Ground Score Diaries

Ground Score Diaries

Par Jesse Dekel

Traduction par Adore Goldman

Quand on apprend le décès d’une de nos collègues, on a généralement pas besoin d’en connaître les circonstances pour savoir qu’il s’agit d’une mort violente. Je ne parle pas nécessairement du genre de violence qui se retrouve dans un podcast de true crime ou sur la première page du Journal de Montréal. Bien que ces histoires existent, il y en a souvent une multitude dont on ne parle jamais; des morts qui surviennent après une série de traumas et d’injustices; une série de fins de mois, d’appartements crados et de proprios véreux; une série de portes fermées, de guichets d’accès et de listes d’attente. La mort par désespoir.

Récemment, j’ai perdu une amie. Il y a de ces amitiés qui se créent dans la lutte et qui ont quelque chose de différent. Vous savez que malgré tout ce qui peut vous arriver, il y aura toujours cette expérience commune qui vous reliera. C’était comme ça avec Jesse.

Notre première interaction a été lors d’une rencontre du Comité autonome du travail du sexe. À l’époque, ça ne s’appelait pas encore comme ça. En fait, le projet n’avait pas encore de nom. Melina May et moi avions fait un appel à la mobilisation, et c’était la deuxième rencontre qu’on organisait. On ne savait pas trop ce qu’on voulait faire, et je ne sais même pas si on y croyait vraiment nous-même. On avait un peu le syndrome de l’imposteur. Mais désormais, on pouvait dire qu’on était trois et ça comptait pour beaucoup! 

Jesse n’avait pas peur de prendre la parole pour défendre les TDS. Elle ne le faisait pas parce qu’elle aimait son travail, mais parce qu’elle voulait s’organiser avec ses collègues pour en améliorer les conditions. Elle n’avait que faire de la charité; pour elle, nous n’avions pas de temps à perdre. Il fallait être politique si nous voulions obtenir des gains qui améliorerait vraiment notre vie!

Je me rappelle la première action que nous avions organisée le 1er mai 2021 avec le CATS. C’était elle et moi qui l’avions animée. Nous dénoncions le couvre-feu, l’absence totale de prise en compte des TDS durant la crise sanitaire de la COVID-19 et la répression. Jesse m’avait confié que ça avait été sa plus belle journée de l’année 2021. Elle a continué à s’impliquer malgré son retour en Nouvelle-Zélande à l’été 2021 et le décalage horaire de 18h. 

La dernière fois que j’ai parlé à Jesse, c’était le jour de la mort de Carole Leigh. Carole Leigh est la première personne à s’être définie comme TDS. Jesse avait posté dans sa story une photo de sa rencontre avec elle quelques années plus tôt alors qu’elle habitait à San Francisco. J’avais répondu à sa story, car j’étais impressionnée; pour moi, Carole Leigh était une légende en termes d’activisme pute. J’avais demandé à Jesse si elle voulait qu’on s’appelle bientôt. Elle avait dit qu’elle allait à Auckland cette semaine, mais qu’on pourrait s’appeler la semaine suivante. Finalement, Carole Leigh et elle sont décédées la même semaine.

Je pense que nous avons un devoir de mémoire quand nous perdons des gens. Je pense qu’une façon dont Jesse aurait aimé qu’on honore sa vie, c’est qu’on continue la lutte des putes et qu’on ne lâche rien.

Quelques semaines avant sa mort, Jesse m’avait envoyé un manuscrit de ses journaux du temps où elle habitait à San Francisco. Elle voulait les publier. Je lui avais dit que je lui donnerais un coup de main pour la relecture et pour l’envoyer à des maisons d’édition. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps. C’est pourquoi je me permets d’en publier quelques extraits ici.

Adore Goldman

Zine de Jesse Dekel distribué le 2 juin 2019 à Oakland dans le cadre de la Journée internationale des TDS

05.12.18

J’ai dormi comme de la marde, je n’arrêtais pas de me réveiller, inconfortable et frustrée à chaque mouvement.

Tôt ce matin, je suis partie de l’appartement d’Angel parce qu’elle devait être quelque part à 8h, et j’ai pris le bus jusqu’au HSRC1. Je suis arrivée là-bas à 9h, et Rose était en retard, et est arrivée à 9h50, au lieu de 9h30, alors je me suis juste assise en regardant du caca de chien.

La clinique Cole Street est cet endroit beaucoup trop LGBT friendly, avec un shitload de snacks gratuits (je m’en suis donnée à coeur joie) et le staff le plus patient. Malheureusement, je ne suis pas patiente. Et j’ai passé 3h30 là-bas, assise dans différentes salles d’attente, et j’ai vu un total de 3 docteur.e.s et intervenant.e.s.

J’ai parlé de tout ce qui intéresse les intervenant.e.s d’habitude. L’itinérance, les tentatives de suicide, la drogue, être sans-papier, etc. Il y avait beaucoup de blabla. J’ai fait un test d’urine et un test de tuberculose (finalement), et on a vérifié mon poids, qui était 149 livres/67 kgish. J’ai pris environ 5 kg depuis que je suis aux États-Unis. Être itinérante veut dire être bien nourrie, ou bien je fais juste trop manger à cause de la rareté de la nourriture? Je ne sais pas trop. Je dois quand même faire un test d’urine pour les ITS même si j’ai parlé au doc de mon manque de sexe. Ugh.

Éventuellement, j’ai reçu mes prescriptions américaines, et une nouvelle médication pour dormir parce que le Zopiclone est inexistant aux États ou quelque chose du genre.

J’étais là beaucoup trop longtemps et j’ai passé beaucoup trop de temps sur Shazam, c’était très ennuyant et stressant. L’intervenante a imprimé 50 pages de mon dossier médical. Euggh.

Parce que c’était tellement long et que j’avais une entrevue d’embauche à 14h, ils m’ont appelé un Lyft, et je suis arrivée à l’entrevue à New Door2 5 minutes en avance.

New Door est cette zone-endroit jeune, cool et branchée. L’entrevue consistait principalement de questions très personnelles (confidentielles, ne t’inquiètes pas!) à propos de mes antécédents judiciaires, de ma consommation de drogues, etc. Tellement bizarre. J’ai répondu à tout. Il y a deux semaines d’orientation payées début janvier et une entrevue de suivi la semaine prochaine. Alors, j’imagine que ça veut dire que j’ai la job, même si je pense que c’est le cas de tout le monde puisque c’est littéralement un programme d’employabilité.

J’ai marché directement à l’Hôpital Général de San Francisco, qui ne m’ont pas aidé du tout, parce que je n’ai pas d’assurance-voyage, et j’ai marché jusqu’à un Safeway, où on m’a dit que mon Concerta me coûterait 600$ USD, et mes hormones 120$. Fuck. Alors, je suis partie après avoir essayé d’appeler mes assurances et échoué à arranger tout ça.

Je suis tellement frustrée par tout ça!

J’ai mangé à une sandwicherie merdique et j’ai pris le bus jusqu’à Haight pour aller au service d’échange de seringue de la Homeless Youth Alliance parce que j’avais besoin d’un sleeping bag et de tests de fentanyl. Heureusement, j’ai croisé Rose, qui m’a amenée voir Sonya. J’étais tellement contente de la voir. Je l’adore. Elle est merveilleuse. J’aime comment elle me fait sentir. Elle est vraiment merveilleuse.

Après, je suis allée au HYA3 et j’ai été chercher des tests de fentanyl, un sleeping bag et des snacks. J’ai demandé pour mes hormones, et on m’a amené dans une genre de salle de soin et des gens très gentils m’ont donné des ressources très aidantes. Tellement de gentillesse.

