans raison apparente. Un autre club demande maintenant de se booker plus de deux mois à l’avance, alors que tous les autres clubs demandent seulement de donner son horaire une semaine avant. La direction semble donc abusive partout selon les témoignages, mais avec des différences de degré à chaque endroit. Cleo précise qu’elle est contente d’avoir commencé à danser à 25 ans, car elle sait comment affirmer ses limites, et ne pas perdre son temps. Elle voit les managers abuser des filles de 18 ans, flirter davantage avec elles, en leur mettant plus de pression. Elle m’a aussi parlé des DJs et du problème de l’interruption des danses privées pour monter sur scène à des moments aléatoires: «Dans un seul club à Montréal, le DJ fait son travail, en attendant que les filles soient disponibles pour leur stage, mais dans tous les autres, on peut toujours perdre de l’argent pendant qu’on est dans les cabines parce qu’il nous appelle, et ça tue l’ambiance pour les clients, donc la danse s’arrête là». 

Toutes les danseuses interviewées ont remarqué davantage de solidarité entre les danseuses, en précisant que ce phénomène est mal représenté dans la culture populaire. L’une d’elle a dit que son club pourrait être susceptible de se syndiquer. Une autre a remarqué que «plus le club est petit, plus une solidarité se tisse, mais les plus gros clubs peuvent être brutaux et compétitifs. La rivalité s’explique par le fait que c’est un travail hautement compétitif. Mais en général, j’ai observé plus d’entraide que de concurrence». Je leur ai aussi demandé si cette bienveillance semblait s’étendre aux autres milieux de travail du sexe, et ça semblait variable. Certaines de leurs collègues sont fières de dire qu’elles ne font pas «plus» que danser, desservant le fameux «je ne suis pas ce genre de fille». Delilah remarque cependant que le milieu semble changer avec le temps: «les jeunes filles avec qui je travaille font plus de full service que les plus âgées, la culture devient plus ouverte dans ce sens. C’est peut-être l’attitude qui change à ce sujet, mais c’est aussi peut-être un problème de récession; c’est de plus en plus difficile de gagner de l’argent en tant que danseuse». Il y a aussi beaucoup de danseuses qui pratiquent d’autres formes de travail du sexe, mais qui le cachent au strip club. De la part des clients, elles sont bien sûr exposées à de multiples jugements, entre ceux qui les critiquent moralement et d’autres qui demandent systématiquement pour du full service alors qu’ils sont dans un strip club, où c’est généralement interdit. 

Malgré les conditions de travail parfois difficiles, toutes les interviewées semblent dire que l’intérêt de travailler dans les clubs augmente: de plus en plus de filles veulent danser. Aussi, les clubs bookent toujours davantage de filles chaque soir. On a parlé de l’hyper saturation qui serait survenue suite à une popularisation du statut de danseuse par les médias sociaux, notamment par la multiplication des pole dancers – qu’iels soient strippers ou non. Il y aurait également de moins en moins de stigma chez les jeunes.  Ainsi, le milieu est plus contingenté; de moins en moins de filles peuvent être «sélectionnées» pour danser, ce qui renforce conséquemment les injustices dans l’accès aux clubs. Delilah remarque qu’il y a  «beaucoup de grossophobie, d’âgisme, de racisme et de transphobie dans l’industrie, en particulier dans les strip clubs. J’aimerais qu’il y ait au moins un club trans-friendly». 

 

Gestion du stigma et perspectives d’avenir

Les interviewées ne sont généralement pas out auprès de leur famille ou de leurs collègues dans leurs autres milieux de travail. Elles parlent de stripping aux personnes ouvertes au travail du sexe. En dehors de cette bulle, les gens sont choqués ou fascinés. Cleo explique:  «Parfois, je suis d’humeur à expliquer mon travail, parfois non. C’est difficile avec les gars que j’essaie de fréquenter, ils me disent “ouh, tu es donc une naughty girl”». Certaines ont aussi parlé de la diminution de leurs envies sexuelles, attribuant moins d’intérêt à l’érotisme. Une danseuse précise qu’il s’agit aussi d’une question d’hygiène, car elle développe des mycoses si elle fait trop de lap dance, donc ça la désintéresse du sexe. Un autre point mentionné est la difficulté psychologique à maintenir une relation avec un homme lorsqu’on est TDS: «C’est facile d’être dans une relation toxique, car ils deviennent jaloux ou ils ne nous respectent pas pleinement, même s’ils disent parfois le contraire». 

Quant à leur situation financière, certaines économisent ou font des études en vue de l’après travail du sexe, et d’autres voient au jour le jour. Elles ont toutes en commun d’avoir des projets personnels en dehors du stripping. L’une d’elles explique: «Beaucoup de filles dépensent tout leur argent. J’essaie d’économiser, mais je me blesse constamment ou j’ai besoin de soins, donc ce n’est pas facile». Une autre dit préférer mettre de l’énergie dans la résistance collective plutôt que de travailler le plus possible pour s’assurer un avenir financier stable.

Vers l’organisation politique du strip club

Finalement, je leur ai demandé quelle était leur position quant à la décriminalisation du travail du sexe. Elles étaient toutes favorables à la décriminalisation afin d’accéder à des droits du travail plus stables. Cependant, l’une d’elles a mis sur la table un questionnement supplémentaire: 

En principe, je crois à la décriminalisation, mais en pratique, je ne suis pas sûre. En fin de compte, ce serait une bonne chose pour la sécurité de toutes, mais ça enlèverait certains aspects que j’aime dans ce travail. Le travail du sexe est un travail, mais ce n’est pas un emploi, ça se passe en dehors des normes professionnelles, et j’ai des problèmes d’engagement, je ne veux pas de patron, je peux choisir quand je veux travailler, et cette réalité clandestine me convient. Je suis heureuse de ne pas payer d’impôts et de ne pas financer le budget militaire insensé du gouvernement. Je crains aussi que la direction prenne une plus grosse part de notre revenu. Je pense que le fait que les strip clubs ne soient pas réglementés joue en notre faveur par rapport à ce qu’on gagne. Ceci dit, peut-être que la possibilité de créer un syndicat fort nous aiderait. Je comprends aussi que j’ai le privilège d’avoir d’autres options, donc la décriminalisation créerait probablement un espace plus sûr pour les plus marginalisé.es.

Une autre danseuse est aussi d’avis qu’on finirait peut-être par gagner un peu moins, mais qu’on pourrait aussi accéder au chômage et aux congés de maladie, ce qui vaudrait la peine au final. En comparant notre réalité montréalaise avec les strip clubs en dehors du Québec, elle affirme que nous avons actuellement beaucoup de chance: «C’est le seul endroit au monde que je connaisse où ils ne prennent pas un pourcentage de notre argent, seulement un service bar, entre 20 et 60$. On est vraiment privilégiées à ce niveau». Ceci dit, elle précise que nous avons besoin de droits et de sécurité, et que la décriminalisation est la seule voie. La route peut être longue, comporter des hauts et des bas, mais un avenir meilleur pour les danseuses, conciliant un salaire avantageux et de meilleures conditions de travail, semble possible pourvu que nous nous organisions. Deux strip clubs aux États-Unis ont déjà réussi à se syndiquer. Les strippers du Star Garden à LA, suite à un an et demi de grève, ont articulé des demandes couvrant les cuts du bar, la liberté d’horaire, l’abolition des services bar, l’encadrement par rapport aux renvois et une meilleure protection face aux clients. «Nous nous sommes battues pour ça, nous avons travaillé pour ça, nous avons pleuré pour ça! Nous avons fait l’histoire»1, affirme l’une de ces danseuses. Il n’est donc pas déraisonnable d’y croire. 

1. Traduction libre de «We fought for it, we worked for it, we bled for it, we cried for it. We made history». Emma Alabaster et Natalie Chudnovsky. (2024). What happened after the nation’s only unionized strip club reopened in North Hollywood — 6 months later, récupéré de https://laist.com/news/arts-and-entertainment/the-nations-only-unionized-strip-club-reopens-in-north-hollywood ↩

Enquête militante en salon de massage: collectiviser nos résistances

Enquête militante en salon de massage: collectiviser nos résistances

Entrevues par Adore Goldman, Melina May et Susie Showers

Rédaction de l’analyse par Adore Goldman et Melina May

Photos par Imara

En tant que mouvement, nous avons trop souvent tu nos mauvaises conditions de travail par peur que les prohibitionnistes ne se les approprient pour nous priver de notre agentivité et nous décrédibiliser. Ce n’est pas pour autant que nous n’avons pas résisté quotidiennement: dans les milieux de travail comme à la maison, nous mettons en place des tactiques pour lutter contre les abus, les violences ou tout simplement, les emmerdements quotidiens.

 

Cette année, le Comité autonome du travail du sexe (CATS) a entrepris une enquête militante en salon de massage afin d’y documenter les conditions de travail. Nous avons réalisé 14 entrevues avec des masseuse.rs ayant travaillé principalement à Montréal. Ce procédé avait pour objectif de comprendre les tactiques mises en place par les travailleuse.rs pour résister aux abus sur leur milieu de travail, puis de transformer cette analyse en stratégies d’offensive collective. 

 

Notre initiative s’inspire de la tradition des enquêtes ouvrières. Elle allie à la fois la production de connaissances et l’organisation politique. Nous n’avons aucune prétention à l’objectivité scientifique. Au contraire, nous prenons sciemment le côté de nos collègues dans notre démarche puisqu’elle se veut aussi une démarche d’organisation collective dans nos milieux de travail. Il s’agit d’une pratique de co-recherche où le savoir est créé «d’en bas».

 

Avant de poursuivre avec l’analyse des informations récoltées lors de l’enquête, il serait judicieux de se situer en tant qu’enquêteurices. Les personnes qui ont élaboré ce projet viennent de différents milieux de travail. Bien que certain.es d’entre nous aient déjà été masseuse.rs, nous ne travaillons pas dans ce milieu actuellement. Nous sommes escortes indépendantes et nous avons toustes de l’expérience dans des milieux avec un patron, soit en strip club ou en salon. Cette analyse et les propositions d’organisation amenées en conclusion sont le fruit de nos discussions avec les masseuse.rs dans le cadre de cette enquête et de notre expérience dans l’industrie du sexe. Nous espérons que ces idées puissent servir de point de départ à des discussions plus larges sur l’organisation des TDS. 

Composition sociale

La première partie de l’enquête militante adressait l’entrée dans l’industrie du sexe, les motivations des participant.es à y travailler et à occuper un second emploi. 


Entrée dans l’industrie du sexe 


Dans les raisons d’entrer dans l’industrie du sexe évoquées par les TDS interrogé.es, une constante ressort: les besoins économiques sont centraux. Plusieurs d’entre iels ont mentionné.es être aux études à temps plein ou vouloir quitter un emploi à salaire minimum, notamment en service et en restauration, pour gagner plus d’argent en moins de temps. Quelques-un.es ont nommé avoir été introduit au milieu par un.e ami.e qui travaillait déjà dans l’industrie.


Pour d’autres, ce sont des situations de précarité fragilisantes qui les ont poussé.es à choisir le travail du sexe. Un.e des participant.es nous a témoigné avoir une contrainte sévère à l’emploi qui l’empêche d’occuper un emploi à temps plein. L’aide sociale ne pouvant pas répondre à ses besoins de base compte tenu de la hausse du coût de la vie, commencer le travail du sexe a été un soulagement à sa détresse financière. Pour une autre personne, c’est son statut précaire d’immigration qui l’a encouragé à choisir un emploi qu’elle pouvait occuper sans papier et qui lui permettait de payer les frais associés à la régularisation de son statut au Canada. Une personne a aussi mentionné vouloir se sortir d'une relation abusive.


Pour près de la moitié des participant.es, le milieu d’entrée dans l’industrie du sexe a été les salons de massage. Mais plusieurs n’y sont pas resté.es: face aux abus en salon de massage, beaucoup vont prendre la voie du travail indépendant pour améliorer leurs conditions de travail ainsi que leurs revenus. C’est un parcours récurrent dans l’industrie, que ce soit par choix ou parce qu’un patron nous renvoie suite à un conflit; l’idée de prendre en main l’organisation de son travail (horaire, tarifs, conditions, etc.) est séduisante pour plusieurs. 

Travail du sexe et précariat

 

L’expérience des travailleuse.rs interrogé.es est loin de la vie glamour projetée dans certaines représentations populaires du travail du sexe. La réalité est plus complexe. S’il s’agit certainement d’une façon d’améliorer ses conditions économiques, les TDS combinent souvent plusieurs sources de revenus pour arriver à un niveau de vie qu’iels considèrent décent. Leurs revenus demeurent instables et précaires.

 

En effet, plusieurs répondant.es ont mentionné qu’il était difficile d’estimer leurs revenus, car ceux-ci variaient énormément d’un mois à l’autre. Les travailleuse.rs vont donc multiplier les hustles. Il n’est pas rare qu’iels combinent le travail en salon de massage avec leur travail d’escorte indépendante, le stripping, le camming ou la production de contenu sexuel en ligne comme OnlyFans.

 

La moitié des répondant.es ont aussi affirmé avoir un autre emploi hors de l’industrie du sexe. Ces emplois étaient dans des domaines variés: santé, culture, recherche, agriculture. Plusieurs ont aussi déclaré être aux études et certain.es recevaient des prêts et bourses. Une personne avait aussi des revenus d’aide sociale avec contrainte sévère à l’emploi. Le travail du sexe est ainsi une façon de pallier des revenus insuffisants pour vivre dignement.

Toutefois, la précarité vient avec l’avantage de la flexibilité. C’est ce qu’une masseuse rapportait: malgré les conditions de travail difficiles en salon de massage et le fait de ne pas avoir de revenus stables, l’argent rapide et les horaires flexibles font que le jeu en vaut la chandelle. Cet élément est important à garder en tête dans nos luttes. En effet, cette liberté est recherchée par de plus en plus de travailleuse.rs à notre époque. On peut y voir une aspiration à davantage de temps libre et à une réduction du temps de travail. Cela permet de comprendre l’attrait du travail en salon de massage et du travail du sexe en général. Garder cette flexibilité doit être au coeur de nos revendications, car c’est un avantage que les travailleuse.rs ne veulent pas perdre.

Conditions de travail

Cette partie de l’analyse se veut l’occasion de réfléchir à l’organisation du travail dans les salons de massage: comment se divise-t-il? Quelles sont les dynamiques de pouvoir? Nous avons également questionné les participant.es sur leur expérience quant aux conditions de travail. Les enjeux principaux étaient liés à la salubrité et aux violences.  

L’organisation du travail:

 

Le patron:

 

Les patron.nes des salons de massage sont des hommes, des femmes et, dans un cas, une personne queer. Les patronnes sont souvent d’anciennes masseuses ou d’anciennes secrétaires.

 

Iels sont souvent décrit.es par les masseuse.rs comme des personnes abusives, narcissiques et invalidantes. À ce niveau, il n’y a pas vraiment de différence significative entre les hommes et les femmes, bien que ces dernières aient un côté maternant selon les personnes interrogées. Iels sont souvent décrit.es comme des personnes manipulatrices, qui jouent des games psychologiques pour tirer avantage de leurs employé.es. Dans plusieurs cas, les patron.nes ont eu des commentaires dénigrants envers les masseuse.rs sur leur apparence physique, leur grosseur ou ont eu des propos racistes. Une autre plainte fréquente est que les patron.nes prennent le côté des clients plutôt que celui de leurs travailleuse.rs en cas de violence. Également, dans au moins deux salons de massage, l’employeur avait des relations sexuelles avec des masseuses, causant des dynamiques de pouvoir et d’abus. Les masseuse.rs affirment que leur boss ont souvent leurs préféré.es, ce qui alimente le clivage et crée un climat de travail malsain.

 

Dans certains cas, le patron étant absent du milieu de travail la plupart du temps, c’était plutôt la secrétaire qui assurait la gestion des lieux et prenait le rôle du patron.

 

La secrétaire:

 

Les secrétaires sont généralement en charge d’accueillir le client et de collecter le paiement pour la chambre. Ce sont généralement des femmes.

 

Bien que les secrétaires aient été peu mentionnées dans les entrevues, il est apparent qu’elles sont une figure ambivalente pour les masseuse.rs. Les secrétaires sont parfois les alliées des masseuse.rs quand il s’agit de donner de l’information sur les clients. En effet, certaines les avertissent si un client a déjà été violent par le passé. Certains salons ont un manager qui agit également comme bouncer.

Toutefois, dans certains salons, particulièrement si le patron est absent, la secrétaire va également assurer la discipline. Cinq masseuse.rs ont affirmé avoir vécu de la violence, surtout psychologique, de la part des secrétaires.

Les masseuse.rs:

Les masseuse.rs sont le pilier de leur milieu de travail. Sans elleux, il n’y a pas de salon de massage. Iels prodiguent des massages érotiques (incluant une masturbation) avec ou sans extras.1

Dans les salons de massage avec extras, les masseuse.rs négocient généralement les services avec le client, et ce dernier leur paie directement. En général, ce sont les masseuse.rs qui en décident le prix, mais certains salons vont fixer un minimum ou un maximum. Un salon avait même établi une grille tarifaire pour chaque extra. Parfois, les patron.nes font pression pour que les travailleuse.rs baissent leur prix. Dans certains cas, les masseuse.rs vont discuter et fixer ensemble les tarifs pour chaque acte. Cependant, certain.es répondant.es ont affirmé préférer éviter de parler de leurs services par peur de créer des tensions et de la compétition avec leurs collègues. Par exemple, quelques masseuse.rs ont dit que certains extras comme le bareback2 étaient tabou.

Dans un salon, l’employeur a tenté d’instaurer le paiement des extras directement à la secrétaire au moment du paiement de la chambre, ce qui n’a pas plu aux masseuse.rs qui perdaient leur pouvoir de négociation avec le client. Cette situation a mené à beaucoup de protestations et à plusieurs renvois. Cette formule ne semble pas être la norme dans les salons de massage.

Les masseuse.rs qui travaillaient dans des salons de massage sans extra ont affirmé que les clients s’attendent en général à ce que des extras soient donnés. Iels disent devoir constamment les refuser aux clients, poussant certain.es à préférer les salons avec extras. Si iels ne faisaient pas elleux-mêmes d’extras, iels soupçonnaient fortement d’autres d’en faire. Et si certain.es travailleuse.rs offraient des extras, iels le faisaient malgré le risque d’être dénoncé.es par les clients et d’être renvoyé.es. Aussi, dans ces salons, il est interdit de posséder des condoms, et les TDS qui offrent des services complets doivent les cacher.

Une autre partie du travail des masseuse.rs est le travail ménager. Il est généralement attendu qu’iels nettoient les chambres, la douche et parfois, qu’iels fassent le lavage après leur rencontre. Souvent, la tâche de faire le ménage des autres espaces n’appartient à personne, et certain.es vont donc prendre sur elleux de le faire. Nous élaborerons davantage sur les tâches d’entretien ménager dans la partie suivante. 

Salubrité et hygiène: 


Les résultats de l’enquête au niveau de la propreté et de l’hygiène sont partagés en deux extrêmes: d’un côté, les personnes sont très satisfaites et de l’autre, elles sont répugnées.


Comme nous l’avons tout juste soulevé, les masseuse.rs prennent en charge une grande part du travail ménager dans les salons: après un rendez-vous, iels doivent désinfecter le matelas, changer les draps, vider la poubelle, mettre les serviettes à laver, ainsi que d’autres tâches de base. Un élément souvent mentionné est le manque d’équipements et d’outils de nettoyage, ce qui nuit à l’accomplissement de ces tâches.