Je suis partie et j’ai marché en rond pour me trouver un coin où m’installer sur le trottoir. Un gars, Randy, m’a dit qu’il y a une règle qui dit que tu ne peux pas te coucher/dormir avant 23h. Il m’a aussi dit cette blague. Quelle est la différence entre le thé de Medford et une bouteille de pisse. Les deux sont des bouteilles de pisse.

Medford est un gaillard allemand qui donne de la bouffe à des sans-abri, incluant du thé. Quel amour!

Je me suis trouvée une petite alcôve en face d’un magasin quétaine et en face de «The R Tours». C’est ici que je me couche dans mon sac de couchage bleu et que je dors sur le trottoir.

J’ai mangé dans un restaurant de tacos et j’ai brossé mes dents/lavé ma face/fait ma routine de nuit dans leur toilette.

Je vais dormir sur le sol, au chaud, dans mon sac de couchage bleu.

Collage de Jesse

06.12.18

Je me suis réveillée plein de fois cette nuit, la première fois pour aller sur une mission pipi agile. Et la deuxième fois, j’ai pissé sur un arbre à 20 mètres de mon sac de couchage.

À part ça, j’ai bien dormi.

Quand je me suis réveillée, je n’avais pas à m’habiller évidemment, alors j’ai juste pris le bus vers l’appartement de Tom Weddel. Un gars russe (autoproclamé) fulminait et était super raciste, alors j’ai argumenté avec lui. Il disait aussi que tout son argent + ses coupons venaient de la sécurité sociale et a fait un drôle de commentaire sur la meth de la Nouvelle-Zélande.

J’ai attendu presqu’une heure à la clinique, même si j’étais la première arrivée, 15 minutes avant l’ouverture, parce que je suis une idiote et que je ne suis pas allée à la bonne place. J’ai rencontré quelques docteur.e.s, Shannon et le Docteur Zabin, qui a arrangé mes affaires d’hormones et écrit une lettre à la San Francisco General Pharmacy à propos de mon adhésion aux assurances de la ville ou quelque chose comme ça.

Un docteur m’a donné plusieurs tests de fentanyl, et le Docteur Zabin m’a demandé d’apprendre comment utiliser le Narcan, un médicament qui est donné aux personnes qui font des surdoses d’opioïdes. Alors une autre infirmière m’a amené dans une salle, elle m’a fait une démonstration rapide, elle m’a donné du Narcan et elle m’a enregistré comme possédant du Narcan dans un registre. Alors maintenant, j’ai plein d’aiguilles neuves en ma possession, des tests de fentanyl et un buvard d’acide.

On a testé un petit bout de mon acide pour le fentanyl. J’ai mis des gants et j’ai coupé un petit morceau avec des petits ciseaux. Heureusement, il n’y avait pas de fentanyl et je suis juste folle.

Après ça, j’ai marché jusqu’à chez Thomas et j’ai récupéré mes verres de contact et mon sac que j’avais laissé là-bas. Il avait un ami à la maison, qui m’a parlé de ressources pour les personnes trans sans-papier. J’ai utilisé les toilettes pour brosser mes dents, etc, j’ai laissé quelques trucs à donner et après je suis partie vers le HSRC.

J’ai beaucoup mangé et j’ai parlé avec Sonya et Rose. Camila m’a offert de travailler comme représentante durant une entrevue pour une stagiaire, payé par carte-cadeau, et j’ai accepté. Alors, une heure après la fermeture, je suis restée et j’ai participé à une entrevue malaisante et tapageuse, laquelle consistait surtout de questions sur si la personne avait été itinérante et si non (non), comment elle serait capable de connecter avec des jeunes sans-abri. Il y avait beaucoup de représentation et de défense du quartier. C’était malaisant. J’ai demandé la question obligatoire: «As-tu des ami.e.s transgenres» pour laquelle j’avais surement été approchée, et elle a dit non.

J’ai reçu ma carte-cadeau et j’ai parlé à Camila, Rose et Sonya à propos du refuge Jazzys. Ils auront peut-être un lit demain soir. Alors, je rencontre Sonya demain à 10:30 am au HSRC, et après je vais au Jazzys. Je pense à faire du travail du sexe. Ça semble une bonne façon de faire de l’argent dans ma situation, mais je ne sais pas vraiment. J’en ai parlé à Sonya, et elle a dit qu’elle ne le recommandait pas, mais qu’elle peut me donner de bonnes ressources si je décide de le faire.

Alors, j’ai décidé d’aller au SF General, et Angel m’a dit que c’était ouvert jusqu’à 19h. J’ai pris de l’argent pour faire mon lavage et j’ai pris un bus pendant une demi-heure. Angel s’était trompée. Ça fermait à 17h. Il était 17h20. Alors, j’ai décidé d’aller au SF LGBT center parce que je pensais qu’ils étaient ouverts. Je m’étais trompée, le programme jeunesse fermait à 18h. Il était 18h15. Alors, je me suis rendue au Contemporary Jewish Museum et j’ai dépensé 5$ pour voir une exposition. C’était plutôt bien, il y avait un tatoueur juif qui s’appelait «Lew the Jew» et une expo sur les vêtements juifs. Il y avait un atelier de broderie, et j’ai brodé un fil d’or à travers une fleur.

J’ai accidentellement volé plein de nourriture à un événement privé. Je n’avais aucune idée que c’était un événement privé avant d’avoir tout mangé. Je me sentais un peu mal. Je pense que c’était le party de retraite d’une gentille vieille dame juive.

J’ai décidé de rester dans une auberge de jeunesse. J’ai été sur Agoda et j’ai loué une chambre à 30$ la nuit au Amsterdam Hostel. En m’y rendant, j’ai vu une longue file en avant du Gamestop. Tout le monde attendait pour le nouveau jeu de Smash Bros, Super Smash Bros Ultimate. Je suis arrivée au Amsterdam Hostel et j’ai sauté toute excitée dans la douche pour me rendre compte qu’elle était cassée et que je ne pouvais pas non plus me servir du bain parce qu’il n’y avait pas de bouchon. Alors, j’ai utilisé le robinet du bain en m’aspergeant d’eau savonneuse pour 30 minutes. C’était vraiment stupide. Ugh. Je suis stupide.

12.12.18 Je suis fatiguée de tout ce bordel. J’ai été au HSRC aujourd’hui bla bla bla. Parlé à Sonya. J’ai imprimé des CV adaptés à des jobs de services et je les ai distribués à quelques endroits. On a croisé une exposition qui affichait des feuilles de buvards et on a vu des murales à la Alex Gary. On a traîné au LGBT center, et j’ai joué à Fire Emblem et j’ai regardé Blue Planet 2. Après, je suis allée à la St. James Infirmary4. L’infirmerie des travailleur.se.s du sexe. J’ai rencontré une intervenante en reduction des méfaits à qui j’ai parlé de mes hormones et de travail du sexe. Je suis tellement léthargique, et ma narine droite est irritée pour aucune raison apparente.
Collage de Jesse

Je suis arrivée à la St. James Infirmary et j’ai pris l’ascenseur jusqu’au 4e étage où je me suis enregistrée avec une réceptionniste et j’ai rempli plusieurs formulaires. Ensuite, j’ai attendu dans une salle communautaire où un film gai de Robin Williams jouait, et il y avait de la nourriture et des vêtements gratuits avec une politique de «tu l’essaies, tu le gardes». J’ai pris des croissants et un sac de nourriture. Quelqu’un a complimenté mon collier, et j’ai parlé avec une travailleuse du nouveau Smash Bros. Tout le monde était gentil. On m’a donné un numéro (54) pour voir un docteur/une intervenante, et après 15 minutes environ, elle est venue me chercher. La porte de la salle de rencontre ne voulait pas s’ouvrir, alors elle m’a demandé de me rasseoir et est revenue me chercher quelques minutes plus tard.

Elle m’a fait parlé de tout ce qui se passait. «Tu es sans-papier, trans, qui essaies d’avoir des hormones et sans-abri». Elle a dit que ça sera difficile à San Francisco. Très difficile. Elle m’a avertie.

Je lui ai demandé comment faire du travail du sexe et elle m’a tout expliqué. Elle m’a demandé si j’avais peur, et j’ai dit que j’avais surtout peur que la police m’attrape et me déporte plus que tout. Elle m’a dit que ça n’arriverait pas. Elle m’a dit de demander l’argent en premier. Et d’être toujours gentille. Je dois m’arranger. Et porter des talons. Et une mini jupe.

On a parlé de l’accès aux hormones, et elle a dit que je devrais sûrement juste les payer. Elle m’a aussi dit où trouver du travail, et à quoi m’attendre en termes de tarifs, et quoi faire. Elle m’a dit quoi porter, et comment avoir des clients. Elle a dit que j’étais jeune et trans, et que je pouvais vendre ça. Je dois juste travailler.

J’ai demandé des ressources pour les TDS, et elle m’a demandé si j’avais déjà fait du travail du sexe. J’ai dit non, et elle m’a tout dit. Elle m’a dit à quoi m’attendre, où aller et comment être certaine d’être payée.

Elle m’a donné des talons hauts et sa carte et m’a dit: «Je m’inquiète pour toi.» et «J’espère que cette ville ne va pas t’avaler.» et «Mais tu peux le faire.» Elle est une femme trans australienne de 60 ans qui a travaillé comme showgirl à Vegas dans les années 80.

Je me sentais léthargique et je n’arrivais pas à faire fonctionner Google Maps alors j’ai marché après avoir échoué à trouver l’arrêt du 2e bus.

Je me sens fatiguée et stupide et merdique. Je ne peux pas écrire correctement. Je fais toujours des erreurs. Rien ne change. Je veux juste jouer à des jeux vidéo toute la journée. Je ne veux pas être ici. J’en ai marre de cet endroit. Je ne sais pas ce que je veux faire. Je n’ai aucune motivation. J’haïs tout. Qu’est-ce que je suis supposée faire??? J’haïs ça. Est-ce que je devrais partir? Ça me rappelle quand j’étais itinérante à Wellington. Je me disais: «J’essaie si fort de trouver une place ici, mais je ne vois pas pourquoi cet endroit en vaut la peine. Je le déteste. Il n’a rien de spécial.» C’est ce que je ressens encore. Qu’est-ce que je fais à San Francisco?

Collage de Jesse

09.03.19

Aujourd’hui, j’ai finalement terminé la vérification de mon compte pour le paiement par internet et commencé à cammer.

C’était vraiment difficile au début, mais tranquillement, après avoir été en ligne pour une heure au total, j’ai eu 11 spectateurs en même temps. Les gens commentaient que mes lèvres étaient sexy et m’écrivaient en privé. Un d’eux est devenu mon modérateur pour un moment et m’a donné des conseils sur comment teaser. J’ai beaucoup aimé l’attention, et honnêtement, j’étais à moitié dure tout le long, même si j’étais toute habillée. J’ai pris le faux penis DUREX de pratique [volé dans le bureau du docteur] et je l’ai sucé. J’ai seulement gagné 1 token, ce qui équivaut à 5 cents dans toute l’heure, mais j’ai eu deux offres pour rencontrer des vieux hommes, un en échange de 200$. J’ai vraiment aimé ça et je dois m’améliorer. Je dois apprendre à utiliser les apps et les bots comme il faut, pour que mon broadcast fonctionne bien. Je vais essayer demain.

Finalement, je n’avais même pas besoin de vérifier mon compte de paiement et j’aurais pu commencer plus tôt. J’imagine lundi. Fuck.

J’ai vraiment fucking aimé l’attention sexuelle. Je ne me suis jamais sentie désirée avant.

Une personne a rejoint le chat et a demandé combien de pouces je faisais. J’ai répondu que j’utilisais le système métrique et il est parti.

Fun fun fun.

À part ça, j’ai seulement regardé des animes et j’ai travaillé sur un article humoristique «Top 10 des endroits pour pleurer»5. Je me demande s’il sera vraiment accepté.

À 4h30, je suis allée sur Haight et j’ai regardé des vieilles figurines de films d’action à Amoeba Records.

J’ai acheté un chandail jaune à manche longue en mesh pour 10$ à K-POK et j’ai parlé avec Frankie et Drew qui étaient assis près de là.

Il y avait une expo d’art vraiment cool d’une toute petite télé cathodique qui jouait des animes en boucle au Red Victorian. J’aimerais faire quelque chose comme ça.

Je suis retournée à la maison et j’ai regardé Berserk Arc 1 avec Kat et Antoinette en partageant un smoothie aux fruits et au granola et une pizza. Le film était moyen comparé aux animes de 1997.

Après, j’ai étudié le HTML à l’ordi un moment et j’ai parlé avec mon cousin Guy pour lui souhaiter bonne fête.

Je suis malade, et mes lèvres sont irritées. J’ai rêvé que j’essayais de mémoriser de la musique et un concept de comédie. Il y a quelque chose dans mes yeux. Je me sens seule, sauf quand je ne le suis pas. Je suis triste, sauf quand je m’ennuie. Je m’ennuie quand je ne suis pas stressée. Je suis occupée quand je ne suis pas organisée. Je suis une ennuyante, stressante contradiction, qui n’a rien à offrir dans un futur proche.

J’ai annulé tous mes plans parce que je suis une terrible merde.

Je dois étudier. Je dois lire. Je dois écrire. Je dois relaxer. Je dois…

Demain, je vais peut-être acheter une Nintendo Switch. Au pire, ça va me donner quelque chose à écrire. Et je vais me crosser pour des étrangers qui complimenteront le potentiel d’élargissement de mes seins.

J’aime sucer le genre de dildo et avoir l’air salace. Je veux qu’on me veuille. J’espère que j’aurai de l’argent parce que fuck, qu’est-ce que je fais à être itinérante. Ahhh… tout est bizarre, fuck.

Je suis une freak répugnante en régression. Je suis hideuse, je suis dégoûtante. Je suis un goblin. Laide. Laide. Freak. Goblin.

Collage de Jesse

23.03.19

Ce matin, j’ai eu une date avec Kat. Je pense que ça s’est bien passé. On s’est assises et on a parlé au Coffee To The People pour quelques heures et après, on a marché vers Haight. On a regardé les magasins.

J’ai acheté un zine DIY de Silver Sprocket.

La seule affaire qui était off c’est qu’on est passé devant des Dirty Kids, comme Misha, et Kat m’a demandé si je faisais du «bénévolat» avec elleux. Ce qui sonnait condescendant ou quelque chose comme ça. Je ne suis pas vraiment sûre comment articuler cette émotion/réponse. J’aime quand même sa compagnie et elle est très cute.  

J’ai dit en blague que ses lacets en cuir étaient «vraiment gais» et elle m’a dit qu’elle trouve ce genre de commentaire bizarre. Ahh.

Je l’aime bien par contre et j’aimerais passer plus de temps avec elle.