En ce qui a trait aux activités d’entretien général des lieux, un constat est clair: celles-ci sont généralement bâclées. Parmi ces tâches, les participant.es ont nommé le nettoyage des douches, des miroirs, du sol et des espaces communs. Comme nous l’avons observé plus haut, les responsabilités et les rôles dans les salons de massage sont floues; cet ouvrage est rarement assigné à qui que ce soit. À l’exception d’un salon de massage qui embauche une femme de ménage aux deux semaines, le travail est généralement effectuées par les masseuse.rs ou parfois par la secrétaire, une réalité qui met en lumière le caractère genré du ménage. Plus encore, ce travail est effectué gratuitement: à part la rémunération directe des clients, aucune rétribution ne leur est accordée pour cette besogne répétitive d’entretien des lieux. Pourtant, le salon de massage reçoit un paiement du client pour la location de la chambre.


Certain.es ont témoigné d’une insalubrité extrême dans leur salon causée par des infestations de rats et de punaises de lit, de la moisissure, des infiltrations d’eau, des fissures au plafond et sur le sol, etc. Face à cet environnement de travail nocif, les plaintes des masseuse.rs sont rarement entendues: soit le patron ignore simplement leurs demandes, soit il fait le travail à moitié. 


Violences et insécurité au travail : 


Les violences vécues en salon de massage sont multiples et prennent parfois des formes insidieuses. Toustes les répondant.es ont vécu des violences, celles-ci étant de la part des clients, des secrétaires, des patron.nes, et plus rarement, de leurs collègues ou de la police.


Les clients dans les salons de massage sont les premiers à utiliser la violence. Les actes les plus souvent rapportés sont les agressions sexuelles et physiques: imposer des gestes non négociés préalablement, retirer ou tenter de retirer le condom, étouffer, restreindre et frapper. Plusieurs répondant.es ont également soulevé le caractère économique des abus, tel que le refus de payer, la négociation des tarifs et le vol. Plus encore, les violences psychologiques et verbales, telles que le dénigrement, les menaces de mort, les propos racistes, homophobes et mysogines, sont courantes.


De la part de la gestion, c’est-à-dire des secrétaires et des boss, les violences qui nous ont été raportées sont surtout économiques, verbales et psychologiques. Un élément qui est revenu maintes fois sont les sanctions économiques imposées par le patron. À un des salons de massage, le patron imposait une amende de 20$ si l’emballage d’un condom était oublié dans la salle. D’autres abus patronaux rapportés par les masseuse.rs sont des pratiques interdites par les normes du travail: obligation de travailler de plus longs shifts, défense de sortir à l'extérieur durant l'entièreté du quart de travail, harcèlement, fermeture du salon sans préavis, renvoi airbitraire, surveillance par micro des espaces communs, agressions, etc. Plusieurs masseuse.rs ont décidé de partir de leur propre chef, tanné.es de se faire dénigrer sur leur physique. Les poils, les cheveux, le port des talons hauts, la lingerie, le maquillage: les masseuse.rs doivent se conformer aux standards de la féminité imposés par le patron et la secrétaire.


Plus rarement, le sentiment d’insécurité provient des comportements des collègues. Certain.es répondant.es ont nommé que la whorearchy3 créé des rapports de pouvoir entre les masseuse.rs «décent.es» et celleux qui sont méprisé.es pour leurs pratiques. Ces actes sont parfois jugés comme sales et impurs, d’autres fois comme une façon d’avoir tous les clients.


Enfin, des éléments externes au salon de massage peuvent créer de l’insécurité pour les travailleuse.rs. Notamment, certaines ont mentionné la surveillance constante de la police, celle-ci prenant parfois en photo les plaques d’immatriculation des masseuse.rs. Certain.es masseuse.rs ont témoigné des descentes dans leur salon, la police se faisant passer pour des clients pour obtenir des services. 

Stratégies collectives

Les masseuse.rs résistent quotidiennement. Face à un boss autoritaire et à l’absence de droits, les TDS doivent trouver des moyens de reprendre le contrôle. Parmi les stratégies individuelles, celles relatées allaient de prétendre avoir ses menstruations pour finir plus tôt à faire du vandalisme. Parfois, résister c’est aussi quitter son milieu de travail pour travailler comme escorte indépendante ou trouver un salon plus sécuritaire. Ces stratégies sont l’expression d’un refus de travail qui doit être reconnu comme tel si on veut le transformer en stratégies de résistance collectives.

Durant les entrevues, les masseuse.rs ont témoigné de leurs stratégies pour s’entraider et s’organiser avec leurs collègues. Iels partagent les informations importantes sur les clients pushy et violents et sur comment travailler avec eux en maintenant ses limites. Les expériences de l’une servent également à l’autre lorsqu’il s’agit de confronter le patron ou la secrétaire sur leurs comportements abusifs. À ce propos, plusieurs ont rapporté se regrouper pour discuter de leurs conditions, formuler des propositions, choisir une personne pour les nommer au boss ou faire front ensemble. Par exemple, dans un salon de massage, les masseuse.rs se sont uni.es pour demander une extermination des punaises de lit sur le lieu de travail. Dans un autre milieu, les travailleuse.rs ont protesté contre l’instauration du paiement des extras à la réception. Dans ce cas-ci, iels organisaient des rencontres pour parler de la situation et décider qui discuterait avec l’employeur. Très souvent, cette stratégie s’est conclue par des renvois.


Enfin, certaines ont nommé s’organiser en dehors des salons de massage, entre collègues, pour se conseiller et s’aider à acquérir de meilleures opportunités de travail, en partageant l’information sur les milieux plus sécuritaires ou encore les voies pour travailler de façon indépendante. Quelques masseuse.rs ont également mentionné s’organiser au CATS. 

Et maintenant, que faire?
Nos propositions

Cette analyse du travail des masseuse.rs permet de tirer des conclusions utiles à l’organisation politique des TDS en milieu de travail. Il s’agit ici de propositions qui devront être discutées en groupe et adaptées aux différents milieux afin d’être mises en action. Néanmoins, il nous semble important de les formuler afin de sortir de la simple collecte de données et de faire avancer la lutte pour l’amélioration de nos conditions de travail.

D’abord, l’organisation du travail pourrait être négociée avec l’employeur. Au plan des extras, les travailleuse.rs auraient avantage à discuter ensemble des tarifs qu’iels veulent fixer pour chaque service et à les imposer au boss. Le fait de permettre des extras dans un salon devrait aussi être une décision collective imposée par les masseuse.rs. Aussi, le travail ménager devrait soit être pris complètement en charge par l’employeur, étant donné que le client le paie pour la location de la chambre, soit être rémunéré. Le fait d’égaliser le prix des extras serait aussi une façon d’accroitre la solidarité.

Ensuite, la violence reste un élément majeur à combattre dans les salons de massage. L’enjeu principal est que des clients vont être tolérés malgré des comportements violents puisqu’ils sont une source de revenu pour le salon. Pire encore, le passé violent d’un client n’est souvent pas divulgué aux nouvelles travailleuse.rs. Nous pensons que le droit de refuser un client devrait aller de soi et qu’il devrait être accompagné de la connaissance de l’historique du client. Le choix de bannir un client du salon devrait être remis aux travailleuse.rs. Les épisodes violents pourraient être répertoriés et partagés entre salons sous forme de blacklist.

Mais il est clair qu’étant donné les renvois abusifs dans les salons de massage, obtenir ces gains ne sera pas évident. Pour ce faire, l’unité entre les masseuse.rs est essentielle. Dans les cas que nous avons étudiés, c’est le renvoi des travailleuse.rs les plus militant.es qui a mis fin aux mobilisations. Il faut que l’organisation contre les renvois soit au rendez-vous. 

Nous pensons que la création d’un syndicat autonome est essentielle à l’organisation des TDS, non pas pour les protections légales qu’il apporte puisque notre activité est illégale. C’est plutôt pour l’organisation puissante qu’il permet qu’il est nécessaire. À travers un syndicat, nous pouvons mener des actions collectives et renverser le rapport de force face à l’employeur. On peut envisager des moyens de pression tels que la grève, le piquetage, les démissions collectives, etc. Ces pratiques permettent de faire dévier le cours normal des choses et de mettre en péril les revenus de l’employeur, le forçant ainsi à faire des concessions. On peut donc négocier de nouvelles conditions de travail et lutter contre la répression, comme les renvois injustifiés.

Depuis le début, nous disons que faire la pute, c’est travailler! Le mouvement des travailleuse.rs a lutté de mille et une façons contre leurs patron.nes. Les TDS sont créative.fs et développeront certainement des tactiques pour faire vivre ces stratégies dans leur milieu de travail.

1. Les extras sont des services sexuels de différents types par exemple: blowjobs, pénétration vaginale, pénétration anale, frenchkiss, bareback (pénétration sans condom). ↩

2. Pénétration sans condom. ↩

3. La whorearchy, qu’on pourrait traduire par la hiérarchie des putes, rapporte au système hiérarchique dans lequel les TDS sont classées. Cela se joue en fonction de la proximité avec les clients (par exemple les TDS qui offrent des services complets), avec la police, mais également en fonction de normes de classe, de race et de genre. Ainsi les TDS de rue se retrouvent au bas de l’échelle. Au CATS, nous souhaitons lutter contre ces systèmes de pensée qui minent la solidarité entre putes. ↩

L’humanité qui se saisit: une question de stratégie!

L'humanité qui se saisit: une question de stratégie!

Par Adore Goldman

Face aux promesses brisées du gouvernement de Justin Trudeau de décriminaliser le travail du sexe dans son deuxième mandat, l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe (l’Alliance) a lancé en mars 2021 une contestation judiciaire des lois criminalisant le travail du sexe. La coalition, qui regroupe 25 organisations de travailleur.se.s du sexe (TDS) et d’allié.e.s à travers le pays, aurait épuisé ses recours: le lobbying auprès des partis politiques et les apparitions dans les médias n’auront pas suffi. L’Alliance, au côté de six parties demanderesses, invoque que la Loi sur la protection des communautés et des personnes victimes d’exploitation viole les droits humains fondamentaux des TDS en vertu de la Charte des droits et libertés. 1

Il faut dire qu’à l’époque, le terrain aurait pu sembler propice pour que les choses changent sur le plan légal. À l’hiver 2020, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a déclaré que certaines dispositions de la loi en matière de prostitution étaient inconstitutionnelles.2 Alors qu’iels étaient accusé.e.s de proxénétisme, deux propriétaires d’une agence d’escorte ont réussi à faire reconnaître que ces lois entravaient le droit à la sécurité des TDS. À l’été 2023, une TDS a eu gain de cause contre un client qui refusait de la payer à la Cour des petites créances de la Nouvelle-Écosse.3 L’arbitre Darrel Pink a rendu un jugement historique en qualifiant le travail de la plaignante de «légal». À l’international, la Cour européenne des droits de l’homme vient d’accepter d’entendre le dossier de 261 TDS contre le gouvernement français. Les demanderesses font elles aussi valoir que la criminalisation des clients et des tierces parties fait entrave à leurs droits humains.4

Toutefois, en septembre 2023, près d’un an après avoir plaidé devant la Cour supérieure de l’Ontario, l’Alliance a accueilli le jugement avec déception: le juge Goldstein a statué que la loi était constitutionnelle et que la décriminalisation pourrait être un meilleur modèle légal, mais que c’était au Parlement d’en décider et non à l’appareil judiciaire. Devant cette décision, Jenn Clamen, coordinatrice de l’Alliance, a déclaré que les TDS de partout au Canada étaient «extrêmement dévastées» par la décision, la trouvant «non seulement insultante, mais aussi ignorante».  Monica Forrester, demanderesse dans la cause, ajoutait que «[l]es travailleuses et travailleurs du sexe Autochtones, Noir.e.s, migrant.e.s et trans subissent les conséquences les plus néfastes de la criminalisation du travail du sexe, car nous sommes des communautés déjà excessivement surveillées par la police, et sous-protégées».5 L’Alliance envisage de faire appel de la décision.

Nous voulons néanmoins émettre quelques réserves quant à la stratégie de la contestation judiciaire de l’Alliance. Car s’en remettre aux Tribunaux pour arbitrer nos conflits politiques est un pari risqué. Nous sommes d’avis qu’il existe d’autres avenues qui n’ont pas encore été explorées pour obtenir la décriminalistion du travail du sexe au Canada. Il faut construire un réel rapport de force si nous souhaitons arriver à nos fins et réellement améliorer nos conditions de travail et de vie. Notre proposition est la suivante: en s’organisant en syndicats, il est possible de s’organiser pour la décriminalisation et ce, sur une base beaucoup plus pérenne et puissante!

Photo par Chris Lau

«Le jugement n’intervient pas d’un coup, c’est la procédure qui insensiblement devient jugement» – Le Procès, Franz Kafka

Avant d’élaborer sur nos perspectives de luttes, nous voulons d’abord étayer notre critique des contestations judiciaires en tant que stratégie. 

La première critique concerne la complexité de l’appareil judiciaire et notre incapacité à imposer nos stratégies dans cette arène. Pour la plupart d’entre nous, les tribunaux sont des instances intimidantes et hermétiques. Nous ne parlons pas leur langage. Nous n’avons pas les outils pour y faire entendre nos histoires et nos demandes politiques. Nous avons donc besoin d’avocat.e.s comme interprètes. Ce sont elleux qui plaident notre cause. La parole des TDS ne devient ainsi qu’un simple témoignage. Et encore, pour nous les TDS qui ne travaillent pas dans les organisations membres de l’Alliance ou qui ne sont pas plaignantes, nous sommes complètement dépourvues de tout pouvoir stratégique dans l’affaire. Il est aussi désarmant de devoir transformer le langage de l’organisation politique en langage judiciaire. Le contrôle des mots par l’opposant lui confère un grand pouvoir; nous nous retrouvons piégées dans cette absurdité bureaucratique kafkaesque.

Avant même que le procès ait commencé, il a fallu faire des compromis pour s’ajuster au cadre judiciaire. Par exemple, il n’est pas possible d’attaquer en même temps la loi criminelle et la loi sur l’immigration. Pourtant, c’est en vertu de cette dernière que les TDS n’ayant pas la résidence permanente sont déporté.e.s. La stratégie mise en place a été d’attaquer d’abord la loi criminelle, pour ensuite se pencher sur la loi sur l’immigration. À nos yeux, cette stratégie en deux temps est une erreur stratégique. En Nouvelle-Zélande, premier pays a avoir décriminalisé le travail du sexe, les TDS migrant.e.s n’ayant pas la résidence permanente ne peuvent toujours pas travailler légalement, vingt ans après la décriminalisation. Il s’agit d’une façon commode pour le gouvernement de prétendre qu’il décriminalise le travail du sexe tout en continuant de mobiliser l’argumentaire contre le trafic sexuel. On déplace donc la répression entièrement sur cette catégorie de TDS. On sait pourtant que ce sont les difficultés à immigrer par des voies régulières qui mènent des personnes à faire appel à des tierces parties pour passer les frontières et trouver des emplois dans les pays occidentaux, que ce soit dans l’industrie du sexe ou ailleurs. 

Notre deuxième critique est que le recours aux tribunaux nous laisse aussi sans mouvement de TDS organisé et capable d’exercer un rapport de force face au gouvernement. Car même advenant une victoire devant les tribunaux, il faut tout de même qu’un projet de loi soit rédigé. En 2014, après l’arrêt Bedford qui avait déclaré la loi sur le travail du sexe inconstitutionnelle, le gouvernement conservateur avait introduit le modèle actuel qui criminalise les clients et les tierces parties. Il n’est pas impossible qu’au moment du jugement de la Cour suprême, un gouvernement conservateur soit également en place. Dans tous les cas, une mobilisation forte et organisée, qui ne se limite pas aux salarié.e.s des organisations membres de l’Alliance, sera nécessaire pour assurer qu’il n’y ait pas de failles dans la nouvelle loi; le lobbying auprès des partis politiques et les apparitions dans les médias ne sont pas suffisants. 

Il serait insensé de penser qu’on peut tout faire sans choisir une priorité de lutte. Le recours à l’appareil judiciaire est un système coûteux: les avocat.e.s, nos interprètes, ne travaillent pas gratuitement. Le procès engloutit une quantité de ressources impressionnante en termes d’argent et de ressources humaines. À titre indicatif, l’organisme Stella a dépensé en honoraires juridiques 120 105$ en 2023 et 173 552$ en 2022. 6Il s’agit de leur deuxième plus gros poste budgétaire après les salaires et avantages sociaux. Ces ressources ne sont pas mises dans la mobilisation et dans l’auto-organisation des TDS pour obtenir des changements politiques et obtenir de meilleures conditions de travail. 

Même avec une loi qui décriminaliserait dans son entièreté le travail du sexe, pour beaucoup d’entre nous, nous serions toujours face à des conditions de travail injustes et désuni.e.s face à nos employeurs. C’est la participation directe à l’organisation de la lutte qui nous éduque et nous rend plus fort.e.s. Sur ce point, nous sommes d’accord avec le juge Goldstein quand il dit que ce n’est pas aux tribunaux de statuer; c’est sur l’arène politique que notre combat doit se jouer. Se limiter au juridique serait une erreur.

En centrant toute la lutte autour d’un changement de modèle légal, le mouvement des TDS a facilement été targué de mouvement libéral par les abolitionnistes et par une partie de la gauche. Si certain.e.s sont carrément de mauvaise foi et ont des préoccupations centrées dans une vision moraliste de la sexualité, une partie de l’opposition à la décriminalisation vient du doute de la capacité des TDS à exercer elleux-mêmes un contrôle sur leur milieu de travail. En ce sens, en nous organisant dans nos milieux, alors qu’ils sont encore illégaux, nous prouvons à nos adversaires la puissance de notre mouvement et sa capacité d’autodéfense sans recours à l’État. Nous pensons que la démonstration de cette organisation pourrait être suffisante pour forcer l’État à décriminaliser le travail du sexe.

Photo par Chris Lau

“Stick Together ladies! Your unity is all you have… and all you need!” – Exotic Dancers Union au San Francisco’s Lusty Lady Theater7

Comme le faisait remarquer Triple-X Worker’s Association of BC, Goldstein vient clarifier la loi en ce qui a trait au droit d’association des TDS. Le juge est sans équivoque sur le sujet : «Comme je l’ai déjà souligné: interprétée correctement, la PCEPA, n’empêche pas les TDS de former une association ou un collectif lorsqu’il ne s’agit pas d’une entreprise commerciale.»8 Il serait donc possible pour les TDS de s’organiser en syndicat!

Une des principales oppositions à la stratégie syndicale est qu’elle requiert pour les TDS de se mettre en jeu sur les milieux de travail dans un contexte illégal. Il est impossible de nier ce risque. Il faut toutefois se rappeler le contexte dans lequel est né le premier mouvement syndical au XIXe siècle. 

À cette époque, l’emprise du Capital sur la journée de travail était presque totale; il n’était pas rare qu’elle excède les 12h. On connaît des exemples de travailleur.se.s mort.e.s de fatigue au travail. Le travail des enfants était chose commune. Dans ce contexte, la seule chose qui a mis un frein à la fringale des capitalistes a été la mobilisation des ouvrier.e.s pour limiter la journée de travail, alors que le droit d’association n’existait dans aucune industrie. Les TDS partagent avec les ouvrier.e.s du XIXe siècle l’absence quasi totale de droits. Nos milieux de travail sont complètement dérégularisés. Pourtant, même dans un tel contexte, l’organisation jaillit, et nous sommes capables de gagner de la puissance. Mais pour ce faire, il faut se rencontrer, se mettre ensemble, se réunir… S’organiser!