On est allé manger au resto de tacos sur Belvedere, mais à 14h30 environ, elle a dû partir parce que la charge virale de son ami séropositif était vraiment élevée, et son infirmière n’était pas là pour l’aider.

Après la date, je suis allée à la maison. Et à 18h, j’ai décidé d’aller au magasin de bande dessinée pour la vente/party de fermeture. Ça m’a pris 40 minutes pour m’y rendre, et la place était remplie de nerds américains insupportables debout devant le rack de bande dessinée que je voulais regarder.

J’ai fini par acheter une pin de Saga qui était en vente à 50% pour un total de 5$. Puis, je suis partie. L’événement m’a donné une attaque de panique et je n’ai vu aucune BD qui m’intéressait.

Après ça, j’ai pris le bus jusqu’à un McDonald qui était aussi vraiment plein et j’ai laissé tomber. J’ai pris le bus jusqu’à la maison.

J’ai regardé quelques épisodes de Jojo, et à 23h, j’ai commencé à diffuser sur Chaturbate.

En tout, j’ai fait 32,25$ de tokens. Un gars nommé Al a rejoint mon chat et m’a donné du tip. À un certain point, il m’a envoyé son numéro de téléphone et il a fini par me convaincre de l’appeler en bloquant mon numéro.

J’ai commencé à parler à Al au téléphone. C’est un électricien de 35 ans qui habite à Santa Clarita et sa fête était le 17 ou 18 mars.

Il aime seulement les filles et a dit des choses gentilles à propos de mes lèvres.

J’ai mis un mot de passe à mon broadcast et il m’a payé en tokens pendant que je me déshabillais et que je me touchais.

On a eu du sexe au téléphone pendant qu’il se branlait.

Après avoir fait semblant de le rider, et avoir fait quelques positions, je me suis masturbée jusqu’à ce que je vienne.

Après, il s’est branlé jusqu’à ce qu’il finisse, et il m’a envoyé 625 tokens je crois.

C’est cool. Je suis une travailleuse du sexe.

La première fois, j’ai fait 1 token. La deuxième fois, j’ai fait 100 tokens et la troisième, j’ai fait 625 tokens. J’espère que j’apprends un peu.

07.04.19

Ce matin, après 2 annulations (une de Bualia et une de ce gars, Dan, que j’ai rencontré à Comix Experience), j’ai décidé d’essayer de mettre une affiche pour faire des lectures de tarots. À 11h45, je suis allée sur Haight où Peaches, Curls et Catfish étaient et je me suis assise en face d’un magasin avec mon affiche.

J’ai fait ça pendant 2 heures. Deux punks croûtés sont venus me demander si j’avais vu leur chien et ont été des vrais connards. L’un d’entre eux m’a acheté une pin pour 30 cents et l’autre m’a demandé une lecture gratuite, puis se sont mis à deux pour me faire la leçon sur comment lire le tarot. Ils ont pilé sur mon affiche, même quand je leur ai dit d’arrêter. Connards.

Collage de Jesse

J’ai écrit (hébreu) lecture 5$ sur l’affiche, ce qui se traduit dans un hébreu grammaticalement incorrect par «trou de cul lecture 5$». J’ai fait 7,32$ en tout. J’ai donné une lecture. C’était de la marde.

J’ai abandonné à 14h et j’ai dépensé tout l’argent que j’avais fait en m’achetant une pointe de pizza, un Arizona et des nachos.

Les deux gars qui se promènent nus en portant seulement ces trucs de chasteté sont passés près de nous. J’ai dit à Curls que j’irai leur quêter en blague, ce que j’ai fait. «Je n’ai pas de change sur moi. Où je le mettrais?»

Ensuite, je suis allée à la maison juste à temps pour une rencontre collective avec pizza. J’ai dit qu’il faisait trop chaud dans la maison, et Cocoa a fait des blagues insinuant que c’était à cause de mes hormones et elle m’a demandé si j’étais en ménopause.

Plus tôt ce jour-là, elle a dit qu’il y avait un show de drag auquel nous étions invitées hier soir, mais j’ai dit que j’étais «incroyablement high sur la coke» alors je ne pouvais pas y aller. Elle a ri.

J’ai regardé Jojo et à 21h30 je suis retournée dans la rue. Peaches était fatiguée, alors elle est allée se poser et j’ai vu Toast. Je suis allée au dépanneur acheter une boisson gazeuse, et un homme à côté de moi n’arrêtait pas de sacrer/se parler très fort. Je n’ai rien acheté et quand je suis sortie derrière ce gars, le proprio du dépanneur lui a crié après, en lui disant de rendre une canne qu’il avait supposément volé. Toast lui a dit de la rendre et le proprio du dep a dit à Toast: «Pète-lui la gueule». Le gars a dit que c’était du harcèlement et a menacé d’appeler la police. Toast lui a dit: «Fou le camp de mon bloc» et a compté jusqu’à 5. Un bus s’est arrêté parce que le gars était au milieu de la rue, et puis, il a frappé à la porte et a dit: «Laissez-moi entrer, ce gars me dit de me pousser de son bloc maintenant.» Le bus l’a laissé rentrer, et pendant qu’il s’en allait, Toast le poursuivait en frappant à la vitre et en hurlant: «Je savais que tu m’écouterais. Bitch!» Que d’aventures!

Fuck les malades mentaux? Ce monde. Sucks. Fuck.

Quelle fin de semaine gâchée.

À la maison, j’ai cammé et le gars de Santa Clarita est revenu sur mon broadcast et je l’ai appelé. On a organisé un show privé à 30 tokens par minute, dans lequel je me suis mise nue et je me suis branlée, mais je ne suis pas venue. Il a dépensé environ 500 tokens sur moi et quand il n’en avait plus, on a arrêté l’appel.

J’ai arrêté de cammer après ça.

Gaaaaaaaaaah. Je peux sûrement faire plus que me branler et regarder des animes? Non? Probablement pas alors?

Au moins j’ai fait de la cocaïne.

Collage de Jesse

01.06.19

Ce matin, je suis allée dans Castro6 pour vendre quelques livres au Dog Eared Books, et pour voir la synagogue historique gaie de Sha’ar Zahav. Tous les services étaient finis au temple, alors c’était une perte de temps, et j’ai seulement reçu 4$ pour les livres.

Je suis allée à la maison et après, à 17h, je suis allée au bureau du DSA7 pour l’événement de création de pancartes féministes socialistes. J’ai reçu un email ce matin de Lia qui disait qu’elles m’avaient nominée comme l’une des nouvelles co-présidentes féministes socialistes, mais évidemment, je ne vais pas le faire si je quitte la ville. Alors, tout l’événement était malaisant parce que je ne voulais pas aborder le sujet.

J’ai fait plein de macarons avec la machine et des pancartes qui disaient «Sex Work Is Real Work» ou «TERFS and SWERFS Fuck Off», et j’ai mangé beaucoup de fruits pendant que j’y étais.

Christian du ILWU8 a dit qu’il allait au party du ILWU, alors je m’y suis invitée et j’ai pris la 33 jusqu’à Mission avec Lia. Je leur ai dit que je partais pour Montréal. Ça s’est bien passé.

Je suis arrivée à l’hôtel Hilton où était le party à 20h30 et j’ai rencontré Kevin et cet autre gars du DSA. On est rentré, et j’étais immédiatement entourée de ces riches démocrates libéraux de la classe dirigeante.

Une dame riche et chic a échappée des crevettes sur le plancher et a fait comme si de rien était, alors je lui ai dit et elle est retournée les ramasser. Hehe.