Même dans les milieux légaux comme les clubs de danseuses, nous ne sommes pas capables d’imposer des conditions de travail que nous jugeons acceptables, ce qui prouve que la criminalisation n’est pas le seul obstacle à de meilleures conditions de travail. L’organisation est essentielle à l’obtention de droits. Cette année, les strippers du Star Garden à Los Angeles ont réussi à faire de leur lieu de travail le premier (et seul) strip club syndiqué aux États-Unis depuis la fermeture du Lusty Lady. Quelques jours après, les danseuses du Magic Tavern à Portland ont elles aussi lancé une pétition pour se syndiquer. Lors d’un événement organisé par le CATS, Reagan – stripper du Star Garden ayant fait la grève et participé à la campagne de syndicalisation – relatait que c’est dans les loges que tout a commencé. C’est en parlant entre collègues que les danseuses ont décidé qu’elles en avaient assez de leurs conditions de travail dangereuses! Elles sont allées porter une pétition à leur patron. Comme réponse, ce dernier a renvoyé deux employées. Elles ont donc décidé de se mettre en grève. Après plusieurs mois de lutte, les employées congédiées ont retrouvé leur emploi, et le Star Garden est maintenant ré-ouvert avec des employées syndiquées qui exercent davantage de contrôle sur leurs conditions de travail.

La stratégie syndicale trouve aussi écho dans les mobilisations des TDS argentines et indiennes. En Argentine, les TDS ont un syndicat, l’Asociacion de mujeres meretrices de la Argentina (AMMAR). AMMAR fait partie d’une confédération nationale, le Central des Trabajores Argentinos, qui regroupe autant des syndicats traditionnels que des groupes de chômeur.se.s, des groupes de locataires et des groupes autochtones.9 AMMAR porte plusieurs revendications, dont la décriminalisation, la fin du harcèlement policier et l’accès aux mêmes droits que tous les travailleur.se.s comme le chômage, les pensions, etc. Le syndicat a réussi à plusieurs reprises à faire lever plusieurs lois locales qui criminalisaient les TDS.10

En Inde aussi, c’est l’organisation des TDS qui permet d’exercer un rapport de force face à l’État et la police. Prabha Kotiswaran, juriste et chercheuse, relatait que dans les années 2000, les TDS qui travaillaient dans les gares d’autobus de Trirupati ont réussi à imposer la décriminalisation de facto par leur organisation face aux forces de l’ordre.11 Kotiswaran observe également qu’à Calcutta, Durbar Mahila Samanwaya Committee (DMSC), une organisation de TDS qui compte 60 000 membres:

encourage une culture politique active de contestation des clients, propriétaires, ou gérants de bordels abusifs. […] malgré une loi criminelle très abusive contre le travail du sexe, une organisation de travailleuses du sexe s’est mise en place […] pour mettre en oeuvre la régulation du travail que le DMSC a appliqué à l’industrie du sexe.12


Ces tactiques ont permis aux TDS de s’autoréguler dans ce contexte plutôt que de faire appel à la police, qui ne leur était souvent d’aucun secours voire même qui leur nuisait. Ces exemples prouvent qu’au-delà des réformes légales, l’auto-organisation est encore plus importante à l’amélioration de nos conditions de travail et de vie.

L’organisation en syndicat nous permettrait de nous auto-organiser sur nos milieux et d’améliorer nos conditions de travail, mais il est aussi possible que cette stratégie mène à la décriminalisation. Premièrement, parce qu’en nous organisant, nous prouvons qu’il est possible d’assurer notre sécurité par nos propres moyens, sans recours aux forces de l’ordre. Deuxièmement, parce que devant les conflits de travail qui se créeront, l’État sera forcé de prendre position. En effet, les affrontements entre les TDS et leurs patrons sont susceptibles d’entraîner des incohérences que le gouvernement sera contraint de régler, probablement en décriminalisant et en appliquant le code du travail à nos milieux. Bien sûr, ce cadre légal n’est pas une pilule miracle, et le respect de nos droits au travail nécessitera toujours une mobilisation. Il est toutefois certain que cela nous garantirait un certain rapport de force et une légitimité. Après tout, ce sont toujours les résistances des travailleur.se.s qui provoquent des restructurations industrielles et politiques.

Photo par Chris Lau

Une lutte pour notre humanité

Les contestations judiciaires, comme celle en cours, reposent sur le discours suivant: il existe des droits fondamentaux garantis à chacun.e par l’État. Lorsqu’une faille existe, l’appareil judiciaire est chargé de rétablir la situation. La thèse des droits humains postule qu’il existerait une humanité intrinsèque dont la négation ne serait qu’une erreur à corriger dans un système qui fonctionne.

Ce postulat de base est une fiction libérale: dans la société de classe, l’emprise du capitalisme patriarcal et racial nie l’humanité d’une grande partie de la population. D’ailleurs, d’après ce script, seul.e.s les citoyen.ne.s jouissent de ces droits fondamentaux; l’accès n’est nullement garanti aux personnes migrantes. Comme le dit Leopoldina Fortunati, «[c]e n’est qu’en le dévalorisant, en ré­duisant [l’individu] à une non-valeur, que le capital parvient à l’obliger à se définir comme force de travail, à vendre sa capacité de travail pour en obtenir une valeur d’échange.»13

Si l’État garantit aux individus une égalité théorique, c’est pour maintenir l’illusion qu’il est libre de vendre sa force de travail. Ainsi, selon Lucien Sève, «l’extériorité sociale du monde humain par rapport aux individus comporte en toute société de classe son éventuelle inaccessibilité pour le grand nombre – l’humanité jusqu’ici a progressé à travers une massive atrophie d’individualités».14 Il existe une grande distance entre les droits que nous «garantissent» l’État et ceux dont nous bénéficions dans les faits. Le penseur nous invite à nourrir une «ambition d’une émancipation radicale: former un nouveau monde où chacun puisse s’[humaniser] sans entraves.»15 Actualiser notre humanité passe donc par une lutte collective contre le déni de notre humanité. C’est en nous liant avec nos collègues que nous pouvons vraiment nous battre contre le déni de nos droits.

Puisqu’on ne peut pas compter sur l’État pour les mettre en application. D’autant plus, les changements légaux ne sont jamais une garantie éternelle. On pourrait bien imaginer un futur post-PCEPA16 où les villes auraient re-criminalisé le travail du sexe de rue, où la police continuerait de harceler les TDS les plus visibles – notamment trans et racisées – et où les TDS migrantes deviendraient d’autant plus le focus de la lutte au trafic sexuel. On peut aussi imaginer que les injustices dans nos milieux de travail resteront et que les institutions de l’État seront toujours absentes quand il sera temps d’obtenir justice.

Manifestement, le droit à notre humanité est quelque chose que nous devons conquérir en nous unissant. Nous pourrions par exemple nous organiser pour bloquer les déportations de nos collègues, pour rétorquer contre les agents de l’ordre qui abusent de leur pouvoir ou pour faire lever les règlements injustes dans nos milieux de travail.

Nous ne nous laisserons plus humilier, que ce soit par nos patrons, par les tribunaux ou par l’État! Pour paraphraser James Baldwin, on pourrait dire que l’humanité n’est pas quelque chose qu’on nous donne, l’humanité se prend! Eh bien, il est grand temps que les TDS s’en saisissent! 

1. Les parties demanderesses soutiennent que la loi viole les droits des TDS à la sécurité, à la liberté, à l’autonomie personnelle et sexuelle, à la vie, à l’égalité, à la liberté d’expression et à la liberté d’association. En octobre 2022, la cause a été entendue devant la Cour supérieure de l’Ontario. Pour en savoir plus sur le litige: Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. (2022). CASWLR vs. Canada. Contestation constitutionnelle pour les infractions criminelles spécifiques au travail du sexe. ↩

2.  Jean-Philippe Nadeau. (2020). Des dispositions de la loi fédérale sur la prostitution sont anticonstitutionnelles.↩

3. Radio-Canada. (2023). Travail du sexe: un jugement rare contre une loi qualifiée d’«hypocrite». ↩

4. Human Right Watch. (2023). Europe: un moment charnière pour les droits des travailleuses du sexe.↩

5. Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. (2023). Communiqué de presse: Les travailleuses du sexe sont profondément déçues de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario rejetant les préjudices systémiques subis.↩

6. Stella, L’amie de Maimie. (2023). «États des résultats pour l’exercice terminé le 31 mars 2023», États financiers pour l’exercice terminé le 31 mars 2023, p. 1.↩

7. Traduction: «Restez ensemble, les filles! Votre unité est tout ce que vous avez… et tout ce dont vous avez besoin!» Le Lusty Lady était un peep-show à San Francisco au sein duquel les travailleur.se.s ont mené une campagne de syndicalisation qu’elles ont gagnée en 1997. C’était alors le premier club syndiqué aux États-Unis. Pour en savoir plus sur cette campagne, le film Live Nude Girls Unite! (2000) de Julia Querry, ex-danseuse au Lusty Lady, expose très bien les tenants et aboutissants de cette lutte.↩

8. Traduction libre de “As I have already emphasized, properly interpreted, PCEPA does not prevent sex workers from forming an association or a collective where it is not a commercial enterprise” dans Triple-X Worker’s Solidarity Association of B.C. (2023). In Canada the Government Does Have Business in the Bedrooms of the Nation Ontario ruling in constitutional challenge of Canada’s sex work laws disappoints but offers clarity on the sale of sex and freedom of association.↩

9. Kate Hardy. (2010). «Incorporating Sex Workers into the Argentine LaborMovement», International Labor and Working-Class History, 77(01):89 – 108.↩

10. Amalia L. Cabezas. (2012). «Latin American and Caribbean Sex Workers: Gains and challenges in the movement», Anti-trafficking Review↩

11. Prabha Kotiswaran. (2011). Dangerous Sex, Invisible Labor: Sex Work and the Law in India, Princeton University Press, p. 130.↩

12. Traduction de «while fostering an active political culture of protest against abusive customers, landlords, and brothel keepers. […] despite a highly abusive anti-sex work criminal law, an organization of sex workers has taken root to achieve the results of labor laws that the DMSC is so keen to have applied formally to the sex industry.» de Ibid., p. 248.↩

13. Leopoldina Fortunati. (2022). Production et reproduction: l’apparente antithèse du mode de production capitaliste.↩

14. Laurent Prost. (2009). «Entretien avec Lucien Sève», Le Philosophoire, no 32.↩

15. Ibid.↩

16. Protection of Communities and Exploited Persons Act. Il s’agit de la loi qui criminalise le travail du sexe au Canada et qui est contesté dans la contestation constitutionnelle en cours.↩

Lettre de solidarité face au définancement de nos services communautaires

Lettre de solidarité face au définancement de nos services communautaires

Par le CATS

Le Comité autonome du travail du sexe (CATS) s’oppose fermement à la motion proposée par le Parti Québécois et adoptée en Assemblée nationale le 4 décembre dernier, qui demande au gouvernement «de cesser tout financement public d’organismes qui encouragent des formes d’exploitation sexuelle des mineurs». Cette motion vise clairement le Projet d’intervention auprès des mineur.es prostitué.es (PIaMP), un organisme communautaire qui travaille auprès des jeunes de 12 à 25 ans qui échangent des services sexuels.1 C’est un cas classique : les gens au pouvoir utilisent des mots choquants et complètement déconnectés de la réalité pour justifier leurs agendas oppressifs. 

Nous dénonçons cette motion qui menace la survie de l’organisme et de ses services et, plus largement, la pérénité du soutien communautaire aux travailleuse.rs du sexe (TDS) et aux communautés marginalisées. Couper la majeure partie du financement du PIaMP signifie vulnérabiliser davantage les TDS et les jeunes, en les privant d’un milieu où iels sont accueilli.es, trouvent une écoute sécuritaire et une aide auprès des intervenant.es pour répondre à leurs besoins essentiels. 

Plus encore, c’est une attaque à l’approche de réduction des risques que défend le PIaMP, au profit d’une approche carcérale. Car l’autre alternative pour les jeunes qui échangent des services sexuels, c’est l’enfermement dans les centres jeunesse, parfois dans des ailes sécurisées pour les jeunes qui fuguent à répétition, ou bien vivre dans la peur des autorités, sans accès à des ressources adaptées.

À l’heure où les personnes itinérantes sont chassées de leurs campements, où la Maison Benoît Labre est semée de déménager et où on menace les utilisateur.ices de drogues de désintoxications forcées, cette motion va dans le sens d’une carcéralisation de nos communautés. 

Alors que l’intégrité des jeunes trans et queer est menacée par des politiques transphobes partout au Canada, plusieurs se tournent vers le travail du sexe à cause de la transphobie ambiante. Dans ce contexte, couper dans les ressources communautaires, qui sont parfois leur dernier recours face à des systèmes qui souhaitent les effacer, envoie un message clair: les jeunes TDS, queer, en situation d’itinérance et en marge ne valent pas la peine qu’on les soutiennent. Aussi, rappelons que ce sont les mêmes fémo-nationalistes associées au Parti Québécois qui dénigrent les femmes trans, les TDS et les femmes portant le voile, en brandissant l’épouvantail de la laïcité et de la moralité.

Que ce soit clair: nous ne nions pas que les TDS mineur.e.s, subissent de l’exploitation; leur capacité à consentir n’est pas comparable à celle des TDS majeur.e.s. Nous reconnaissons que tout.e.s les TDS peuvent potentiellement subir des violences et des formes d’exploitation, mais nous sommes convaincu.es que ce n’est ni par la criminalisation, ni par la dissolution des ressources communautaires essentielles que les violences seront révolues! Seulement l’organisation de nos communautés, la reconnaissance de notre agentivité et de meilleures conditions de travail peuvent réellement lutter contre l’exploitation!

Écoutez nos voix !

Témoignages de la communauté 

 

« Sans le PIaMP qui m’apportait de leur banque alimentaire directement chez moi ainsi qu’à leur multiples ressources disponibles, je serais mort à 23-24 ans, aux prises avec la plus grosse dépression de ma vie, en pleine pandémie. Je n’aurais jamais écrit mon livre ni gagné les prix qui y sont associés. Je suis terrifié à l’idée que des gens dans la même situation que celle dans laquelle j’étais (majeurs ou mineurs) ne puissent accéder à ce support et cette aide qui n’est malheureusement pas accessible, vu les coupures multiples, autant dans les milieux de la santé que dans le communautaire. Faites mieux.» Gina Flash

 

« Le PIaMP a été le premier organisme œuvrant auprès des TDS que j’ai trouvé quand j’ai déménagé à Montréal. J’ai pu accéder à leurs ressources lorsque j’ai commencé à faire du travail du sexe en ligne pour me renseigner sur le sugaring. J’ai été découragée de poursuivre dans cette voie à cause de ce que j’ai appris dans leur guide sur le sugaring VS ce que je voyais en général sur Internet à ce sujet. J’ai beaucoup appris grâce aux ressources gratuites qu’iels ont sur leur site.» Nova

 

« En novembre 2022, j’ai participé à une consultation de groupe au PIaMP, avec d’autres jeunes de 14 ans à 24 ans. Justement, la conversation portait sur le le fait que la majorité des échanges de services sexuels sont catégorisés comme de l’exploitation sexuelle et des impacts que ça peut avoir sur nos vies. J’y ai rencontré un jeune queer de 14 ans qui était 100% conscient qu’il vivait de l’exploitation et il était déjà placé en centre jeunesse. Ça lui faisait du bien d’aller au PIaMP pour avoir du support indisponible ailleurs, auprès de gens qui comprennent sa situation sans l’encourager pour autant. Laissez-nous nos espaces, laissez-nous survivre! » Céleste Ivy



Le pouvoir des villes: pour une lutte locale

Le Pouvoir des villes: Pour une lutte locale

Par Celeste Ivy et Melina May

Au “Canada”, la criminalisation du travail du sexe est de ressort fédéral. C’est la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation du Code criminel qui est appliquée par les forces de l’ordre, les juges et les tribunaux des différentes provinces canadiennes. C’est également cet ensemble de lois qui motivent la mise en place de projets de sauvetage des victimes sur plusieurs territoires. En 2014, alors que la loi venait d’être adoptée, le gouvernement Harper s’est engagé à investir 20 millions de dollars dans la lutte au trafic humain; un peu moins de la moitié irait à l’application de la loi et le reste à des agences et organismes fournissant des services à celles qui souhaitent sortir de l’industrie. 

Bien que les villes n’aient pas le pouvoir de criminaliser le travail du sexe directement, plusieurs municipalités et arrondissements tentent d’en contrôler et limiter certains aspects. Dans ce texte, nous souhaitons exposer les pouvoirs qu’ont les villes sur nos conditions de travail. Nous voulons également proposer une organisation locale des TDS : une lutte au sein de nos quartiers et de nos villes nous permettrait une résistance plus directe, décentralisée et spontanée. Nous présenterons des exemples de règlements municipaux répressifs à Montréal, à Laval, à Toronto et à Edmonton : des règlements de zonage qui menacent de faire disparaître nos espaces de travail, l’obligation d’avoir une licence dans certaines villes et ses conséquences sur l’intégrité et la sécurité des TDS. Nous explorerons également la naissance et l’implantation des John Schools au Canada, une supposée alternative au modèle pénal actuel ciblant une certaine démographie de clients. Nous conclurons en proposant quelques stratégies d’organisation et d’actions locales. 

Gabor Szilasi, Club Supersexe et Cinéma Palace, Montréal 1979

Zonage urbain: nos espaces de travail constamment menacés ! 

Les municipalités font de plus en plus usage des règlements en termes de zonage et d’urbanisme pour cibler et fermer nos milieux de travail. Si ces réglementations sont formulées comme étant destinées à protéger le public des nuisances et assurer la santé et la sécurité publique, nous pensons que leur but est plutôt de précariser les conditions de travail des TDS et «nettoyer» les villes de la prostitution visible qui dérange. Cette stratégie s’inscrit également dans un processus plus large de gentrification. 

Lors du Rendez-Vous 2007 Montréal Métropole Culturelle, la Ville de Montréal et l’arrondissement Ville-Marie présentaient le Programme particulier d’urbanisme du Quartier des Spectacles, soit les grandes lignes des plans d’aménagement urbain de la Place des arts. Les changements urbains initiés par ce programme ont comme motivation première le nettoyage visuel du Quartier des spectacles, historiquement le berceau du divertissement et du travail du sexe montréalais nommé le Red Light District, soit- disant dans le but d’embellir un quartier «mort». Ces essais d’élimination remontent aux années 1950, lorsque le maire Jean Drapeau a enclenché diverses campagnes politiques et travaux de rénovations urbaines pour revamper le quartier. L’ironie est forte dans ces discours politiques de faire de Montréal une ville plus culturelle et vivante: le Quartier des spectacles était déjà un pôle culturel, mais d’une manière que la municipalité préférait effacer. Confronté.e.s à la destruction, littéralement, de leur milieu de travail et à une surveillance accrue de la rue, les TDS ont été forcé.e.s de se relocaliser dans des quartiers où leur présence se ferait moins remarquer par les autorités et où la recherche de clients serait plus difficile. 

Parmi les tactiques adoptées par les arrondissements et les municipalités, la stratégie du  resserrement de l’octroi des permis d’exploitation a prouvé son efficacité dans la fermeture des salons de massage et strip clubs. À Montréal, cette stratégie faisait partie des promesses électorales de l’administration Coderre lors de son arrivée au pouvoir en 2013. Si celle-ci n’a pas aboutie, plusieurs arrondissements à Montréal ont, depuis, adopté des règlements pour se débarrasser des salons de massage dans leurs quartiers. Depuis 2017, l’arrondissement de Rosemont-La-Petite-Patrie n’accorde plus de permis d’occupation commerciale aux entreprises soupçonnées de vouloir ouvrir des salons de massage érotiques. Suite à cette décision, huit salons de massage ont vu leur permis d’exploitation être révoqué, les forçant à mettre la clé sous la porte. Ce resserrement des permis avait été proposé par le maire de Projet Montréal, comme quoi, l’effacement de nos milieux de travail est un projet qui rallie autant la gauche que la droite. En septembre 2023, l’arrondissement annonçait vouloir intenter des procédures judiciaires jusqu’à la Cour supérieure afin de faire fermer le dernier salon de massage érotique sur son territoire, Spa Bamboo. Ce salon avait contesté la décision en 2017 et poursuivi ces activités. À Laval, depuis 2018, les salons de massage et les bars de danseuses sont interdits sur l’ensemble du territoire sauf à l’intérieur de la zone industrielle, et ce, pour un maximum de 5 établissements, qui sont tenus de n’afficher aucune enseigne ni publicité. Ce genre de réglementation municipale explique la disparition des clubs à la grandeur du Québec: si on comptait près de 220 établissements il y a quinze ans, aujourd’hui, on n’en compte plus qu’une soixantaine sur le territoire. À Toronto, depuis les années 1970, la Division des Licences et des Normes Municipales permet 63 licences de divertissement pour adultes sur son territoire. Les règlements de zonage et le processus pour une demande d’exemption, qui coûte entre 100 000$ et 250 000$, rendent presque impossible l’ouverture ou la relocalisation de ces clubs. 

Nous avons tou.te.s déjà rencontré un.e TDS qui rêvait d’ouvrir son propre établissement offrant de meilleures conditions de travail et étant plus inclusif, mais cet entêtement municipal d’assainissement empêche l’industrie de se développer éthiquement. En effet, comme l’exprime ici Andrea Werhun, auteure du mémoire Modern Whore et travailleuse sociale pour Maggie’s, un projet activiste pro-TDS à Toronto: 

Je rêve d’un monde où ce sont des femmes ou des personnes alliées des TDS qui gèrent ces clubs, et qui créent le genre d’environnement où les gens se sentent à la fois divertis, mais aussi profondément comblés, où ils se disent, «Oh, c’est juste, comme, un excellent complexe de divertissement où les gens s’amusent». 

Si ces régulations refroidissent les propriétaires de clubs déjà existants, l’ouverture de ceux-ci par une femme ou par des allié.e.s, disposant de moins de ressources et de connexions en termes d’administration, est carrément impossible ce qui est en soi antiféministe.

Les villes font donc usage de leurs pouvoirs en termes de zonage et de réaménagement urbain pour fermer nos milieux de travail et nous tasser de plus en plus des grands centres vers des quartiers industriels, moins bien éclairés et plus isolés. La diminution de nos milieux de travail et leur dérégularisation augmentent également la compétition entre les travailleur.se.s et le pouvoir des patrons. Comme l’explique une militante au CATS et danseuse: «Les danses à mon club sont encore à 10$ parce que comme il y a peu de strip club et que les patrons disent oui à tout le monde pour rentrer tout le temps, ça fait qu’il y a full de filles sur le plancher et de la compétition.» La fermeture des salons de massage et des strip clubs ne mettra pas fin à la nécessité pour plusieurs de travailler. Forcé.e.s de quitter nos milieux de travail, plusieurs se tourneront vers le travail à la maison ou le outcall, nous isolant davantage et nous mettant plus à risque d’être agressé.e.s.

Photo de la zone industrielle de Laval tirée de Google Earth Pro

Les licences pour travailler : contrôle et menace à la sécurité

Dans certaines villes et provinces au Canada, comme en Ontario et à Edmonton, les travailleur.se.s dans les milieux légaux doivent obtenir une licence pour prouver leur âge et travailler en salon de massage ou dans les strip clubs. Si les licences servent entre autres à interdire l’accès aux mineur.e.s à ces milieux, elles sont également un moyen pour contrôler, fragiliser et surveiller les TDS.

En mai 2022, dans un effort pour enrayer l’industrie du sexe, la Ville de Newmarket en Ontario adoptait une nouvelle classification des licences pour les travailleur.se.s en salon de massage. En vertu du nouveau règlement, les propriétaires sont tenus de prouver que les employé.e.s offrant des services de massage ont reçu une formation d’une institution accréditée. Le maire de la ville expliquait cette décision : «Je pense que nous voulons tout simplement chasser [l’industrie du sexe] hors de notre ville, très franchement […] je ne pense pas que ce soit cohérent avec les valeurs de notre ville». Une pétition lancée par Butterfly, un organisme qui défend les droits des TDS migrantes et asiatiques à Toronto, dénonce le règlement qui «perpétu[e] le racisme systémique et les difficultés indues en empêchant les femmes asiatiques non anglophones et à faible revenu de travailler dans les [établissements de bien-être personnel]». Suite à cette décision, plusieurs entreprises ont été forcées de fermer du jour au lendemain laissant plusieurs femmes et familles sans moyen de subsistance. 

En Ontario, les danseuses sont également tenues d’obtenir une licence pour travailler légalement. Les TDS avec des casiers judiciaires et les travailleur.se.s im/migrant.es sans résidence permanente sont dans l’impossibilité d’accéder à ces licences; ce qui les poussent dans des situations de travail d’autant plus précaires et criminalisées. À Edmonton, les travailleur.se.s en salon de massage et en agence sont également dans l’obligation d’obtenir une licence pour travailler. Même si cette licence ne contient aucune information personnelle sur papier, ces données sont accessibles aux patrons, menaçant l’intégrité et la sécurité des TDS. Dans une lettre ouverte à la ville, ANSWERS, un organisme qui défend les droits des TDS à Edmonton, dénonçait les effets délétères d’une telle régulation:  plusieurs cas ont démontré l’usage par les employeurs et/ou les collègues de travail dans la divulgation des renseignements personnels des TDS à leur famille, leur employeur civil et leur propriétaire. Non seulement l’obligation de partager ses informations personnelles à son employeur est dangereuse, mais également inutile puisque les TDS reçoivent leurs paies de leurs clients directement. 

Art par @heatofthenow

La stigmatisation vécue par les TDS est aussi ancrée dans l’instauration des licences de travail; iels sont considéré.e.s comme un danger pour la santé publique. Les licences sont une manière pour les agents municipaux et la police de mieux contrôler les TDS sans concrètement offrir des services de réduction des risques ou des conditions de travail sécuritaires. Ces contextes de légalisation sont tout de même nés dans une vision anti-TDS où les travailleur.se.s sont perçu.e.s comme nécessitant une surveillance autoritaire accrue en tant que menaces à la santé publique. Dans la majorité des cadres légaux, les travailleur.se.s travaillant à l’intérieur se plieront aux conditions mises en place par le patron. Cela amoindrit la possibilité de syndicalisation puisque l’autonomie des travailleur.se.s est grandement restreinte et la considération quant aux conditions de travail est davantage mise de côté. Les besoins concrets des TDS face à leur sécurité générale, la réduction de risques et l’amélioration de leurs conditions de travail sont ignorés.

 John Schools : l’école de la moralité

En mai 2022, la Ville de Longueuil a mis en place un projet pilote financé par le ministère de la Justice afin de piéger des clients et les contraindre à la rééducation au sein des John Schools. Les clients qui sont arrêtés par la police pour la première fois devront payer 1000$ et se soumettre à une journée de formation de 8h durant laquelle plusieurs intervenant.e.s les sermonneront et leur expliqueront les dangers de l’industrie du sexe. L’ancien chef de police de Longueuil et actuel chef du Service de police de la Ville de Montréal, Fady Dagher, expliquait en entrevue comment se déroule la formation: les clients doivent faire face à une jeune victime qui leur explique «comment elle se sent abusée […] combien de drogues elle doit prendre pour traverser sa journée et combien de fois elle a faker [l’orgasme]». Ces programmes refusent de considérer les TDS comme des acteur.e.s de leur propre histoire. Le discours grossier qu’ils reconduisent met en lumière le narratif populaire selon lequel les TDS sont des victimes passives à sauver tout en étant présentés comme des programmes de justice alternative. 

Le concept des John Schools a émergé dans les années 1990 à San Francisco. Ces programmes, dits de diversion, sont alors défendus par leurs instigateurs comme une alternative au modèle pénal punitif qui ne fonctionne pas. Ces programmes peuvent prendre plusieurs formes, mais l’essentiel est d’offrir le choix suivant aux clients arrêtés: se soumettre à une journée de formation ou faire face aux tribunaux, ce qui implique la possibilité d’être jugé coupable et d’avoir un casier judiciaire. Ces programmes sont également pensés pour gérer le plus grand nombre possible de délinquants en dehors du système traditionnel, et donc, à plus petit coût. 

L’implantation de la première John School au Canada remonte à 1996 à Toronto. À cette époque, un nombre croissant de groupes de citoyen.ne.s, inquiet.e.s pour leur sécurité et leur qualité de vie, ont commencé à faire pression sur les politicien.ne.s, les législateurs et la police pour intervenir sur la prostitution de rue dans leur quartier. En 1995, un comité local sur la prostitution est formé, constitué de policier.e.s, de travailleur.se.s sociaux.les et de conseiller.e.s municipaux.ales. L’implantation et l’administration du premier projet pilote de John School sera prise en charge par l’Armée du Salut, qui est, sans surprise, également impliquée dans les programmes de probation et de libération conditionnelle du système pénal canadien. À l’origine, le programme était offert gratuitement, les clients étant invités à contribuer sous forme de don au programme de sortie pour les TDS de rue. Les dons étant insuffisants, l’agence Streetlight Support Services obtient le contrôle administratif du programme des John Schools, instaurant alors un droit d’inscription obligatoire de 400$ pour les participants, dont 100% des profits permettaient de supporter l’administration et la mission de l’agence. 

Ces programmes ciblent et contrôlent un certain type de client : «les hommes orientés vers les “John School’’ sont généralement issus de la classe ouvrière, de minorités visibles et d’immigrants pratiquant l’anglais en seconde langue (ESL), avec des niveaux d’éducation et de revenus comparativement faibles». Il serait erroné de dire que ceci est un échantillon représentatif des hommes qui payent pour des services sexuels au Canada. Plutôt, on peut supposer que les John Schools servent à punir une certaine frange de la clientèle dans l’industrie, ceux des classes socio-économiques plus pauvres et marginalisées. 

Encore aujourd’hui, certains programmes au Canada sont supportés par l’Armée du Salut ou d’autres associations chrétiennes. Cette organisation à but non lucratif, réputée pour son lourd passé et ses pratiques homophobes, a désormais le pouvoir d’intervenir dans l’industrie du sexe, d’en tirer profit et d’exercer un contrôle. Ces programmes utilisent les paniques morales autour du trafic humain pour détourner l’attention des besoins réels et des préoccupations exprimés par les TDS. 

Ces programmes n’ont rien de proche de la justice restaurative, comme certains programmes actuels s’en défendent. Plutôt que d’offrir une alternative à la criminalisation du travail du sexe, le modèle des John Schools étend la portée du contrôle et de la surveillance du travail du sexe à des agences non gouvernementales.

Pour des milieux de travail sans police, une résistance locale !

Même dans un contexte idéal de décriminalisation, les politiques municipales deviendront extrêmement importantes à surveiller, car elles constitueront un des principaux cadres réglementaires régissant la vie des TDS. Un bon exemple de l’étendu de ce pouvoir est la Ville de Campbell River qui, quelques jours avant le début du projet pilote de trois ans de décriminalisation de la possession de drogues en Colombie-Britannique, a adopté une nouvelle réglementation municipale visant à infliger une amende à celleux qui consomment des drogues dans l’espace public. 

Face à la menace constante des villes, nous devons réfléchir aux stratégies à mettre en place pour protéger nos milieux de travail. Dans une étude large sur les conditions de travail des danseuses au Royaume-Uni, les auteures concluent leur article en exposant le potentiel que pourrait avoir l’octroi des permis d’entreprises pour spécifier les standards pour les milieux de travail dans l’industrie du sexe. Selon Lo Stevenson, «si ces normes étaient négociées avec les TDS organisé.e.s, reflétant de manière adéquate leurs besoins et leurs préoccupations, un tel régime pourrait non seulement accroître l’autonomie et la solidarité des travailleur.se.s du sexe, mais aussi réduire le recours à des litiges coûteux et longs». Faire pression sur les autorités locales, par exemple auprès des conseils municipaux ou des régisseurs des licences pour demander des accords de permis d’entreprise à l’image de nos demandes ou pour bloquer les tentatives par les villes de fermer nos milieux de travail, pourrait être un moyen d’action intéressant. 

Le profilage est une tactique notoire utilisée lors des inspections de salons de massage, particulièrement pour les femmes asiatiques. En solidarité avec nos collègues migrantes, constamment ciblées par la police, il faut exiger de la Ville de Montréal ainsi que des multiples villes sanctuaires au Canada de respecter les engagements associés à ce statut et de cesser leur collaboration avec les services frontaliers pour la déportation des TDS avec ou sans statut. À Montréal, la collaboration entre la police et l’Agence des services frontaliers du Canada rend quasi impossible le recours à la protection du SPVM pour les TDS migrantes qui sont victimes d’actes criminels et d’abus.

Si les arguments de santé publique sont souvent mobilisés pour défendre la criminalisation du travail du sexe, nous croyons que la décriminalisation pourrait être bénéfique dans la réduction de la transmission des infections transmissibles sexuellement et par le sang. Dans le contexte actuel où les clients sont considérés comme des criminels, il est difficile pour les TDS de récolter les informations nécessaires des clients, car ils sont d’autant plus réticents à se soumettre à un processus de filtrage généralement mis en place par les TDS. Une communication avec nos clients, non teintée de la peur des autorités, aiderait beaucoup à la réduction de risques pour les deux partis impliqués. Si les clients pouvaient partager leurs informations personnelles avec moins de crainte de se faire arrêter, les TDS pourraient mieux choisir leurs clients. C’est pourquoi les municipalités canadiennes concernées devraient cesser d’appliquer la loi fédérale qui criminalise l’industrie du sexe ainsi que leurs programmes punitifs de John School. Les ressources libérées devraient être réinvesties dans des organismes communautaires offrant des services d’aide et/ou de réduction des risques directement aux TDS. 

Une voix pour les travailleur.se.s invisibilisé.e.s

Une voix pour les travailleur.se.s invisibilisé.e.s

Entretien avec Crystal Laderas du SWAN Vancouver

Latsami & Adore Goldman

Traduction par Astrea Leonis

SWAN (Supporting Women’s Alternatives Network) Vancouver est une organisation qui promeut les droits, la santé et la sécurité des femmes im/migrant.e.s TDS qui travaillent à l’intérieur à travers des services de première ligne et de défense collective des droits dans le Grand Vancouver depuis 2002. Latsami et Adore du CATS ont interviewé Crystal Laderas, responsable des communications du SWAN, pour en savoir plus sur les défis auxquels les TDS im/migrant.e.s sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne ainsi que sur leurs revendications en tant qu’organisation.

CATS: Votre organisation dénonce la façon dont les lois sur l’immigration ciblent les TDS et les mettent en danger. Pouvez-vous expliquer comment ces lois nuisent aux TDS ?

Crystal: Une femme nous a récemment dit qu’en raison de l’interdiction du travail du sexe imposée par l’immigration, elle sortait à peine. En dehors du travail, elle ne veut pas dire aux gens ce qu’elle fait. Elle leur ment parce qu’elle n’est pas à l’aise avec ça. Elle se tient donc à l’écart de toutes situations sociales et s’isole en permanence pour ne pas être repérée, et c’est en quelque sorte comme ça que les lois en matière d’immigration et de protection des réfugié.e.s impactent la vie des migrant.e.s.

Elle interdit à tou.te.s les résident.e.s temporaires, tels que les étudiant.e.s étranger.e.s ou les personnes titulaires d’un visa de tourisme, de travailler dans un strip club, un salon de massage ou un service d’escorte. Si vous êtes pris.e, vous êtes expulsé.e. Les gens sont donc constamment sur le qui-vive. Si vous vous retrouvez dans une situation où vous êtes attaqué.e et que vous voulez appeler la police, celle-ci vérifiera votre identité, et le cas sera automatiquement signalé à l’ASFC1.

Vous voulez aller à la pharmacie pour obtenir des médicaments, mais on vous pose trop de questions et on pourrait vous signaler à l’ASFC également, et vous seriez expulsé.e pour avoir essayé d’obtenir des soins de santé de base. 

Il y a aussi des cas extrêmes où vous travaillez dans un salon de massage et où la police fait une descente dans le cadre d’une enquête sur le trafic d’êtres humains. Pour les femmes, il y a souvent deux issues: soit elles disent qu’elles sont victimes de la traite, soit l’ASFC est appelée pour les expulser en tant que criminelles. Ces travailleuses perdent donc des droits fondamentaux comme l’accès à la justice, et même aux interactions humaines, à cause de certaines de ces lois.

CATS: Quelles sont les spécificités des TDS de la communauté asiatique avec lesquelles vous travaillez? Quels sont leurs besoins?

Crystal: Je pense qu’une grande partie de leurs besoins sont liés à l’accès aux services, mais qu’une grande partie des services traditionnels ne leur sont tout simplement pas accessibles. Par exemple, notre équipe de sensibilisation répond à de nombreux appels de femmes qui tentent d’accéder à des médecins de famille et à des pharmacies sans trop d’obstacles à l’accessibilité. Nous offrons des services en anglais, en cantonais et en mandarin. Les femmes demandent donc souvent à SWAN de les accompagner lors d’un rendez-vous médical pour que nous puissions faire la traduction. C’est normal d’être accompagné.e.s d’un.e proche dans les communautés asiatiques et pour les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s. Mais comme le sujet du travail est abordé au milieu de ce rendez-vous médical, elles préfèrent que le personnel du SWAN soit présent avec elles pour faire la traduction, afin que leur travail ne soit pas divulgué à leur famille. De plus, le personnel s’assure que les professionnel.le.s de la santé ne posent pas de questions inutiles pour éviter que le travail et le statut migratoire ne soient évoqués. Nous savons que certain.e.s prestataires de soins de santé reçoivent également une formation sur la lutte contre le trafic sexuel et, là encore, cela peut entraîner un appel à l’ASFC. 

Nous recevons également beaucoup d’appels et de questions sur les problèmes liés au travail, et c’est là que nous nous heurtons à des obstacles. Si le supérieur d’une femme tarde à la payer, si elle a été mise à l’horaire pour des heures qu’elle n’avait pas acceptées au départ ou si elle a simplement un différend avec un.e collègue, elle nous appelle. Nous pouvons essayer de trouver des solutions avec elle, mais comme le lieu de travail est criminalisé, nous ne pouvons vraiment rien faire de plus, car elle n’est pas protégée par la réglementation provinciale du travail. À ce stade, si nous ne parvenons pas à trouver des solutions dans le cadre du système, nous nous contentons d’écouter. Nous sommes là pour leur apporter un soutien émotionnel, car parfois, elles ont juste besoin de quelqu’un.e à qui parler, et ce n’est pas quelque chose dont elles peuvent toujours parler à leurs ami.e.s.