Le party était vraiment malaisant. Tout le monde était tellement riche et je n’étais pas à ma place. Tellement d’héritier.e.s. Kevin et l’autre gars sont venus avec moi au fucking party de YIMBY9 en haut, et le garde m’a arrêté pour me demander si j’étais «à la bonne place» (en regardant mes vêtements), alors je lui ai dit que oui.

Le party était fucking coincé. Il y avait une chirurgienne plastique qui parlait à Kevin de comment Bernie essayait de la «pimper» ou quelque chose comme ça, et toute la foule de riches fucking bobos me donnait envie de vomir.

Un gars m’a fait la leçon à propos des liens entre  l’économie du ruissellement et la valeur des logements, et j’avais envie de pleurer. Je n’étais tellement pas à ma place, et le barman m’a demandé d’enlever mon sac parce que j’avais renversé des serviettes de sa table. Il y avait du vin gratuit par contre.

C’était tellement haut dans la tour, et cet environnement bizarre est devenu emmerdant. Je suis retournée en bas et j’ai rencontré Jennifer du syndicat des locataires et Kate-Mary du DSA. Et Xavier du DSA. On est allé acheter de l’alcool et Jennifer m’a acheté une bière Anchor Steam. Puis, on est allé au Moscone Center au coin de Howard et de la 4e.

À un certain point, quand je partais du party de YIMBY, cette personne du DSA East Bay dans cette robe thématique du système de transport avec tout plein de macarons politiques m’a parlé dans l’ascenseur. Aussi occupé par les bobos. Je me suis plaint d’être mal à l’aise en présence des riches, et elle m’a dit que c’était une habileté politique importante. Ugh.

On est arrivé au centre et on est allé au party de la campagne 2020 de Bernie. Bernie Sanders lui-même venait de quitter la conférence. On a bu et j’ai rencontré Jen Snyder.

On est allé à un party d’infirmières pour de la nourriture et de la bière gratuites, et puis d’un party à l’autre comme ça. Je suis devenue saoule, et Christian m’a dit de lui envoyer un email à propos du syndicat de travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande, pour qu’il puisse parler à Bobby de syndiquer les travailleur.se.s du sexe avec cette précieuse information.

Jen Snyder, son consultant politique, Jim, et moi avons niaisé et beaucoup bu. À un certain point, ce libéral avec un chandail de «Ruth Bader Badass» m’a sermonné à propos de mon t-shirt «Nazi Punks Fuck Off» et m’a dit qu’il ne pensait pas qu’il y avait encore des Nazis et que American History X était juste un film.

On s’est encore plus saoulé et nous avons ri de la playlist style bal de finissants. Éventuellement, on s’est fait mettre dehors et j’ai vu un gars courir après Pelosi avec qui je m’étais lié d’amitié. Il disait lire de la poésie dans Mission et qu’on lui lançait des légumes jusqu’à ce qu’il se mette à fumer du weed avec les lanceurs.

Jen nous a commandé un Lyft pour aller sur  Haight et j’ai marché jusqu’à la maison. Quelle bizarre de soirée.

03.06.19

Hier, c’était le premier jour depuis les presque 7 mois que je suis aux États-Unis que je n’ai pas écrit dans mon journal. Je me sens un peu comme de la marde, mais aussi heureuse que je m’y sois tenue si longtemps, sans m’arrêter.

Alors, j’imagine que je vais juste réciter les événements des deux derniers jours.

Hier matin, je me suis réveillée à 9h30 et je n’avais pas assez de temps du tout pour prendre une douche, alors j’ai juste mis des vêtements et pris le bus jusqu’au bureau du DSA pour rencontrer Lia pour qu’iel me donne un lift à l’événement pour la Journée internationale des travailleur.se.s du sexe qui se tenait à la Oscar Grant Plaza, à Oakland.

Collage de Jesse

Jay était là aussi, et nous avons rempli l’auto de Lia avec les trucs du DSA et conduit jusqu’à Oakland.

L’événement était super. J’ai remarqué que j’avais un grand sourire dans la face la moitié du temps et j’ai juste fucking adoré me sentir aimée comme si je faisais partie d’une communauté. Je suis une travailleuse du sexe. Je suis l’une d’entre iels. Iels sont comme moi. J’ai l’impression que le travail du sexe indépendant est un travail solitaire et que trouver une communauté est difficile, mais d’être entourée d’autres travailleur.se.s du sexe était tellement collectif, chaleureux et bienveillant.

Carol Leigh, aka Scarlet Harlett, la personne qui a inventé le terme «travail du sexe», m’a interviewée sur le fait que les lois contre le trafic sont oppressives et emmerdent les travailleur.se.s du sexe, et sont aussi une entreprise lucrative de plusieurs milliards de dollars pour les ONG réactionnaires chrétiennes.

J’ai donné mon zine sur le travail du sexe à la table du DSA aux passant.e.s et j’ai mangé des bagels, des fraises, etc du kiosque Coffee Not Cops.

Après l’événement, Lia m’a donné un lift jusqu’à Mission et la 24e, et j’ai mangé du McDonald, puis j’ai été en skate jusqu’à l’arrêt de la 33 au coin de la 16e et Mission. Le bus a mis une demi-heure à arriver, et je suis seulement restée à la maison quelques minutes avant d’aller au gala de financement du St. James Infirmary.

On m’a laissé entrer dans un gala beaucoup trop fancy avec un garde de sécurité et des «mixologistes» dans des chandails moulants, et quand Jay est arrivé, on est allé dans la zone du gala qui coûtait en fait 200$.

Jennifer Holliday de Dream Girls a chanté et je me sentais comme dans un film. Christina Aguilera était là aussi apparemment. 

De retour en bas au party, Molly et Eugenica, que j’avais rencontré à l’événement de la journée des travailleur.se.s du sexe sont arrivées. Jay est parti, et comme je commençais a être pas mal pompette, j’ai été invitée à un after-after-party dans une chambre d’hôtel.

Nous sommes parti.e.s en petit groupe en Uber à cet hôtel huppé, et Molly n’arrêtait pas de me payer des verres. Un qui avait des olives dedans avec un goût dégueu.

Nous nous sommes rendu.e.s en groupe jusqu’à une chambre d’hôtel, où nous avons bu et sniffé de la cocaïne dans les toilettes. Molly a dit: «Tu es vraiment cute. Veux-tu qu’on s’embrasse un peu?» et j’ai dit: «Je suis vraiment désolée, mais non.» Nous nous sommes ensuite toustes fait mettre dehors par la direction de l’hôtel pour une raison quelconque, alors nous sommes allé.e.s faire une drôle de tournée des bars de laquelle je ne me souviens pas vraiment. Juste boire, pisser et Molly qui tenait mes cheveux pendant que je vomissais dans les toilettes.

Molly m’a commandé un Lyft jusqu’à la maison, et à 3:30 du matin je suis arrivée. Je me suis endormie immédiatement toute habillée, sans prendre mes médicaments ou écrire dans mon journal.

Ça, c’était hier.

Ce matin, je me suis réveillée avec un terrible mal de tête et une grosse gueule de bois. J’ai vomi dans les toilettes et à 10h, j’avais une rencontre avec mon intervenante de suivi, Kristina. Je lui ai dit que j’avais une migraine et j’avais ma tête endolorie dans mes mains tout le long du rendez-vous. La rencontre a duré seulement 15 minutes, et je suis retournée dormir après ça.