Nous avons été accusé.e.s d’être des trafiquant.e.s simplement parce que nous fournissons des services de traduction normaux et simples, comme le font de nombreuses communautés asiatiques et d’immigrant.e.s récent.e.s pour leurs proches. Dans ce cas, c’est différent parce qu’elles ne peuvent pas avoir leurs proches à leurs côtés. Nous devons donc nous opposer aux professionnel.le.s de la santé qui posent des questions un peu trop précises sur le travail des femmes ou encore sur leur statut. Par exemple, est-ce absolument nécessaire pour la santé de cette personne? Cela pourrait leur éviter d’être expulsées.

CATS: Votre organisation est très critique à l’égard du récit sur le trafic sexuel. Pouvez-vous expliquer pourquoi cela pose problème de considérer les TDS migrant.e.s comme des victimes ?

Crystal: C’est vraiment frustrant parce que cela rejoint beaucoup de récits de luttes contre le trafic sexuel et la façon dont ils ciblent les TDS asiatiques. Beaucoup de ces campagnes ou de ces applications de la loi s’appuient sur des stéréotypes racistes. Il y a beaucoup de sensationnalisme qui génère de l’argent avec des peurs et des idées racistes à propos de qui est la victime et qui est le méchant. Il y a le complexe du sauveur, l’influence de la religion et des idées morales. C’est juste un bon mélange de bullshit

Ils décident qui est la victime en fonction de la race, du statut d’immigration ou du pays d’origine, et non de la victimisation réelle. C’est comme si vous tassiez quelqu’un qui a été agressé dans la rue hors de votre chemin pour pouvoir défoncer la porte d’un salon de massage et sauver des Asiatiques, qui n’ont pas besoin de votre aide, qui n’ont pas demandé votre aide, qui sont en train de travailler et de se demander ce que vous pouvez bien foutre ici. 

Nous devons vraiment constamment insister sur le fait qu’il n’y a pas que les blanc.he.s de la classe moyenne qui ont la capacité de consentir au travail du sexe, mais le contre-discours est que ces femmes manquent d’agentivité, qu’elles sont impuissantes ou qu’elles se laissent facilement piéger. Je pense que, dans l’ensemble, ce discours est une sorte de déguisement créé pour cacher ce que ces groupes font réellement, à savoir essayer d’empêcher des adultes d’avoir des relations sexuelles en échange d’argent, ce qui ne regarde personne.

CATS: Avec toutes les preuves dont nous disposons aujourd’hui et tou.te.s les TDS qui racontent leurs histoires et font entendre leur voix, pourquoi pensez-vous que le gouvernement et la société dans son ensemble ne veulent pas changer et ne semblent pas vouloir aborder le sujet ou nous entendre?

Crystal: Je pense qu’au fond, cela se résume à ces croyances moralistes de longue date dans notre société, qui sont dépassées et sexistes. Les personnes qui influencent les lois ont un agenda moral, et les lois ont été façonnées par les opinions de la société, et à leur tour ces lois influencent la société, et il y a alors ce cycle horrible qui dure depuis des siècles. C’est ce que nous avons constaté lors de la récente contestation constitutionnelle. Dans sa décision, le juge de la Cour supérieure de l’Ontario a écrit que «le travail sexuel est intrinsèquement une forme d’exploitation» (ce qui, nous le savons, n’est pas vrai). Il a cité les lois canadiennes sur le travail du sexe et a fait écho aux arguments inscrits dans le préambule de la loi2. Le préambule parle de «dignité humaine et du préjudice social causé par l’objectivation du corps humain». Nous savons que l’ancien ministre conservateur de la justice, Peter MacKay, a rédigé cette loi et ce préambule. C’est comme s’il était présent lors du premier échange d’argent contre du sexe, écrivant avec une plume d’oie, en se disant «hmmm…»

C’est tellement archaïque et dépassé, et pourtant c’est ce qui façonne la loi, et cette loi influence la perception du public. En plus de ça, je suppose qu’il est peut-être plus facile pour le public de croire que tout le monde est exploité que d’accepter que les TDS ont le choix de faire ce travail.

CATS: C’est intéressant comme le cycle ne fait que se renforcer à cause de la loi; un juge peut facilement dire «oh ouais, selon la loi, c’est ce qui est dit, donc c’est ça».

Crystal: Oui, «Ça doit être un fait!». La loi a été rédigée par quelqu’un qui avait son propre agenda moral, et qui l’a rendu très évident dans la rédaction du préambule. Si vous entendiez quelqu’un parler ainsi en public, dans une institution ou dans un restaurant, vous vous diriez, «Hein? D’où est-ce que ça vient? Pourquoi cette personne dit à des gens quoi faire de leur propre travail et de leur propre vie?»

CATS: Les TDS migrant.e.s occupent une place particulière à l’intersection du mouvement des travailleur.se.s migrant.e.s et du mouvement des TDS. Est-ce un défi de naviguer à cette intersection? Avez-vous été capable de créer de la solidarité entre ces deux mouvements? 

Crystal: Pour être honnête, cela a été très difficile parce que ça donne l’impression de n’avoir notre place nulle part. Mais la vérité c’est que, tout comme il y a du racisme dans la société en général, il y a aussi du racisme au sein de notre mouvement. Donc, nous avons rencontré des personnes qui disaient: «Nous ne faisons pas de sensibilisation dans les salons de massage parce que toutes ces femmes sont victimes du trafic sexuel». C’est le même discours raciste que celui dont on vient juste de parler qui se répète. 

Il existe également une approche dominante «Out et fier.e» de la défense du travail du sexe, et je suis très reconnaissante à tou.te.s les activistes et organisations qui le font, mais cela ne fonctionne pas pour les femmes que nous soutenons. Prendre la parole à visage découvert n’est pas possible. Je vous parle parce que je ne suis pas une TDS, je suis une citoyenne canadienne et ma première langue est l’anglais. Ce sont des privilèges qui me permettent de parler. Nous essayons toujours de trouver des moyens peu contraignants pour que les femmes participent à nos activités militantes, et je peux vous dire qu’elles ont beaucoup de choses à dire, mais elles ne veulent pas être le visage d’un mouvement, elles ne veulent pas être filmées, elles ne veulent même pas que leur voix soit enregistrée. 

De plus, nous nous sommes efforcées d’établir des alliances avec les communautés de migrant.e.s, nous avons pris la parole lors de rassemblements, etc. Mais le travail du sexe peut être nouveau et inconfortable pour ces personnes aussi, et il est important de se rappeler que beaucoup d’entre elles viennent de pays où le travail du sexe est fortement criminalisé; il y a des peines très sévères pour le faire, ce qui a créé beaucoup de stigmatisation culturelle. Nous essayons de dire que ces TDS migrant.e.s sont aussi des travailleur.se.s migrant.e.s. Ce sont des étudiant.e.s international.e.s, des mères, elles ont essayé de travailler dans l’hôtellerie et l’hospitalité et ont été confrontées au racisme et à l’exploitation et sont parties, elles vivent dans la peur de l’expulsion et de la séparation des familles. Même si le travail n’est pas familier, il s’agit d’expériences et d’émotions très communes ressenties par de nombreuses communautés de migrant.e.s. Nous savons qu’il faudra du temps et de la compréhension. Nous avons un objectif commun et nous espérons qu’en luttant contre les politiques d’immigration enracinées dans le racisme, iels pourront le comprendre et que nous pourrons collectivement changer les choses. Mais c’est une intersection très intéressante dans laquelle se trouver.

CATS: La Nouvelle-Zélande est souvent présentée comme le modèle de décriminalisation. Pourtant, 20 ans plus tard, les TDS migrant.e.s ne peuvent toujours pas travailler légalement. Quelle stratégie devrait être mise en œuvre pour que la même chose ne se produise pas au Canada ?

Crystal: Oui, c’est une question difficile. Ce qui s’est passé en Nouvelle-Zélande n’était pas une décriminalisation totale, car le travail du sexe des migrant.e.s est toujours interdit et iels sont confronté.e.s aux mêmes problèmes et aux mêmes risques que si iels travaillaient ici. Je vais juste donner un exemple: lorsque SWAN s’est adressé au comité de la Chambre des communes [sur le statut des femmes pour son étude sur la traite des personnes] l’été dernier, les politicien.ne.s ont admis que nombre d’entre eux n’avaient même pas entendu parler de l’interdiction du travail du sexe pour les migrant.e.s.3 Donc nous devons vraiment faire passer ces messages encore et encore. Quel que soit l’endroit, nous menons des actions de sensibilisation partout où nous sommes, car même si les lois canadiennes sur la prostitution étaient abrogées, les migrant.e.s seraient toujours confronté.e.s aux mêmes risques. Cela ne changerait pas grand-chose pour elleux. Iels pourraient toujours être expulsé.e.s, iels pourraient toujours être détenu.e.s au centre de détention de l’immigration ici à Surrey, pour une durée indéterminée, sans traducteur.rice, traumatisé.e.s, ne sachant pas si iels reverront leurs enfants. Mais je dirais simplement que la Nouvelle-Zélande a été une expérience d’apprentissage et que cela ne peut pas se produire ici.

1. Agence des Services Frontaliers du Canada. ↩

2. Gouvernement du Canada. (2014). «Préambule», Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, récupéré de https://tinyurl.com/loipcepafr ↩

3. Pour en apprendre davantage sur les apparition de SWAN au sein du comité : SWAN Vancouver. (2023). SWAN Vancouver speaks to House of Commons Committee, récupéré de https://tinyurl.com/swanvancouver ↩

Contre-manifestation abolition prostitution sex work travail du sexe

Ne nous sauvez pas, on s’en charge!

Ne nous sauvez pas, on s’en charge!

Réponse à Lorraine Questiaux, avocate et militante pour l’abolition de la prostitution

Par Adore Goldman, Melina May et Cherry Blue

Contre-manifestation abolition prostitution sex work travail du sexe

Le 3 juin dernier marquait la fin du 4e Congrès mondial pour mettre fin à l’exploitation sexuelle des femmes et des filles à Montréal. C’est pour parlé de ce congrès que Lorraine Questiaux, avocate et militante féministe française, était invité à parlé à Tout un matin sur les ondes de Radio-Canada.1 Questionnée sur la contre-manifestation organisée par le CATS, elle a déclaré que nous nous tenions du côté des oppresseurs et soutenions un discours réactionnaire et libéral. Devant de telles grossièretés, nous tenons à rétablir les faits et rappeler les revendications du CATS auxquelles visiblement Questiaux ne s’est pas attardée.

Le Congrès se tenait du 1er au 3 juin à Montréal, et était organisé par plusieurs organisations locales dont la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelles (CLES). Cette dernière est connue pour ses campagnes annuelles entourant le Grand Prix de Montréal qui revendiquent, avec succès, davantage d’intervention policière dans l’industrie du sexe. 2

La programmation de la fin de semaine était choquante. Au programme, un atelier sur l’importance de la collaboration entre les ONG et les forces de l’ordre et une prise de parole de Julie Bindell, écrivaine et journaliste britannique notoire pour ses positions transphobes. Le 1er juin, l’ONG SPACE international et la Coalition Abolition Prostitution, qui chapeaute l’organisation du Congrès, ont appelé à une manifestation. En réponse, le CATS a organisé une contre-manifestation. Plus d’une cinquantaine de personnes ont répondu à l’appel, contrairement à ce que prétend moqueusement Questiaux, qui a dit en onde que nous n’étions que quatre ou cinq.

Comme on peut voir, les prohibitionnistes ont été choquées qu’on ne les laisse pas défiler à Montréal sans rien dire. Questionnée sur notre contre-manifestation, Lorraine Questiaux répond que:

le patronat a toujours trouvé ce qu’on appelle «les jaunes», des personnes pour dire qu’elles étaient libres d’accepter des conditions d’oppression quelles qu’elles soient, et dans le système patriarcal, c’est la même chose. On parle d’inceste heureux. D’ailleurs les hommes violeurs dans toutes les affaires, toutes les procédures, disent que les femmes sont consentantes. Le consentement des victimes, c’est la base idéologique de l’oppression. Il n’y a pas d’oppression possible sans la collaboration active des opprimés et une certaine partie des opprimés qui parlent, qui se mettent du côté des oppresseurs et qui les défendent. Ça a toujours été le cas et donc ce n’est absolument pas surprenant que ce discours libéral et ce discours réactionnaire nous soit opposé. 

Qu’est-ce qui pousse la juriste à s’emporter ainsi si ce n’est la constatation que le discours féministe carcéral n’a plus le vent dans les voiles? Car derrière ses prétentions radicales se cache effectivement un appel à plus de police dans nos milieux de travail et davantage de surveillance aux frontières.

En se rabaissant à nous traiter d’apologiste du viol, elle oublie que nous partageons avec le camp d’en face l’expérience commune de la violence dans l’industrie du sexe. Si nous ne l’avons pas vécu nous-mêmes, nous en avons été témoins auprès de nos collègues. C’est précisément pour cette raison que le CATS existe!

Car non, notre comité n’est pas un syndicat jaune qui collabore avec le pouvoir. Il faut rétablir les faits: c’est nous qui nous battons contre le modèle en vigueur depuis 10 ans au Canada. Loin d’abolir les violences patriarcales, ces lois criminalisent le fait de travailler à plusieurs pour assurer notre sécurité et accroient la présence policière sur nos milieux de travail. Cette présence policière est néfaste pour les travailleur.se.s du sexe  déjà criminalisé.e.s, comme celleux qui consomment des drogues. Rappelons également que la loi en vigueur interdit aux travailleur.se.s migrant.e.s de travailler dans l’industrie du sexe, sous peine de déportation, ce qui arrive régulièrement.3 Donc, s’il y a bien quelqu’un qui collabore avec l’État patriarcal, capitaliste et colonial, ce sont les abolos en faisant appel à l’intervention de son bras armé.

Bien entendu, Questiaux n’a pas daigné s’attarder à notre argumentaire, puisque nous ne faisons pas partie des happy hookers auxquelles elle veut nous associer. Le CATS est un comité de travailleur.se.s qui s’organisent entre travailleur.se.s pour de meilleures conditions de travail et donc, contre les violences. Nous ne nions pas que le travail du sexe vient avec son lot d’exploitation. Seulement, nous disons que c’est le cas dans toutes les autres industries. Notre désaccord est sur les moyens de lutter contre la violence et non pas sur l’existence ou la banalité de celle-ci!

Nous pensons que seule l’organisation sur les milieux de travail peut venir à bout de cette violence. En créant des syndicats, nous pouvons prendre en charge nous même notre sécurité et nos conditions de travail. La décriminalisation est le système légal qui faciliterait le plus notre organisation et nous donnerait accès aux protections minimales auxquelles ont droits tou.te.s les travailleur.se.s Nous le répétons encore une fois, nous n’avons pas besoin de la police ni de l’État pour nous défendre!

Ne nous sauvez pas, on s’en charge!

1. Tout un matin. (2024). « Entrevue avec Lorraine Questiaux, avocate et militante féministe » ↩

2. Daniel Renaud, Erika Bisaillon. (2022). «Le SPVM aura les clients et les proxénètes à l’oeil pendant le grand prix», La Presse.
En 2019, lors du Grand Prix de Formule 1, des policiers ont opéré une descente au Café Cléopâtre pour interroger les danseuses présentes. Au cours de leur intervention, ils ont pris des photos des tatouages des TDS pour supposément avoir des moyens d’identification si jamais elles étaient retrouvées mortes.↩

3. Lila Dussault. (2024). «Ces travailleuses du sexe qui risquent l’expulsion», La Presse↩

Ground Score Diaries

Ground Score Diaries

Par Jesse Dekel

Traduction par Adore Goldman

Quand on apprend le décès d’une de nos collègues, on a généralement pas besoin d’en connaître les circonstances pour savoir qu’il s’agit d’une mort violente. Je ne parle pas nécessairement du genre de violence qui se retrouve dans un podcast de true crime ou sur la première page du Journal de Montréal. Bien que ces histoires existent, il y en a souvent une multitude dont on ne parle jamais; des morts qui surviennent après une série de traumas et d’injustices; une série de fins de mois, d’appartements crados et de proprios véreux; une série de portes fermées, de guichets d’accès et de listes d’attente. La mort par désespoir.

Récemment, j’ai perdu une amie. Il y a de ces amitiés qui se créent dans la lutte et qui ont quelque chose de différent. Vous savez que malgré tout ce qui peut vous arriver, il y aura toujours cette expérience commune qui vous reliera. C’était comme ça avec Jesse.

Notre première interaction a été lors d’une rencontre du Comité autonome du travail du sexe. À l’époque, ça ne s’appelait pas encore comme ça. En fait, le projet n’avait pas encore de nom. Melina May et moi avions fait un appel à la mobilisation, et c’était la deuxième rencontre qu’on organisait. On ne savait pas trop ce qu’on voulait faire, et je ne sais même pas si on y croyait vraiment nous-même. On avait un peu le syndrome de l’imposteur. Mais désormais, on pouvait dire qu’on était trois et ça comptait pour beaucoup! 

Jesse n’avait pas peur de prendre la parole pour défendre les TDS. Elle ne le faisait pas parce qu’elle aimait son travail, mais parce qu’elle voulait s’organiser avec ses collègues pour en améliorer les conditions. Elle n’avait que faire de la charité; pour elle, nous n’avions pas de temps à perdre. Il fallait être politique si nous voulions obtenir des gains qui améliorerait vraiment notre vie!

Je me rappelle la première action que nous avions organisée le 1er mai 2021 avec le CATS. C’était elle et moi qui l’avions animée. Nous dénoncions le couvre-feu, l’absence totale de prise en compte des TDS durant la crise sanitaire de la COVID-19 et la répression. Jesse m’avait confié que ça avait été sa plus belle journée de l’année 2021. Elle a continué à s’impliquer malgré son retour en Nouvelle-Zélande à l’été 2021 et le décalage horaire de 18h. 

La dernière fois que j’ai parlé à Jesse, c’était le jour de la mort de Carole Leigh. Carole Leigh est la première personne à s’être définie comme TDS. Jesse avait posté dans sa story une photo de sa rencontre avec elle quelques années plus tôt alors qu’elle habitait à San Francisco. J’avais répondu à sa story, car j’étais impressionnée; pour moi, Carole Leigh était une légende en termes d’activisme pute. J’avais demandé à Jesse si elle voulait qu’on s’appelle bientôt. Elle avait dit qu’elle allait à Auckland cette semaine, mais qu’on pourrait s’appeler la semaine suivante. Finalement, Carole Leigh et elle sont décédées la même semaine.

Je pense que nous avons un devoir de mémoire quand nous perdons des gens. Je pense qu’une façon dont Jesse aurait aimé qu’on honore sa vie, c’est qu’on continue la lutte des putes et qu’on ne lâche rien.

Quelques semaines avant sa mort, Jesse m’avait envoyé un manuscrit de ses journaux du temps où elle habitait à San Francisco. Elle voulait les publier. Je lui avais dit que je lui donnerais un coup de main pour la relecture et pour l’envoyer à des maisons d’édition. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps. C’est pourquoi je me permets d’en publier quelques extraits ici.

Adore Goldman

Zine de Jesse Dekel distribué le 2 juin 2019 à Oakland dans le cadre de la Journée internationale des TDS

05.12.18

J’ai dormi comme de la marde, je n’arrêtais pas de me réveiller, inconfortable et frustrée à chaque mouvement.

Tôt ce matin, je suis partie de l’appartement d’Angel parce qu’elle devait être quelque part à 8h, et j’ai pris le bus jusqu’au HSRC1. Je suis arrivée là-bas à 9h, et Rose était en retard, et est arrivée à 9h50, au lieu de 9h30, alors je me suis juste assise en regardant du caca de chien.

La clinique Cole Street est cet endroit beaucoup trop LGBT friendly, avec un shitload de snacks gratuits (je m’en suis donnée à coeur joie) et le staff le plus patient. Malheureusement, je ne suis pas patiente. Et j’ai passé 3h30 là-bas, assise dans différentes salles d’attente, et j’ai vu un total de 3 docteur.e.s et intervenant.e.s.

J’ai parlé de tout ce qui intéresse les intervenant.e.s d’habitude. L’itinérance, les tentatives de suicide, la drogue, être sans-papier, etc. Il y avait beaucoup de blabla. J’ai fait un test d’urine et un test de tuberculose (finalement), et on a vérifié mon poids, qui était 149 livres/67 kgish. J’ai pris environ 5 kg depuis que je suis aux États-Unis. Être itinérante veut dire être bien nourrie, ou bien je fais juste trop manger à cause de la rareté de la nourriture? Je ne sais pas trop. Je dois quand même faire un test d’urine pour les ITS même si j’ai parlé au doc de mon manque de sexe. Ugh.

Éventuellement, j’ai reçu mes prescriptions américaines, et une nouvelle médication pour dormir parce que le Zopiclone est inexistant aux États ou quelque chose du genre.

J’étais là beaucoup trop longtemps et j’ai passé beaucoup trop de temps sur Shazam, c’était très ennuyant et stressant. L’intervenante a imprimé 50 pages de mon dossier médical. Euggh.

Parce que c’était tellement long et que j’avais une entrevue d’embauche à 14h, ils m’ont appelé un Lyft, et je suis arrivée à l’entrevue à New Door2 5 minutes en avance.

New Door est cette zone-endroit jeune, cool et branchée. L’entrevue consistait principalement de questions très personnelles (confidentielles, ne t’inquiètes pas!) à propos de mes antécédents judiciaires, de ma consommation de drogues, etc. Tellement bizarre. J’ai répondu à tout. Il y a deux semaines d’orientation payées début janvier et une entrevue de suivi la semaine prochaine. Alors, j’imagine que ça veut dire que j’ai la job, même si je pense que c’est le cas de tout le monde puisque c’est littéralement un programme d’employabilité.

J’ai marché directement à l’Hôpital Général de San Francisco, qui ne m’ont pas aidé du tout, parce que je n’ai pas d’assurance-voyage, et j’ai marché jusqu’à un Safeway, où on m’a dit que mon Concerta me coûterait 600$ USD, et mes hormones 120$. Fuck. Alors, je suis partie après avoir essayé d’appeler mes assurances et échoué à arranger tout ça.

Je suis tellement frustrée par tout ça!

J’ai mangé à une sandwicherie merdique et j’ai pris le bus jusqu’à Haight pour aller au service d’échange de seringue de la Homeless Youth Alliance parce que j’avais besoin d’un sleeping bag et de tests de fentanyl. Heureusement, j’ai croisé Rose, qui m’a amenée voir Sonya. J’étais tellement contente de la voir. Je l’adore. Elle est merveilleuse. J’aime comment elle me fait sentir. Elle est vraiment merveilleuse.

Après, je suis allée au HYA3 et j’ai été chercher des tests de fentanyl, un sleeping bag et des snacks. J’ai demandé pour mes hormones, et on m’a amené dans une genre de salle de soin et des gens très gentils m’ont donné des ressources très aidantes. Tellement de gentillesse.

Je suis partie et j’ai marché en rond pour me trouver un coin où m’installer sur le trottoir. Un gars, Randy, m’a dit qu’il y a une règle qui dit que tu ne peux pas te coucher/dormir avant 23h. Il m’a aussi dit cette blague. Quelle est la différence entre le thé de Medford et une bouteille de pisse. Les deux sont des bouteilles de pisse.

Medford est un gaillard allemand qui donne de la bouffe à des sans-abri, incluant du thé. Quel amour!

Je me suis trouvée une petite alcôve en face d’un magasin quétaine et en face de «The R Tours». C’est ici que je me couche dans mon sac de couchage bleu et que je dors sur le trottoir.

J’ai mangé dans un restaurant de tacos et j’ai brossé mes dents/lavé ma face/fait ma routine de nuit dans leur toilette.

Je vais dormir sur le sol, au chaud, dans mon sac de couchage bleu.

Collage de Jesse

06.12.18

Je me suis réveillée plein de fois cette nuit, la première fois pour aller sur une mission pipi agile. Et la deuxième fois, j’ai pissé sur un arbre à 20 mètres de mon sac de couchage.

À part ça, j’ai bien dormi.

Quand je me suis réveillée, je n’avais pas à m’habiller évidemment, alors j’ai juste pris le bus vers l’appartement de Tom Weddel. Un gars russe (autoproclamé) fulminait et était super raciste, alors j’ai argumenté avec lui. Il disait aussi que tout son argent + ses coupons venaient de la sécurité sociale et a fait un drôle de commentaire sur la meth de la Nouvelle-Zélande.

J’ai attendu presqu’une heure à la clinique, même si j’étais la première arrivée, 15 minutes avant l’ouverture, parce que je suis une idiote et que je ne suis pas allée à la bonne place. J’ai rencontré quelques docteur.e.s, Shannon et le Docteur Zabin, qui a arrangé mes affaires d’hormones et écrit une lettre à la San Francisco General Pharmacy à propos de mon adhésion aux assurances de la ville ou quelque chose comme ça.

Un docteur m’a donné plusieurs tests de fentanyl, et le Docteur Zabin m’a demandé d’apprendre comment utiliser le Narcan, un médicament qui est donné aux personnes qui font des surdoses d’opioïdes. Alors une autre infirmière m’a amené dans une salle, elle m’a fait une démonstration rapide, elle m’a donné du Narcan et elle m’a enregistré comme possédant du Narcan dans un registre. Alors maintenant, j’ai plein d’aiguilles neuves en ma possession, des tests de fentanyl et un buvard d’acide.

On a testé un petit bout de mon acide pour le fentanyl. J’ai mis des gants et j’ai coupé un petit morceau avec des petits ciseaux. Heureusement, il n’y avait pas de fentanyl et je suis juste folle.

Après ça, j’ai marché jusqu’à chez Thomas et j’ai récupéré mes verres de contact et mon sac que j’avais laissé là-bas. Il avait un ami à la maison, qui m’a parlé de ressources pour les personnes trans sans-papier. J’ai utilisé les toilettes pour brosser mes dents, etc, j’ai laissé quelques trucs à donner et après je suis partie vers le HSRC.

J’ai beaucoup mangé et j’ai parlé avec Sonya et Rose. Camila m’a offert de travailler comme représentante durant une entrevue pour une stagiaire, payé par carte-cadeau, et j’ai accepté. Alors, une heure après la fermeture, je suis restée et j’ai participé à une entrevue malaisante et tapageuse, laquelle consistait surtout de questions sur si la personne avait été itinérante et si non (non), comment elle serait capable de connecter avec des jeunes sans-abri. Il y avait beaucoup de représentation et de défense du quartier. C’était malaisant. J’ai demandé la question obligatoire: «As-tu des ami.e.s transgenres» pour laquelle j’avais surement été approchée, et elle a dit non.

J’ai reçu ma carte-cadeau et j’ai parlé à Camila, Rose et Sonya à propos du refuge Jazzys. Ils auront peut-être un lit demain soir. Alors, je rencontre Sonya demain à 10:30 am au HSRC, et après je vais au Jazzys. Je pense à faire du travail du sexe. Ça semble une bonne façon de faire de l’argent dans ma situation, mais je ne sais pas vraiment. J’en ai parlé à Sonya, et elle a dit qu’elle ne le recommandait pas, mais qu’elle peut me donner de bonnes ressources si je décide de le faire.

Alors, j’ai décidé d’aller au SF General, et Angel m’a dit que c’était ouvert jusqu’à 19h. J’ai pris de l’argent pour faire mon lavage et j’ai pris un bus pendant une demi-heure. Angel s’était trompée. Ça fermait à 17h. Il était 17h20. Alors, j’ai décidé d’aller au SF LGBT center parce que je pensais qu’ils étaient ouverts. Je m’étais trompée, le programme jeunesse fermait à 18h. Il était 18h15. Alors, je me suis rendue au Contemporary Jewish Museum et j’ai dépensé 5$ pour voir une exposition. C’était plutôt bien, il y avait un tatoueur juif qui s’appelait «Lew the Jew» et une expo sur les vêtements juifs. Il y avait un atelier de broderie, et j’ai brodé un fil d’or à travers une fleur.

J’ai accidentellement volé plein de nourriture à un événement privé. Je n’avais aucune idée que c’était un événement privé avant d’avoir tout mangé. Je me sentais un peu mal. Je pense que c’était le party de retraite d’une gentille vieille dame juive.

J’ai décidé de rester dans une auberge de jeunesse. J’ai été sur Agoda et j’ai loué une chambre à 30$ la nuit au Amsterdam Hostel. En m’y rendant, j’ai vu une longue file en avant du Gamestop. Tout le monde attendait pour le nouveau jeu de Smash Bros, Super Smash Bros Ultimate. Je suis arrivée au Amsterdam Hostel et j’ai sauté toute excitée dans la douche pour me rendre compte qu’elle était cassée et que je ne pouvais pas non plus me servir du bain parce qu’il n’y avait pas de bouchon. Alors, j’ai utilisé le robinet du bain en m’aspergeant d’eau savonneuse pour 30 minutes. C’était vraiment stupide. Ugh. Je suis stupide.

12.12.18 Je suis fatiguée de tout ce bordel. J’ai été au HSRC aujourd’hui bla bla bla. Parlé à Sonya. J’ai imprimé des CV adaptés à des jobs de services et je les ai distribués à quelques endroits. On a croisé une exposition qui affichait des feuilles de buvards et on a vu des murales à la Alex Gary. On a traîné au LGBT center, et j’ai joué à Fire Emblem et j’ai regardé Blue Planet 2. Après, je suis allée à la St. James Infirmary4. L’infirmerie des travailleur.se.s du sexe. J’ai rencontré une intervenante en reduction des méfaits à qui j’ai parlé de mes hormones et de travail du sexe. Je suis tellement léthargique, et ma narine droite est irritée pour aucune raison apparente.
Collage de Jesse

Je suis arrivée à la St. James Infirmary et j’ai pris l’ascenseur jusqu’au 4e étage où je me suis enregistrée avec une réceptionniste et j’ai rempli plusieurs formulaires. Ensuite, j’ai attendu dans une salle communautaire où un film gai de Robin Williams jouait, et il y avait de la nourriture et des vêtements gratuits avec une politique de «tu l’essaies, tu le gardes». J’ai pris des croissants et un sac de nourriture. Quelqu’un a complimenté mon collier, et j’ai parlé avec une travailleuse du nouveau Smash Bros. Tout le monde était gentil. On m’a donné un numéro (54) pour voir un docteur/une intervenante, et après 15 minutes environ, elle est venue me chercher. La porte de la salle de rencontre ne voulait pas s’ouvrir, alors elle m’a demandé de me rasseoir et est revenue me chercher quelques minutes plus tard.

Elle m’a fait parlé de tout ce qui se passait. «Tu es sans-papier, trans, qui essaies d’avoir des hormones et sans-abri». Elle a dit que ça sera difficile à San Francisco. Très difficile. Elle m’a avertie.

Je lui ai demandé comment faire du travail du sexe et elle m’a tout expliqué. Elle m’a demandé si j’avais peur, et j’ai dit que j’avais surtout peur que la police m’attrape et me déporte plus que tout. Elle m’a dit que ça n’arriverait pas. Elle m’a dit de demander l’argent en premier. Et d’être toujours gentille. Je dois m’arranger. Et porter des talons. Et une mini jupe.

On a parlé de l’accès aux hormones, et elle a dit que je devrais sûrement juste les payer. Elle m’a aussi dit où trouver du travail, et à quoi m’attendre en termes de tarifs, et quoi faire. Elle m’a dit quoi porter, et comment avoir des clients. Elle a dit que j’étais jeune et trans, et que je pouvais vendre ça. Je dois juste travailler.

J’ai demandé des ressources pour les TDS, et elle m’a demandé si j’avais déjà fait du travail du sexe. J’ai dit non, et elle m’a tout dit. Elle m’a dit à quoi m’attendre, où aller et comment être certaine d’être payée.

Elle m’a donné des talons hauts et sa carte et m’a dit: «Je m’inquiète pour toi.» et «J’espère que cette ville ne va pas t’avaler.» et «Mais tu peux le faire.» Elle est une femme trans australienne de 60 ans qui a travaillé comme showgirl à Vegas dans les années 80.

Je me sentais léthargique et je n’arrivais pas à faire fonctionner Google Maps alors j’ai marché après avoir échoué à trouver l’arrêt du 2e bus.

Je me sens fatiguée et stupide et merdique. Je ne peux pas écrire correctement. Je fais toujours des erreurs. Rien ne change. Je veux juste jouer à des jeux vidéo toute la journée. Je ne veux pas être ici. J’en ai marre de cet endroit. Je ne sais pas ce que je veux faire. Je n’ai aucune motivation. J’haïs tout. Qu’est-ce que je suis supposée faire??? J’haïs ça. Est-ce que je devrais partir? Ça me rappelle quand j’étais itinérante à Wellington. Je me disais: «J’essaie si fort de trouver une place ici, mais je ne vois pas pourquoi cet endroit en vaut la peine. Je le déteste. Il n’a rien de spécial.» C’est ce que je ressens encore. Qu’est-ce que je fais à San Francisco?

Collage de Jesse

09.03.19

Aujourd’hui, j’ai finalement terminé la vérification de mon compte pour le paiement par internet et commencé à cammer.

C’était vraiment difficile au début, mais tranquillement, après avoir été en ligne pour une heure au total, j’ai eu 11 spectateurs en même temps. Les gens commentaient que mes lèvres étaient sexy et m’écrivaient en privé. Un d’eux est devenu mon modérateur pour un moment et m’a donné des conseils sur comment teaser. J’ai beaucoup aimé l’attention, et honnêtement, j’étais à moitié dure tout le long, même si j’étais toute habillée. J’ai pris le faux penis DUREX de pratique [volé dans le bureau du docteur] et je l’ai sucé. J’ai seulement gagné 1 token, ce qui équivaut à 5 cents dans toute l’heure, mais j’ai eu deux offres pour rencontrer des vieux hommes, un en échange de 200$. J’ai vraiment aimé ça et je dois m’améliorer. Je dois apprendre à utiliser les apps et les bots comme il faut, pour que mon broadcast fonctionne bien. Je vais essayer demain.

Finalement, je n’avais même pas besoin de vérifier mon compte de paiement et j’aurais pu commencer plus tôt. J’imagine lundi. Fuck.

J’ai vraiment fucking aimé l’attention sexuelle. Je ne me suis jamais sentie désirée avant.

Une personne a rejoint le chat et a demandé combien de pouces je faisais. J’ai répondu que j’utilisais le système métrique et il est parti.

Fun fun fun.

À part ça, j’ai seulement regardé des animes et j’ai travaillé sur un article humoristique «Top 10 des endroits pour pleurer»5. Je me demande s’il sera vraiment accepté.

À 4h30, je suis allée sur Haight et j’ai regardé des vieilles figurines de films d’action à Amoeba Records.

J’ai acheté un chandail jaune à manche longue en mesh pour 10$ à K-POK et j’ai parlé avec Frankie et Drew qui étaient assis près de là.

Il y avait une expo d’art vraiment cool d’une toute petite télé cathodique qui jouait des animes en boucle au Red Victorian. J’aimerais faire quelque chose comme ça.

Je suis retournée à la maison et j’ai regardé Berserk Arc 1 avec Kat et Antoinette en partageant un smoothie aux fruits et au granola et une pizza. Le film était moyen comparé aux animes de 1997.

Après, j’ai étudié le HTML à l’ordi un moment et j’ai parlé avec mon cousin Guy pour lui souhaiter bonne fête.

Je suis malade, et mes lèvres sont irritées. J’ai rêvé que j’essayais de mémoriser de la musique et un concept de comédie. Il y a quelque chose dans mes yeux. Je me sens seule, sauf quand je ne le suis pas. Je suis triste, sauf quand je m’ennuie. Je m’ennuie quand je ne suis pas stressée. Je suis occupée quand je ne suis pas organisée. Je suis une ennuyante, stressante contradiction, qui n’a rien à offrir dans un futur proche.

J’ai annulé tous mes plans parce que je suis une terrible merde.

Je dois étudier. Je dois lire. Je dois écrire. Je dois relaxer. Je dois…

Demain, je vais peut-être acheter une Nintendo Switch. Au pire, ça va me donner quelque chose à écrire. Et je vais me crosser pour des étrangers qui complimenteront le potentiel d’élargissement de mes seins.

J’aime sucer le genre de dildo et avoir l’air salace. Je veux qu’on me veuille. J’espère que j’aurai de l’argent parce que fuck, qu’est-ce que je fais à être itinérante. Ahhh… tout est bizarre, fuck.

Je suis une freak répugnante en régression. Je suis hideuse, je suis dégoûtante. Je suis un goblin. Laide. Laide. Freak. Goblin.

Collage de Jesse

23.03.19

Ce matin, j’ai eu une date avec Kat. Je pense que ça s’est bien passé. On s’est assises et on a parlé au Coffee To The People pour quelques heures et après, on a marché vers Haight. On a regardé les magasins.

J’ai acheté un zine DIY de Silver Sprocket.

La seule affaire qui était off c’est qu’on est passé devant des Dirty Kids, comme Misha, et Kat m’a demandé si je faisais du «bénévolat» avec elleux. Ce qui sonnait condescendant ou quelque chose comme ça. Je ne suis pas vraiment sûre comment articuler cette émotion/réponse. J’aime quand même sa compagnie et elle est très cute.  

J’ai dit en blague que ses lacets en cuir étaient «vraiment gais» et elle m’a dit qu’elle trouve ce genre de commentaire bizarre. Ahh.

Je l’aime bien par contre et j’aimerais passer plus de temps avec elle.

On est allé manger au resto de tacos sur Belvedere, mais à 14h30 environ, elle a dû partir parce que la charge virale de son ami séropositif était vraiment élevée, et son infirmière n’était pas là pour l’aider.

Après la date, je suis allée à la maison. Et à 18h, j’ai décidé d’aller au magasin de bande dessinée pour la vente/party de fermeture. Ça m’a pris 40 minutes pour m’y rendre, et la place était remplie de nerds américains insupportables debout devant le rack de bande dessinée que je voulais regarder.

J’ai fini par acheter une pin de Saga qui était en vente à 50% pour un total de 5$. Puis, je suis partie. L’événement m’a donné une attaque de panique et je n’ai vu aucune BD qui m’intéressait.

Après ça, j’ai pris le bus jusqu’à un McDonald qui était aussi vraiment plein et j’ai laissé tomber. J’ai pris le bus jusqu’à la maison.