À 12h, j’avais mon rendez-vous avec Dafna et j’ai encore vomi. Tellement fort que j’en ai pleuré. Je lui ai dit que j’étais tombée de mon skateboard, et elle a renouvelé mes ordonnances.

Je suis partie vers le HSRC après ça et j’ai donné des stickers que j’avais reçu à l’événement de la journée des travailleur.se.s du sexe. Un dessin animé des années 90 jouait sur YouTube, et j’ai mangé des pâtes pour couper ma nausée dégueulasse.

Je suis partie et je suis retournée dormir à la maison. J’étais tellement hangover. Christopher est venue me porter ses nouvelles clés de maison, puisqu’on a n’a plus d’intervenante de jour et qu’on peut juste rentrer seul.e. Fucking cool.

Alice est rentrée à la maison, et pendant que j’étais en douleur dans mon lit, je lui ai demandé de googler les symptômes d’une cage thoracique fracturée. Tous les symptômes correspondaient, sauf la douleur au toucher. Ça fait tellement mal. J’aurais aimé l’avoir mentionné à Dafna. J’espère qu’après la thérapie demain, je pourrai voir le docteur.

On a commandé du Burger King, et j’ai passé la plus grande partie de la journée à faire la sieste. J’ai regardé la fin de Leave No Trace, que j’avais commencé dans l’avion il y a 6 mois. Quel suspense!

Je pense que mon hangover est en train de passer. Je suis tannée de me sentir comme de la marde.

C’était deux drôles de journées.



Jesse prend la parole lors du rassemblement du 1er mai 2021, la première action du CATS en réaction à l'absence de droits et protections pour les TDS durant la pandémie.

1. Réfère probablement au Haight Street Referral Center, un centre de jour pour les jeunes de la rue à San Francisco. 

2. New Door est un organisme sans but lucratif qui offre des programmes d’employabilité aux jeunes de San Francisco.

3. Homeless Youth Alliance.

4. La St. James Infirmary est une organisation à but non lucratif par et pour les TDS qui dessert l’ensemble de la baie de San Francisco. C’est la première organisation de santé et sécurité dirigée par les TDS pour les TDS aux États-Unis! Les membres de COYOTE, la première organisation de TDS aux États-Unis, comme Margot St. James et Priscilla Alexander, ont fondé la clinique.

5.  Jesse Dekel. (2019). Top 10 Places to Cry, récupéré de https://tinyurl.com/top10jesse

6. Quartier gai de San Francisco.

7. Democratic Socialist of America.

8. Réfère probablement au International Longshore and Warehouse Union.

9. Réfère à «Yes In My Backyard» (Oui dans ma cour) en opposition aux NIMBY – «Not In My Backyard» (Pas dans ma cour). Jesse voyait ces deux tendances comme des tactiques de gentrification, mais les YIMBYs ont une approche plus pernicieuse de s’occuper de l’itinérance et de gentrifier les quartiers. Le mouvement des YIMBYs veut «s’attaquer à la crise du logement» par le zonage et en augmentant le nombre de logements, sans reconnaître l’importance de la classe dans la question du logement en la réduisant à une question de demande et d’offre.

$andwich blues

$ANDWICH BLUES

Maxime Holliday

Le 20 février 2021, j’suis embarquée dans ma voiture pour aller visiter l’agence d’escortes la plus près de chez moi. J’étais pu capable de travailler en restauration pis j’avais besoin de plus de temps pour faire de la musique. Mais le loyer de mon 4 et demi allait pas se payer tout seul.

À l’agence d’escortes, les responsables étaient deux gars qui avaient vaguement l’air sur la peanut et les installations étaient dégueulasses. J’ai jasé avec les filles sur place en fumant des clopes dans la salle de lavage qui leur servait aussi de fumoir. Les gars m’ont dit que j’aurais pu commencer tout de suite pour essayer si je voulais mais j’avais pas de brassière pour me présenter aux clients, juste des bobettes, faique j’suis partie.

Après, je suis allée au salon de massages érotiques.1 Là, je me suis fait accueillir par une réceptionniste dans un hall d’entrée propre et bien décoré. J’ai tout de suite rempli le formulaire d’embauche parce que c’était clair que j’allais être mieux là qu’à l’autre place. Quand on commence dans le domaine, il faut se choisir un nom de travail. Jai voulu prendre le nom Jasmine à cause de La bEElLe PrIiinCEs$sE. Évidemment, y’avait déjà une fille qui travaillait-là qui s’appelait de même. Faique j’ai plutôt fait ma première affirmation genderfuck en me choisissant un nom de gars.  J’me suis aussi acheté une belle montre dorée pour pouvoir calculer facilement le temps des séances sans avoir à regarder l’heure au mur devant les clients. Un de mes amoureux de longue date a arrêté de me toucher quand je lui ai dit que j’avais commencé à vendre des services sexuels. Je pense qu’il se voulait critique et cynique en me disant que j’avais «trouvé ma voix» mais c’était quand même vrai. 

Les putes sont des sorcières puissantes, qu’elles soient au courant ou pas.

Dans la salle des employées, je rencontre des filles aux caractères plus grands que nature avec lesquelles je me sens privilégiée d’établir des liens de sororité. J’ai trouvé un clan. La patronne du salon porte une cicatrice en travers du visage, une marque laissée par son ex. Elle s’occupe de ses enfants et prend soin de son salon et de «ses filles» en même temps. Souvent, elle nous cuisine des petits plats qu’elle met au congélateur de la salle d’employées au coût de 5$. Le salon est bien tenu et elle nous donne une cote sur le prix de location de la salle que les clients paient. À la fin de notre shift on a juste à tiper la réceptionniste. Avec l’argent des extras en plus, quand je vais travailler de jour, je fais en moyenne 500$ par shift de 7h.  Quand le salon a dû fermer à cause de la pandémie et du couvre-feu, Nancy2, une collègue d’une trentaine d’années mon aînée m’a prise sous son aile pour aller travailler à l’hôtel avec elle. Elle avait l’expérience de ces choses-là. C’est qu’il faut savoir à quel hôtel aller pour pas se faire dénoncer par le staff, quelle application télécharger pour se faire un numéro de téléphone anonyme et sur quel site publier ses annonces. L’affaire c’est aussi que c’est plus sécuritaire et moins plate de travailler à deux.3 Finalement, j’y suis juste allée deux jours pis j’ai pas vraiment aimé ça. Je trouvais ça trop difficile de gérer moi-même de répondre aux appels et aux textos, considérant que le tiers provenait de gars qui voulaient juste nous faire perdre notre temps et/ou nous agresser verbalement. Dans les salons, la façade institutionnelle et les réceptionnistes nous épargnent ça. 


Toujours est-il que quand le salon a réouvert quelques semaines plus tard, Nancy n’y travaillait plus. J’ai appris par des collègues qu’elle s’était chicanée avec tout le monde et qu’elle est était virée parano. Elle pensait que j’étais une police undercover parce que j’étais pas restée travailler avec elle à l’hôtel. 

Je comprenais un peu pourquoi quand même. Comparée à elle, j’étais straight en tabarnak. Je consomme jamais sua job, j’suis presque tout l’temps ben tranquille dans mon coin à travailler sur mon ordi pis je viens visiblement pas du même background social que Nancy. Les filles étaient crampées qu’elle aille pensé ça parce que j’aurais été une police flyée en criss et très dévouée mettons. Ça nous a bien fait rire mais moi un peu jaune quand même.