J’ai regardé quelques épisodes de Jojo, et à 23h, j’ai commencé à diffuser sur Chaturbate.

En tout, j’ai fait 32,25$ de tokens. Un gars nommé Al a rejoint mon chat et m’a donné du tip. À un certain point, il m’a envoyé son numéro de téléphone et il a fini par me convaincre de l’appeler en bloquant mon numéro.

J’ai commencé à parler à Al au téléphone. C’est un électricien de 35 ans qui habite à Santa Clarita et sa fête était le 17 ou 18 mars.

Il aime seulement les filles et a dit des choses gentilles à propos de mes lèvres.

J’ai mis un mot de passe à mon broadcast et il m’a payé en tokens pendant que je me déshabillais et que je me touchais.

On a eu du sexe au téléphone pendant qu’il se branlait.

Après avoir fait semblant de le rider, et avoir fait quelques positions, je me suis masturbée jusqu’à ce que je vienne.

Après, il s’est branlé jusqu’à ce qu’il finisse, et il m’a envoyé 625 tokens je crois.

C’est cool. Je suis une travailleuse du sexe.

La première fois, j’ai fait 1 token. La deuxième fois, j’ai fait 100 tokens et la troisième, j’ai fait 625 tokens. J’espère que j’apprends un peu.

07.04.19

Ce matin, après 2 annulations (une de Bualia et une de ce gars, Dan, que j’ai rencontré à Comix Experience), j’ai décidé d’essayer de mettre une affiche pour faire des lectures de tarots. À 11h45, je suis allée sur Haight où Peaches, Curls et Catfish étaient et je me suis assise en face d’un magasin avec mon affiche.

J’ai fait ça pendant 2 heures. Deux punks croûtés sont venus me demander si j’avais vu leur chien et ont été des vrais connards. L’un d’entre eux m’a acheté une pin pour 30 cents et l’autre m’a demandé une lecture gratuite, puis se sont mis à deux pour me faire la leçon sur comment lire le tarot. Ils ont pilé sur mon affiche, même quand je leur ai dit d’arrêter. Connards.

Collage de Jesse

J’ai écrit (hébreu) lecture 5$ sur l’affiche, ce qui se traduit dans un hébreu grammaticalement incorrect par «trou de cul lecture 5$». J’ai fait 7,32$ en tout. J’ai donné une lecture. C’était de la marde.

J’ai abandonné à 14h et j’ai dépensé tout l’argent que j’avais fait en m’achetant une pointe de pizza, un Arizona et des nachos.

Les deux gars qui se promènent nus en portant seulement ces trucs de chasteté sont passés près de nous. J’ai dit à Curls que j’irai leur quêter en blague, ce que j’ai fait. «Je n’ai pas de change sur moi. Où je le mettrais?»

Ensuite, je suis allée à la maison juste à temps pour une rencontre collective avec pizza. J’ai dit qu’il faisait trop chaud dans la maison, et Cocoa a fait des blagues insinuant que c’était à cause de mes hormones et elle m’a demandé si j’étais en ménopause.

Plus tôt ce jour-là, elle a dit qu’il y avait un show de drag auquel nous étions invitées hier soir, mais j’ai dit que j’étais «incroyablement high sur la coke» alors je ne pouvais pas y aller. Elle a ri.

J’ai regardé Jojo et à 21h30 je suis retournée dans la rue. Peaches était fatiguée, alors elle est allée se poser et j’ai vu Toast. Je suis allée au dépanneur acheter une boisson gazeuse, et un homme à côté de moi n’arrêtait pas de sacrer/se parler très fort. Je n’ai rien acheté et quand je suis sortie derrière ce gars, le proprio du dépanneur lui a crié après, en lui disant de rendre une canne qu’il avait supposément volé. Toast lui a dit de la rendre et le proprio du dep a dit à Toast: «Pète-lui la gueule». Le gars a dit que c’était du harcèlement et a menacé d’appeler la police. Toast lui a dit: «Fou le camp de mon bloc» et a compté jusqu’à 5. Un bus s’est arrêté parce que le gars était au milieu de la rue, et puis, il a frappé à la porte et a dit: «Laissez-moi entrer, ce gars me dit de me pousser de son bloc maintenant.» Le bus l’a laissé rentrer, et pendant qu’il s’en allait, Toast le poursuivait en frappant à la vitre et en hurlant: «Je savais que tu m’écouterais. Bitch!» Que d’aventures!

Fuck les malades mentaux? Ce monde. Sucks. Fuck.

Quelle fin de semaine gâchée.

À la maison, j’ai cammé et le gars de Santa Clarita est revenu sur mon broadcast et je l’ai appelé. On a organisé un show privé à 30 tokens par minute, dans lequel je me suis mise nue et je me suis branlée, mais je ne suis pas venue. Il a dépensé environ 500 tokens sur moi et quand il n’en avait plus, on a arrêté l’appel.

J’ai arrêté de cammer après ça.

Gaaaaaaaaaah. Je peux sûrement faire plus que me branler et regarder des animes? Non? Probablement pas alors?

Au moins j’ai fait de la cocaïne.

Collage de Jesse

01.06.19

Ce matin, je suis allée dans Castro6 pour vendre quelques livres au Dog Eared Books, et pour voir la synagogue historique gaie de Sha’ar Zahav. Tous les services étaient finis au temple, alors c’était une perte de temps, et j’ai seulement reçu 4$ pour les livres.

Je suis allée à la maison et après, à 17h, je suis allée au bureau du DSA7 pour l’événement de création de pancartes féministes socialistes. J’ai reçu un email ce matin de Lia qui disait qu’elles m’avaient nominée comme l’une des nouvelles co-présidentes féministes socialistes, mais évidemment, je ne vais pas le faire si je quitte la ville. Alors, tout l’événement était malaisant parce que je ne voulais pas aborder le sujet.

J’ai fait plein de macarons avec la machine et des pancartes qui disaient «Sex Work Is Real Work» ou «TERFS and SWERFS Fuck Off», et j’ai mangé beaucoup de fruits pendant que j’y étais.

Christian du ILWU8 a dit qu’il allait au party du ILWU, alors je m’y suis invitée et j’ai pris la 33 jusqu’à Mission avec Lia. Je leur ai dit que je partais pour Montréal. Ça s’est bien passé.

Je suis arrivée à l’hôtel Hilton où était le party à 20h30 et j’ai rencontré Kevin et cet autre gars du DSA. On est rentré, et j’étais immédiatement entourée de ces riches démocrates libéraux de la classe dirigeante.

Une dame riche et chic a échappée des crevettes sur le plancher et a fait comme si de rien était, alors je lui ai dit et elle est retournée les ramasser. Hehe.

Le party était vraiment malaisant. Tout le monde était tellement riche et je n’étais pas à ma place. Tellement d’héritier.e.s. Kevin et l’autre gars sont venus avec moi au fucking party de YIMBY9 en haut, et le garde m’a arrêté pour me demander si j’étais «à la bonne place» (en regardant mes vêtements), alors je lui ai dit que oui.

Le party était fucking coincé. Il y avait une chirurgienne plastique qui parlait à Kevin de comment Bernie essayait de la «pimper» ou quelque chose comme ça, et toute la foule de riches fucking bobos me donnait envie de vomir.

Un gars m’a fait la leçon à propos des liens entre  l’économie du ruissellement et la valeur des logements, et j’avais envie de pleurer. Je n’étais tellement pas à ma place, et le barman m’a demandé d’enlever mon sac parce que j’avais renversé des serviettes de sa table. Il y avait du vin gratuit par contre.

C’était tellement haut dans la tour, et cet environnement bizarre est devenu emmerdant. Je suis retournée en bas et j’ai rencontré Jennifer du syndicat des locataires et Kate-Mary du DSA. Et Xavier du DSA. On est allé acheter de l’alcool et Jennifer m’a acheté une bière Anchor Steam. Puis, on est allé au Moscone Center au coin de Howard et de la 4e.

À un certain point, quand je partais du party de YIMBY, cette personne du DSA East Bay dans cette robe thématique du système de transport avec tout plein de macarons politiques m’a parlé dans l’ascenseur. Aussi occupé par les bobos. Je me suis plaint d’être mal à l’aise en présence des riches, et elle m’a dit que c’était une habileté politique importante. Ugh.

On est arrivé au centre et on est allé au party de la campagne 2020 de Bernie. Bernie Sanders lui-même venait de quitter la conférence. On a bu et j’ai rencontré Jen Snyder.

On est allé à un party d’infirmières pour de la nourriture et de la bière gratuites, et puis d’un party à l’autre comme ça. Je suis devenue saoule, et Christian m’a dit de lui envoyer un email à propos du syndicat de travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande, pour qu’il puisse parler à Bobby de syndiquer les travailleur.se.s du sexe avec cette précieuse information.

Jen Snyder, son consultant politique, Jim, et moi avons niaisé et beaucoup bu. À un certain point, ce libéral avec un chandail de «Ruth Bader Badass» m’a sermonné à propos de mon t-shirt «Nazi Punks Fuck Off» et m’a dit qu’il ne pensait pas qu’il y avait encore des Nazis et que American History X était juste un film.

On s’est encore plus saoulé et nous avons ri de la playlist style bal de finissants. Éventuellement, on s’est fait mettre dehors et j’ai vu un gars courir après Pelosi avec qui je m’étais lié d’amitié. Il disait lire de la poésie dans Mission et qu’on lui lançait des légumes jusqu’à ce qu’il se mette à fumer du weed avec les lanceurs.

Jen nous a commandé un Lyft pour aller sur  Haight et j’ai marché jusqu’à la maison. Quelle bizarre de soirée.

03.06.19

Hier, c’était le premier jour depuis les presque 7 mois que je suis aux États-Unis que je n’ai pas écrit dans mon journal. Je me sens un peu comme de la marde, mais aussi heureuse que je m’y sois tenue si longtemps, sans m’arrêter.

Alors, j’imagine que je vais juste réciter les événements des deux derniers jours.

Hier matin, je me suis réveillée à 9h30 et je n’avais pas assez de temps du tout pour prendre une douche, alors j’ai juste mis des vêtements et pris le bus jusqu’au bureau du DSA pour rencontrer Lia pour qu’iel me donne un lift à l’événement pour la Journée internationale des travailleur.se.s du sexe qui se tenait à la Oscar Grant Plaza, à Oakland.

Collage de Jesse

Jay était là aussi, et nous avons rempli l’auto de Lia avec les trucs du DSA et conduit jusqu’à Oakland.

L’événement était super. J’ai remarqué que j’avais un grand sourire dans la face la moitié du temps et j’ai juste fucking adoré me sentir aimée comme si je faisais partie d’une communauté. Je suis une travailleuse du sexe. Je suis l’une d’entre iels. Iels sont comme moi. J’ai l’impression que le travail du sexe indépendant est un travail solitaire et que trouver une communauté est difficile, mais d’être entourée d’autres travailleur.se.s du sexe était tellement collectif, chaleureux et bienveillant.

Carol Leigh, aka Scarlet Harlett, la personne qui a inventé le terme «travail du sexe», m’a interviewée sur le fait que les lois contre le trafic sont oppressives et emmerdent les travailleur.se.s du sexe, et sont aussi une entreprise lucrative de plusieurs milliards de dollars pour les ONG réactionnaires chrétiennes.

J’ai donné mon zine sur le travail du sexe à la table du DSA aux passant.e.s et j’ai mangé des bagels, des fraises, etc du kiosque Coffee Not Cops.

Après l’événement, Lia m’a donné un lift jusqu’à Mission et la 24e, et j’ai mangé du McDonald, puis j’ai été en skate jusqu’à l’arrêt de la 33 au coin de la 16e et Mission. Le bus a mis une demi-heure à arriver, et je suis seulement restée à la maison quelques minutes avant d’aller au gala de financement du St. James Infirmary.

On m’a laissé entrer dans un gala beaucoup trop fancy avec un garde de sécurité et des «mixologistes» dans des chandails moulants, et quand Jay est arrivé, on est allé dans la zone du gala qui coûtait en fait 200$.

Jennifer Holliday de Dream Girls a chanté et je me sentais comme dans un film. Christina Aguilera était là aussi apparemment. 

De retour en bas au party, Molly et Eugenica, que j’avais rencontré à l’événement de la journée des travailleur.se.s du sexe sont arrivées. Jay est parti, et comme je commençais a être pas mal pompette, j’ai été invitée à un after-after-party dans une chambre d’hôtel.

Nous sommes parti.e.s en petit groupe en Uber à cet hôtel huppé, et Molly n’arrêtait pas de me payer des verres. Un qui avait des olives dedans avec un goût dégueu.

Nous nous sommes rendu.e.s en groupe jusqu’à une chambre d’hôtel, où nous avons bu et sniffé de la cocaïne dans les toilettes. Molly a dit: «Tu es vraiment cute. Veux-tu qu’on s’embrasse un peu?» et j’ai dit: «Je suis vraiment désolée, mais non.» Nous nous sommes ensuite toustes fait mettre dehors par la direction de l’hôtel pour une raison quelconque, alors nous sommes allé.e.s faire une drôle de tournée des bars de laquelle je ne me souviens pas vraiment. Juste boire, pisser et Molly qui tenait mes cheveux pendant que je vomissais dans les toilettes.

Molly m’a commandé un Lyft jusqu’à la maison, et à 3:30 du matin je suis arrivée. Je me suis endormie immédiatement toute habillée, sans prendre mes médicaments ou écrire dans mon journal.

Ça, c’était hier.

Ce matin, je me suis réveillée avec un terrible mal de tête et une grosse gueule de bois. J’ai vomi dans les toilettes et à 10h, j’avais une rencontre avec mon intervenante de suivi, Kristina. Je lui ai dit que j’avais une migraine et j’avais ma tête endolorie dans mes mains tout le long du rendez-vous. La rencontre a duré seulement 15 minutes, et je suis retournée dormir après ça.

À 12h, j’avais mon rendez-vous avec Dafna et j’ai encore vomi. Tellement fort que j’en ai pleuré. Je lui ai dit que j’étais tombée de mon skateboard, et elle a renouvelé mes ordonnances.

Je suis partie vers le HSRC après ça et j’ai donné des stickers que j’avais reçu à l’événement de la journée des travailleur.se.s du sexe. Un dessin animé des années 90 jouait sur YouTube, et j’ai mangé des pâtes pour couper ma nausée dégueulasse.

Je suis partie et je suis retournée dormir à la maison. J’étais tellement hangover. Christopher est venue me porter ses nouvelles clés de maison, puisqu’on a n’a plus d’intervenante de jour et qu’on peut juste rentrer seul.e. Fucking cool.

Alice est rentrée à la maison, et pendant que j’étais en douleur dans mon lit, je lui ai demandé de googler les symptômes d’une cage thoracique fracturée. Tous les symptômes correspondaient, sauf la douleur au toucher. Ça fait tellement mal. J’aurais aimé l’avoir mentionné à Dafna. J’espère qu’après la thérapie demain, je pourrai voir le docteur.

On a commandé du Burger King, et j’ai passé la plus grande partie de la journée à faire la sieste. J’ai regardé la fin de Leave No Trace, que j’avais commencé dans l’avion il y a 6 mois. Quel suspense!

Je pense que mon hangover est en train de passer. Je suis tannée de me sentir comme de la marde.

C’était deux drôles de journées.



Jesse prend la parole lors du rassemblement du 1er mai 2021, la première action du CATS en réaction à l'absence de droits et protections pour les TDS durant la pandémie.

1. Réfère probablement au Haight Street Referral Center, un centre de jour pour les jeunes de la rue à San Francisco. ↩

2. New Door est un organisme sans but lucratif qui offre des programmes d’employabilité aux jeunes de San Francisco. ↩

3. Homeless Youth Alliance. ↩

4. La St. James Infirmary est une organisation à but non lucratif par et pour les TDS qui dessert l’ensemble de la baie de San Francisco. C’est la première organisation de santé et sécurité dirigée par les TDS pour les TDS aux États-Unis! Les membres de COYOTE, la première organisation de TDS aux États-Unis, comme Margot St. James et Priscilla Alexander, ont fondé la clinique. ↩

5.  Jesse Dekel. (2019). Top 10 Places to Cry, récupéré de https://tinyurl.com/top10jesse ↩

6. Quartier gai de San Francisco. ↩

7. Democratic Socialist of America. ↩

8. Réfère probablement au International Longshore and Warehouse Union. ↩

9. Réfère à «Yes In My Backyard» (Oui dans ma cour) en opposition aux NIMBY – «Not In My Backyard» (Pas dans ma cour). Jesse voyait ces deux tendances comme des tactiques de gentrification, mais les YIMBYs ont une approche plus pernicieuse de s’occuper de l’itinérance et de gentrifier les quartiers. Le mouvement des YIMBYs veut «s’attaquer à la crise du logement» par le zonage et en augmentant le nombre de logements, sans reconnaître l’importance de la classe dans la question du logement en la réduisant à une question de demande et d’offre. ↩

$andwich blues

$ANDWICH BLUES

Maxime Holliday

Le 20 février 2021, j’suis embarquée dans ma voiture pour aller visiter l’agence d’escortes la plus près de chez moi. J’étais pu capable de travailler en restauration pis j’avais besoin de plus de temps pour faire de la musique. Mais le loyer de mon 4 et demi allait pas se payer tout seul.

À l’agence d’escortes, les responsables étaient deux gars qui avaient vaguement l’air sur la peanut et les installations étaient dégueulasses. J’ai jasé avec les filles sur place en fumant des clopes dans la salle de lavage qui leur servait aussi de fumoir. Les gars m’ont dit que j’aurais pu commencer tout de suite pour essayer si je voulais mais j’avais pas de brassière pour me présenter aux clients, juste des bobettes, faique j’suis partie.

Après, je suis allée au salon de massages érotiques.1 Là, je me suis fait accueillir par une réceptionniste dans un hall d’entrée propre et bien décoré. J’ai tout de suite rempli le formulaire d’embauche parce que c’était clair que j’allais être mieux là qu’à l’autre place. Quand on commence dans le domaine, il faut se choisir un nom de travail. Jai voulu prendre le nom Jasmine à cause de La bEElLe PrIiinCEs$sE. Évidemment, y’avait déjà une fille qui travaillait-là qui s’appelait de même. Faique j’ai plutôt fait ma première affirmation genderfuck en me choisissant un nom de gars.  J’me suis aussi acheté une belle montre dorée pour pouvoir calculer facilement le temps des séances sans avoir à regarder l’heure au mur devant les clients. Un de mes amoureux de longue date a arrêté de me toucher quand je lui ai dit que j’avais commencé à vendre des services sexuels. Je pense qu’il se voulait critique et cynique en me disant que j’avais «trouvé ma voix» mais c’était quand même vrai. 

Les putes sont des sorcières puissantes, qu’elles soient au courant ou pas.

Dans la salle des employées, je rencontre des filles aux caractères plus grands que nature avec lesquelles je me sens privilégiée d’établir des liens de sororité. J’ai trouvé un clan. La patronne du salon porte une cicatrice en travers du visage, une marque laissée par son ex. Elle s’occupe de ses enfants et prend soin de son salon et de «ses filles» en même temps. Souvent, elle nous cuisine des petits plats qu’elle met au congélateur de la salle d’employées au coût de 5$. Le salon est bien tenu et elle nous donne une cote sur le prix de location de la salle que les clients paient. À la fin de notre shift on a juste à tiper la réceptionniste. Avec l’argent des extras en plus, quand je vais travailler de jour, je fais en moyenne 500$ par shift de 7h.  Quand le salon a dû fermer à cause de la pandémie et du couvre-feu, Nancy2, une collègue d’une trentaine d’années mon aînée m’a prise sous son aile pour aller travailler à l’hôtel avec elle. Elle avait l’expérience de ces choses-là. C’est qu’il faut savoir à quel hôtel aller pour pas se faire dénoncer par le staff, quelle application télécharger pour se faire un numéro de téléphone anonyme et sur quel site publier ses annonces. L’affaire c’est aussi que c’est plus sécuritaire et moins plate de travailler à deux.3 Finalement, j’y suis juste allée deux jours pis j’ai pas vraiment aimé ça. Je trouvais ça trop difficile de gérer moi-même de répondre aux appels et aux textos, considérant que le tiers provenait de gars qui voulaient juste nous faire perdre notre temps et/ou nous agresser verbalement. Dans les salons, la façade institutionnelle et les réceptionnistes nous épargnent ça. 


Toujours est-il que quand le salon a réouvert quelques semaines plus tard, Nancy n’y travaillait plus. J’ai appris par des collègues qu’elle s’était chicanée avec tout le monde et qu’elle est était virée parano. Elle pensait que j’étais une police undercover parce que j’étais pas restée travailler avec elle à l’hôtel. 

Je comprenais un peu pourquoi quand même. Comparée à elle, j’étais straight en tabarnak. Je consomme jamais sua job, j’suis presque tout l’temps ben tranquille dans mon coin à travailler sur mon ordi pis je viens visiblement pas du même background social que Nancy. Les filles étaient crampées qu’elle aille pensé ça parce que j’aurais été une police flyée en criss et très dévouée mettons. Ça nous a bien fait rire mais moi un peu jaune quand même.

J’habite seule et je paye mon loyer, internet, hydro, le gaz, des assurances, ma voiture, ma nourriture et celle de mon chat. J’autoproduis ma musique. Je fais du sport. J’ai le temps d’investir chacune de mes priorités. Je suis maintenant engagée dans une relation amoureuse saine et dynamique avec une personne merveilleuse. Je sors avec une perle rare et sur mes mains sont tatouées des huitres. Au creux de mes paumes, comme un trésor précieux, je trace souvent son nom et celui de nos amant·e·s. 

Des fois, j’ai peur que les clients soient dégoûtés par mon poil de jambes ou d’aisselle -que je rase pas- et virent agressifs. Mais je pense que souvent ils le voient même pas. Et je pense aussi que des fois, ils trouvent ça beau. Dans tous les cas, je porte mes poils activement, doux accessoires de la révolution de nos corps qui commence dans la chambre à coucher.

Septembre 2021; suite à mon déménagement, j’ai commencé à travailler dans un nouveau salon à Montréal. Le propriétaire est fucké raide. L’achalandage est correct. Ici, on doit faire le lavage nous-même et on paye une cote de 10$ par client pour louer notre salle. Grande fille de la petite ville a changé de game.

« Travailler c’est faire la pute
Faire la pute c’est travailler »

J’ai écrit une lettre à ma mère pour lui parler de mon travail. On a toujours été super proches et on avait une excellente relation. Je pensais que ça nous rapprocherait encore plus. Qu’elle serait fière d’avoir une fille ayant la relation assez à cœur pour passer par-dessus la peur et le stigma social et lui confier son secret. Qu’elle trouverait ça intense mais qu’elle poserait des questions et qu’elle me ferait confiance malgré tout. Mais sa réaction a plutôt été le pire scénario que j’aurais pu m’imaginer. Elle a paniqué. Elle m’a demandé d’arrêter tout de suite en essayant de me virer du cash. En fait elle a tellement capoté que je soupçonne qu’elle ou une de ses amies proche a déjà eu une expérience traumatique par rapport au travail du sexe. Malgré ma patience et mes tentatives de rectifier la situation, elle a cessé de m’entendre et de me voir. Ne reste que le jugement et l’angoisse. Après plusieurs mois, elle est toujours aussi bloquée et je regrette de m’être ouverte car il m’est atrocement pénible de porter toute la honte et la douleur de ma propre mère. De sentir que son support peut être conditionnel. Un impact difficile. Je suis fragilisée. 

Une fois, je suis allée avec une amie travailler deux jours dans un bar à gaffe4 dans un trou perdu. Les monsieurs là-bas avaient des moustaches pis sentaient le p’tit lait ou le fumier. C’était des cultivateurs pas ben riches, qui se mettaient le plus beau qui pouvaient pour aller voir les filles de Montréal en visite. Raymond5 savait que j’allais venir cette semaine-là et m’a amené des boucles d’oreilles en cadeau mais il a jamais voulu qu’on aille à la chambre pour acheter mes services. On dirait que y’était juste vraiment content qu’une nouvelle personne se rende jusque-là pis voulait se sentir comme un provider pour une belle fille ça l’air.  J’suis repartie de d’là brûlée avec 2000$ et le sentiment doux-amer d’avoir eu un accès privilégié au cœur d’une petite communauté rurale isolée, émouvante de manière aussi tragique que pathétique.

Le 26 novembre 2021, je prends le métro vers une station que j’connais pas pour aller faire un shift dans un stripclub au centre-ville. J’me trouve ben brave pis y’a de quoi. C’est la première fois de ma vie que je vais rentrer dans un bar de danseuses pis c’est pour y travailler. Comme d’habitude dans le milieu, j’ai appris comment faire sur le tas en regardant les autres faire et avec quelques conseils d’une jeune ben fière de me montrer ce qu’elle savait. Le patron était tellement agressif et méprisant qu’en partant, à 3h du matin, je savais que j’y retournerais jamais.

Plus d’un an plus tard, je rencontre une fille qui me raconte qu’elle a déjà travaillé à ce bar-là. Pis qu’un soir qu’elle travaillait et qu’elle était pu capable de bouger parce qu’elle s’était fait mettre de la drogue dans son verre, ce même boss-là avait ordonné à une autre danseuse de la sortir dans la ruelle avec toutes ses affaires. La collègue en question avait refusé et décidé de l’amener elle-même à l’hôpital avec sa voiture. Le patron les a renvoyé les deux on the spot. Le bar c’est le Wanda’s, soyez prudent·e·s les babes.

Depuis que j’habite à Montréal, je m’implique dans un groupe militant autogéré par et pour les travailleuses du sexe. J’y trouve solidarité, colère, amour et intelligence. Courage, dignité et bienveillance. 

L’énergie sexuelle qui m’habite est un feu immuable qui ne demande que peu de moyens. 

Un feu qui rugit et soigne. 

J’éduque et je maudis. 

Je jette des sorts de toutes sortes. Je suis une good witch et une bad witch

Boy, fais-moi un $andwich.

Après avoir appris dans un livre militant que, pour éviter de se faire accuser de «tenu de bordel», un propriétaire de logement pouvait décider d’évincer sa locataire s’il la soupçonnait d’être travailleuse du sexe, je me suis sentie super unsafe chez moi pendant une bonne semaine. Je me suis sentie inférieure et fragile. M’imaginer perdre ma maison, mon balcon sur lequel je prends mon café le matin, les petits oiseaux dans la vigne. Devoir recommencer, seule et dépossédée. Le pire scénario possible. 

Je vais arriver flush à la manif. Je me suis arrêtée pour imprimer mon discours à la papeterie. Je vais m’en vais animer une manifestation pour la première fois de ma vie. On va marcher pour montrer qu’on existe et surtout pour crier qu’on veut des putains de droits. Qu’on veille les unes sur les autres. On va marcher, pis on va danser pis on va crier, pour nous pis surtout pour celles qui sont trop dans marde pour pouvoir faire toute ça.

Ces temps-ci quand je vais danser c’est en région. À Montréal je trouve les bars trop huppés pis ça m’écœure. Ça me tente pas de jouer la game du luxe pis anyway j’ai pas le casting ça l’air. J’ai appliqué à deux places mais les boss me rappellent pas. Finalement, j’suis rentrée au Cléo direct même si les danses sont à 10$6 parce je peux arriver pis partir quand je veux. Je vois quand même de la diversité dans le staff donc je suppose (I wish) que la gestion est moins raciste pis grossophobe qu’ailleurs. 

Mes meilleures chansons
pour strip :
M.I.A- Bad Girls
Ciara- Body Party
Troy Boy- Do you?
Rihanna- Sex with me
Beyoncé- Naughty girl
Future- Mask Off
Nathy Peluso- Delito 

J’ai quitté le salon où je travaillais depuis mon déménagement parce que le boss était trop toxique et ça commençait à me tirer trop de jus. Yannick Chicouane, si tu lis ça, sache que toutes tes masseuses, présentes et passées t’haïssent et complotent pour te planter. T’es un pervers narcissique manipulateur de la pire espèce. Un proxénète de marde, un abuseur dangereux. Je te maudis toi et tous les hommes qui exploitez le pouvoir sexuel des femmes pour vous enrichir. Criss de looser. Criss de lâche. J’écoute du Lingua Ignota et j’allume des chandelles de malheur dans ta direction. Si j’te pogne, j’te mange. 

« Je suis payée pour vous mentir mais je dis souvent la vérité. »
Jiz Lee

Janvier 2023. J’ai décidé d’aller à l’école pour devenir sexologue. La première étape c’était de faire des cours de base du collégial que j’avais pas fait parce que j’ai étudié en arts. J’ai trouvé un nouveau salon où travailler. C’était la seule place qui engageait quand je cherchais à ce temps-ci de l’année. C’est handjob seulement. Pas de fellation, pas de pénétration; pas de clients, pas de cash. J’y vais surtout pour étudier pis voir la réceptionniste que j’adore. Si j’suis chanceuse je fais un ou deux clients pis je sors de là avec 200$ cash.

Un soir au bar, un client est parti en courant pour pas payer ma collègue à qui il devait de l’argent. J’ai essayé de l’arrêter en me mettant entre lui et la porte faique il m’a rentré dedans pis j’me suis étiré un ligament dans le genou. Y’avait un bouncer. Y’avait des polices. Les bouncers pis la police servent à rien. Dans ce métier, on a pas le choix de se faire notre propre justice.

Août 2023. J’ai les genoux scrappes d’un été en talons hauts mais ben du cash de côté dans une petite boîte en bois pour commencer mon parcours universitaire du bon pied. Je suis partie dans un chalet toute seule pendant 4 jours pour me ressourcer avant l’école. J’ai trouvé ça difficile d’arrêter de travailler parce que le travail du sexe fait comme partie de mon identité maintenant. Je porte les anneaux dorés que Raymond m’a donné presque tous les jours. Je les ai même prêté à ma mère l’autre jour quand on a pris des photos de famille parce qu’elle les trouvait beaux.

En sortant de l’eau du lac tantôt, j’ai remarqué que ma montre avait pris l’eau. Tsé la belle montre que je m’étais acheté y’a trois ans quand j’ai commencé. La lumière fonctionne encore mais les chiffres ont complètement disparu de l’écran. J’me demande si j’devrais le prendre comme un signe qu’il faut que je prenne une pause. Le temps de me magasiner une nouvelle montre qui ornera mon corps à la hauteur de tout ce qu’il a apprit dans les trois dernières années.

Partition : Every Day Blues, Miroslav Loncar

1. Pour celleux qui savent pas, la différence entre un salon de massage et une agence d’escorte c’est qu’en salon, les filles se déplacent pas. Aussi, quand tu travailles en agence, le prix de base inclut une fellation (pis dans la majorité des agences, à Montréal en tout cas, ils t’engagent même pas si tu acceptes pas de faire tes fellations sans condom) et de la pénétration. En salon de massage, la seule affaire qui est inclut d’office dans le service que le client paye à l’accueil, c’est un massage et une masturbation manuelle. Tout le reste, c’est en extra, à la discrétion de la fille.  ↩

2. Pas son vrai nom. Ni son nom de travail. Un nom inventé pour le zine. ↩

3. Just sayin’ pour celleux qui pensent que le modèle légal concernant la prostitution en vigueur actuellement au Canada (le modèle Nordique; aussi en vigueur en Suède, en Norvège et en Irlande) est bon pour les travailleuses du sexe parce que la vente de service sexuelle est pas criminalisée, détrompez-vous. Toutes les autres affaires relatives, qui elles sont criminalisées, font en sorte notamment que travailler en équipe, que ce soit de manière indépendante avec une ou plusieurs collègues ou en salon, ça peut être considéré comme du proxénétisme et de la tenue de bordel par la police. Pis ça tu peux te faire accuser, arrêter et judiciariser pour. ↩

4. Un bar de danseuses où les filles peuvent faire des extras, allant du touche-pipi en cabine au full service dans une chambre de motel adjacente au bar. ↩

5. Pas son vrai nom. ↩

6. C’est qu’il faut savoir que d’habitude c’est 20$. Ça peut valoir la peine d’aller jusqu’à Rimouski pour enlever ses bobettes. ↩

Discours de Maxime Holliday et Melina May – 17 décembre

Discours de Maxime Holliday et Melina May

dans le cadre de la Journée internationale contre les violences faites aux TDS le 17 décembre​

MAXIME

Bonsoir à toustes et merci de vous être déplacées pour être avec nous. En cette journée internationale contre les violences faites aux travailleuses du sexe, nous prenons la parole pour rendre hommage aux collègues que nous avons perdues et pour réaffirmer encore une fois l’importance de rendre visibles nos réalités et les luttes que nous menons.

Nous sommes rassemblées ce soir pour nous unir en solidarité contre la violence faite aux travailleuses du sexe. Cette violence, elle se retrouve à tellement de niveaux et laisse des marques visibles et invisibles. Cette violence nous laisse vulnérables et en colère. Quel est notre véritable pouvoir d’action dans un système qui ne nous protège pas, pire qui nous fait violence et nous vulnérabilise encore plus.

 

Photo de Clémence Lesné

Ne pas avoir accès à des droits du travail, c’est fucking violent. Je pense à la fois où je travaillais en salon, et qu’un client n’avait pas l’argent pour me payer et que j’ai dû me résoudre à me considérer volée et violée en le laissant partir, parce qu’il n’avait rien de valeur sur lui à prendre en garantie de retour et que ma boss et la réceptionnistes avaient trop la chienne des répercussions pour que je puisse appeler la police. Police qui de toute manière n’aurait concrètement rien pu faire pour moi voir même qui aurait eu le pouvoir d’empirer ma situation. Cette fois-là, c’est ma collègue et amie Mélina que j’ai appelée en pleurant pour qu’elle me donne la force de me relever. No justice, no peace. Je pense à la fois où je travaillais en strip club et qu’un client voulait partir sans payer ma collègue et qu’en m’interposant moi-même entre lui et la porte de sortie, parce que le bouncer n’en avait finalement rien à chier et que la police avait choisit de ne pas intervenir, je me suis blessée de manière permanente au genou. No justice, no peace. Je pense à l’hypocrisie misogyne de nos sociétés qui conditionne le monde, nos ami.e.s, nos parents à nous juger, à nous mépriser et à nous craindre au point de nous attaquer verbalement, de nous renier. Je pense à nos collègues trans, à nos collègues non blanches, à nos collègues en situation de handicap, qui vivent des situations de discrimination et de violence accentuées et tellement innaceptables. No justice, no peace.

Nous sommes rassemblé.e.s ce soir pour nous unir en solidarité contre la violence faite aux travailleuses du sexe. Cette violence elle se retrouve à tellement de niveaux et laisse des marques visibles et invisibles. Cette violence nous laisse vulnérables et en colère. Quel est notre véritable pouvoir d’action dans un système qui ne nous protège pas, pire qui nous fait violence et nous vulnérabilise encore plus.

Alors que nous voyons nos décideurs politiques actuels choisir de prendre des décisions relatives aux bien être de toustes sans consulter les principales communauté concernées – je pense ici au fameux comité de sages (wtf) dans lequel aucune personnes de la diversité sexuelle et de genre n’a été convié – il est plus important que jamais d’amplifier notre parole et de nous défendre, de stand up for ourselves. Rien pour nous sans nous. C’est un travail de longue haleine et qui en vaut la peine. Aux allié.e.s, n’ayez pas honte et n’ayez pas peur de diffuser nos messages et de les défendre. Informez-vous et responsabilisez-vous comme vous le pouvez. Restez prudent.e.s de ne pas instrumentaliser nos luttes mais n’hésitez jamais à parler. Il s’agit d’une question de vie, de mort, d’une question de dignité humaine. Soyons fortes et unies dans notre résistance.

They say criminalize, we say organize.
La décriminalisation sauve des vies, decrim now !

Photo de Clémence Lesné

MELINA

Depuis la première rencontre du CATS en novembre 2019, quelques fois par mois, je rencontre mes collègues qui sont devenu.e.s de très bonnes ami.e.s. Nous sommes souvent isolé.e.s dans nos milieux de travail, et c’est dans la lutte que j’ai trouvé une communauté constituée de ces personnes pour qui j’ai une grande admiration. Elles sont parmi nous ce soir. Elles sont créatives, attachantes et solidaires.

Aujourd’hui, en ce jour de recueillement et de mémoire, j’ai envie que l’on souligne la résilience des TDS qui luttent quotidiennement. Célébrons la résistance de celles et ceux qui mettent en place des stratégies pour nous protéger dans nos milieux de travail. Honorons les TDS qui luttent pour de meilleures conditions de travail, en discutant avec leurs collègues, qui dénoncent l’insalubrité sur leur milieu de travail, qui réfléchissent ensemble à des moyens d’avoir des droits dans un système qui nous pousse aux marges. Célébrons les TDS qui prennent soin l’une de l’autre, qui mettent en place des groupes de soutien et d’auto-défense, qui gardent les enfants de leur collègue pendant qu’elle travaille, qui créent des occasions pour se rassembler et s’unir autour d’un repas. Dans un système qui veut nous effacer, notre résistance face à notre stigmatisation et notre criminalisation est essentielle, mais elle ne restera pas invisible. En cette journée internationale contre les violences faites aux TDS, nous soulignons la force de nos communautés.

Soyons courageuses ensemble, soyons unies dans notre rage.

Le CATS, c’est un comité qui milite pour la reconnaissance de notre travail. Nous nous regroupons pour discuter de nos mauvaises journées au travail, des lectures qui nous ont nourri, mais c’est avant tout un lieu de réflexion militante. On ne s’entend pas toujours sur les moyens d’action et les décisions à prendre pour faire avancer la lutte et c’est bien comme ça !

C’est dans la diversité et la créativité que nous pousserons nos demandes et que nous obtiendrons la décriminalisation du travail du sexe. Et celle-ci ne sera qu’une étape parmi toutes celles à franchir avant la libération de tous et toutes.

Contre la prison, contre les frontières, contre la police, soyons solidaires, résistons ensemble à toutes les formes de criminalisation !

Photo de Clémence Lesné

Nous avons quelques copies du magazine du CATS. Nous avons fait 3 éditions et sommes actuellement en train de travailler sur la 4e édition qui sortira bientôt en janvier. Les journaux de notre collègue Jesse, décédée il y a un an, seront publiés. Cette année, nous soulignons encore sa mémoire. Jesse n’avait pas peur de prendre la parole pour défendre les TDS. Pour elle, obtenir des gains signifiait être politique, s’organiser entre nous. En son honneur et à toutes celles et ceux qu’on a perdu.e.s, je nous invite à continuer la lutte sans répit, avec courage et amour !

Jesse Dekel au micro lors d'une action du CATS le 1er mai 2021

REST IN POWER JESSE!