J’habite seule et je paye mon loyer, internet, hydro, le gaz, des assurances, ma voiture, ma nourriture et celle de mon chat. J’autoproduis ma musique. Je fais du sport. J’ai le temps d’investir chacune de mes priorités. Je suis maintenant engagée dans une relation amoureuse saine et dynamique avec une personne merveilleuse. Je sors avec une perle rare et sur mes mains sont tatouées des huitres. Au creux de mes paumes, comme un trésor précieux, je trace souvent son nom et celui de nos amant·e·s. 

Des fois, j’ai peur que les clients soient dégoûtés par mon poil de jambes ou d’aisselle -que je rase pas- et virent agressifs. Mais je pense que souvent ils le voient même pas. Et je pense aussi que des fois, ils trouvent ça beau. Dans tous les cas, je porte mes poils activement, doux accessoires de la révolution de nos corps qui commence dans la chambre à coucher.

Septembre 2021; suite à mon déménagement, j’ai commencé à travailler dans un nouveau salon à Montréal. Le propriétaire est fucké raide. L’achalandage est correct. Ici, on doit faire le lavage nous-même et on paye une cote de 10$ par client pour louer notre salle. Grande fille de la petite ville a changé de game.

« Travailler c’est faire la pute
Faire la pute c’est travailler »

J’ai écrit une lettre à ma mère pour lui parler de mon travail. On a toujours été super proches et on avait une excellente relation. Je pensais que ça nous rapprocherait encore plus. Qu’elle serait fière d’avoir une fille ayant la relation assez à cœur pour passer par-dessus la peur et le stigma social et lui confier son secret. Qu’elle trouverait ça intense mais qu’elle poserait des questions et qu’elle me ferait confiance malgré tout. Mais sa réaction a plutôt été le pire scénario que j’aurais pu m’imaginer. Elle a paniqué. Elle m’a demandé d’arrêter tout de suite en essayant de me virer du cash. En fait elle a tellement capoté que je soupçonne qu’elle ou une de ses amies proche a déjà eu une expérience traumatique par rapport au travail du sexe. Malgré ma patience et mes tentatives de rectifier la situation, elle a cessé de m’entendre et de me voir. Ne reste que le jugement et l’angoisse. Après plusieurs mois, elle est toujours aussi bloquée et je regrette de m’être ouverte car il m’est atrocement pénible de porter toute la honte et la douleur de ma propre mère. De sentir que son support peut être conditionnel. Un impact difficile. Je suis fragilisée. 

Une fois, je suis allée avec une amie travailler deux jours dans un bar à gaffe4 dans un trou perdu. Les monsieurs là-bas avaient des moustaches pis sentaient le p’tit lait ou le fumier. C’était des cultivateurs pas ben riches, qui se mettaient le plus beau qui pouvaient pour aller voir les filles de Montréal en visite. Raymond5 savait que j’allais venir cette semaine-là et m’a amené des boucles d’oreilles en cadeau mais il a jamais voulu qu’on aille à la chambre pour acheter mes services. On dirait que y’était juste vraiment content qu’une nouvelle personne se rende jusque-là pis voulait se sentir comme un provider pour une belle fille ça l’air.  J’suis repartie de d’là brûlée avec 2000$ et le sentiment doux-amer d’avoir eu un accès privilégié au cœur d’une petite communauté rurale isolée, émouvante de manière aussi tragique que pathétique.

Le 26 novembre 2021, je prends le métro vers une station que j’connais pas pour aller faire un shift dans un stripclub au centre-ville. J’me trouve ben brave pis y’a de quoi. C’est la première fois de ma vie que je vais rentrer dans un bar de danseuses pis c’est pour y travailler. Comme d’habitude dans le milieu, j’ai appris comment faire sur le tas en regardant les autres faire et avec quelques conseils d’une jeune ben fière de me montrer ce qu’elle savait. Le patron était tellement agressif et méprisant qu’en partant, à 3h du matin, je savais que j’y retournerais jamais.

Plus d’un an plus tard, je rencontre une fille qui me raconte qu’elle a déjà travaillé à ce bar-là. Pis qu’un soir qu’elle travaillait et qu’elle était pu capable de bouger parce qu’elle s’était fait mettre de la drogue dans son verre, ce même boss-là avait ordonné à une autre danseuse de la sortir dans la ruelle avec toutes ses affaires. La collègue en question avait refusé et décidé de l’amener elle-même à l’hôpital avec sa voiture. Le patron les a renvoyé les deux on the spot. Le bar c’est le Wanda’s, soyez prudent·e·s les babes.

Depuis que j’habite à Montréal, je m’implique dans un groupe militant autogéré par et pour les travailleuses du sexe. J’y trouve solidarité, colère, amour et intelligence. Courage, dignité et bienveillance. 

L’énergie sexuelle qui m’habite est un feu immuable qui ne demande que peu de moyens. 

Un feu qui rugit et soigne. 

J’éduque et je maudis. 

Je jette des sorts de toutes sortes. Je suis une good witch et une bad witch

Boy, fais-moi un $andwich.

Après avoir appris dans un livre militant que, pour éviter de se faire accuser de «tenu de bordel», un propriétaire de logement pouvait décider d’évincer sa locataire s’il la soupçonnait d’être travailleuse du sexe, je me suis sentie super unsafe chez moi pendant une bonne semaine. Je me suis sentie inférieure et fragile. M’imaginer perdre ma maison, mon balcon sur lequel je prends mon café le matin, les petits oiseaux dans la vigne. Devoir recommencer, seule et dépossédée. Le pire scénario possible. 

Je vais arriver flush à la manif. Je me suis arrêtée pour imprimer mon discours à la papeterie. Je vais m’en vais animer une manifestation pour la première fois de ma vie. On va marcher pour montrer qu’on existe et surtout pour crier qu’on veut des putains de droits. Qu’on veille les unes sur les autres. On va marcher, pis on va danser pis on va crier, pour nous pis surtout pour celles qui sont trop dans marde pour pouvoir faire toute ça.

Ces temps-ci quand je vais danser c’est en région. À Montréal je trouve les bars trop huppés pis ça m’écœure. Ça me tente pas de jouer la game du luxe pis anyway j’ai pas le casting ça l’air. J’ai appliqué à deux places mais les boss me rappellent pas. Finalement, j’suis rentrée au Cléo direct même si les danses sont à 10$6 parce je peux arriver pis partir quand je veux. Je vois quand même de la diversité dans le staff donc je suppose (I wish) que la gestion est moins raciste pis grossophobe qu’ailleurs. 

Mes meilleures chansons
pour strip :
M.I.A- Bad Girls
Ciara- Body Party
Troy Boy- Do you?
Rihanna- Sex with me
Beyoncé- Naughty girl
Future- Mask Off
Nathy Peluso- Delito 

J’ai quitté le salon où je travaillais depuis mon déménagement parce que le boss était trop toxique et ça commençait à me tirer trop de jus. Yannick Chicouane, si tu lis ça, sache que toutes tes masseuses, présentes et passées t’haïssent et complotent pour te planter. T’es un pervers narcissique manipulateur de la pire espèce. Un proxénète de marde, un abuseur dangereux. Je te maudis toi et tous les hommes qui exploitez le pouvoir sexuel des femmes pour vous enrichir. Criss de looser. Criss de lâche. J’écoute du Lingua Ignota et j’allume des chandelles de malheur dans ta direction. Si j’te pogne, j’te mange. 

« Je suis payée pour vous mentir mais je dis souvent la vérité. »
Jiz Lee

Janvier 2023. J’ai décidé d’aller à l’école pour devenir sexologue. La première étape c’était de faire des cours de base du collégial que j’avais pas fait parce que j’ai étudié en arts. J’ai trouvé un nouveau salon où travailler. C’était la seule place qui engageait quand je cherchais à ce temps-ci de l’année. C’est handjob seulement. Pas de fellation, pas de pénétration; pas de clients, pas de cash. J’y vais surtout pour étudier pis voir la réceptionniste que j’adore. Si j’suis chanceuse je fais un ou deux clients pis je sors de là avec 200$ cash.

Un soir au bar, un client est parti en courant pour pas payer ma collègue à qui il devait de l’argent. J’ai essayé de l’arrêter en me mettant entre lui et la porte faique il m’a rentré dedans pis j’me suis étiré un ligament dans le genou. Y’avait un bouncer. Y’avait des polices. Les bouncers pis la police servent à rien. Dans ce métier, on a pas le choix de se faire notre propre justice.

Août 2023. J’ai les genoux scrappes d’un été en talons hauts mais ben du cash de côté dans une petite boîte en bois pour commencer mon parcours universitaire du bon pied. Je suis partie dans un chalet toute seule pendant 4 jours pour me ressourcer avant l’école. J’ai trouvé ça difficile d’arrêter de travailler parce que le travail du sexe fait comme partie de mon identité maintenant. Je porte les anneaux dorés que Raymond m’a donné presque tous les jours. Je les ai même prêté à ma mère l’autre jour quand on a pris des photos de famille parce qu’elle les trouvait beaux.

En sortant de l’eau du lac tantôt, j’ai remarqué que ma montre avait pris l’eau. Tsé la belle montre que je m’étais acheté y’a trois ans quand j’ai commencé. La lumière fonctionne encore mais les chiffres ont complètement disparu de l’écran. J’me demande si j’devrais le prendre comme un signe qu’il faut que je prenne une pause. Le temps de me magasiner une nouvelle montre qui ornera mon corps à la hauteur de tout ce qu’il a apprit dans les trois dernières années.

Partition : Every Day Blues, Miroslav Loncar

1. Pour celleux qui savent pas, la différence entre un salon de massage et une agence d’escorte c’est qu’en salon, les filles se déplacent pas. Aussi, quand tu travailles en agence, le prix de base inclut une fellation (pis dans la majorité des agences, à Montréal en tout cas, ils t’engagent même pas si tu acceptes pas de faire tes fellations sans condom) et de la pénétration. En salon de massage, la seule affaire qui est inclut d’office dans le service que le client paye à l’accueil, c’est un massage et une masturbation manuelle. Tout le reste, c’est en extra, à la discrétion de la fille.  ↩

2. Pas son vrai nom. Ni son nom de travail. Un nom inventé pour le zine. ↩

3. Just sayin’ pour celleux qui pensent que le modèle légal concernant la prostitution en vigueur actuellement au Canada (le modèle Nordique; aussi en vigueur en Suède, en Norvège et en Irlande) est bon pour les travailleuses du sexe parce que la vente de service sexuelle est pas criminalisée, détrompez-vous. Toutes les autres affaires relatives, qui elles sont criminalisées, font en sorte notamment que travailler en équipe, que ce soit de manière indépendante avec une ou plusieurs collègues ou en salon, ça peut être considéré comme du proxénétisme et de la tenue de bordel par la police. Pis ça tu peux te faire accuser, arrêter et judiciariser pour. ↩

4. Un bar de danseuses où les filles peuvent faire des extras, allant du touche-pipi en cabine au full service dans une chambre de motel adjacente au bar. ↩

5. Pas son vrai nom. ↩

6. C’est qu’il faut savoir que d’habitude c’est 20$. Ça peut valoir la peine d’aller jusqu’à Rimouski pour enlever ses bobettes. ↩

Discours de Maxime Holliday et Melina May – 17 décembre

Discours de Maxime Holliday et Melina May

dans le cadre de la Journée internationale contre les violences faites aux TDS le 17 décembre​

MAXIME

Bonsoir à toustes et merci de vous être déplacées pour être avec nous. En cette journée internationale contre les violences faites aux travailleuses du sexe, nous prenons la parole pour rendre hommage aux collègues que nous avons perdues et pour réaffirmer encore une fois l’importance de rendre visibles nos réalités et les luttes que nous menons.

Nous sommes rassemblées ce soir pour nous unir en solidarité contre la violence faite aux travailleuses du sexe. Cette violence, elle se retrouve à tellement de niveaux et laisse des marques visibles et invisibles. Cette violence nous laisse vulnérables et en colère. Quel est notre véritable pouvoir d’action dans un système qui ne nous protège pas, pire qui nous fait violence et nous vulnérabilise encore plus.

 

Photo de Clémence Lesné

Ne pas avoir accès à des droits du travail, c’est fucking violent. Je pense à la fois où je travaillais en salon, et qu’un client n’avait pas l’argent pour me payer et que j’ai dû me résoudre à me considérer volée et violée en le laissant partir, parce qu’il n’avait rien de valeur sur lui à prendre en garantie de retour et que ma boss et la réceptionnistes avaient trop la chienne des répercussions pour que je puisse appeler la police. Police qui de toute manière n’aurait concrètement rien pu faire pour moi voir même qui aurait eu le pouvoir d’empirer ma situation. Cette fois-là, c’est ma collègue et amie Mélina que j’ai appelée en pleurant pour qu’elle me donne la force de me relever. No justice, no peace. Je pense à la fois où je travaillais en strip club et qu’un client voulait partir sans payer ma collègue et qu’en m’interposant moi-même entre lui et la porte de sortie, parce que le bouncer n’en avait finalement rien à chier et que la police avait choisit de ne pas intervenir, je me suis blessée de manière permanente au genou. No justice, no peace. Je pense à l’hypocrisie misogyne de nos sociétés qui conditionne le monde, nos ami.e.s, nos parents à nous juger, à nous mépriser et à nous craindre au point de nous attaquer verbalement, de nous renier. Je pense à nos collègues trans, à nos collègues non blanches, à nos collègues en situation de handicap, qui vivent des situations de discrimination et de violence accentuées et tellement innaceptables. No justice, no peace.

Nous sommes rassemblé.e.s ce soir pour nous unir en solidarité contre la violence faite aux travailleuses du sexe. Cette violence elle se retrouve à tellement de niveaux et laisse des marques visibles et invisibles. Cette violence nous laisse vulnérables et en colère. Quel est notre véritable pouvoir d’action dans un système qui ne nous protège pas, pire qui nous fait violence et nous vulnérabilise encore plus.

Alors que nous voyons nos décideurs politiques actuels choisir de prendre des décisions relatives aux bien être de toustes sans consulter les principales communauté concernées – je pense ici au fameux comité de sages (wtf) dans lequel aucune personnes de la diversité sexuelle et de genre n’a été convié – il est plus important que jamais d’amplifier notre parole et de nous défendre, de stand up for ourselves. Rien pour nous sans nous. C’est un travail de longue haleine et qui en vaut la peine. Aux allié.e.s, n’ayez pas honte et n’ayez pas peur de diffuser nos messages et de les défendre. Informez-vous et responsabilisez-vous comme vous le pouvez. Restez prudent.e.s de ne pas instrumentaliser nos luttes mais n’hésitez jamais à parler. Il s’agit d’une question de vie, de mort, d’une question de dignité humaine. Soyons fortes et unies dans notre résistance.

They say criminalize, we say organize.
La décriminalisation sauve des vies, decrim now !

Photo de Clémence Lesné

MELINA

Depuis la première rencontre du CATS en novembre 2019, quelques fois par mois, je rencontre mes collègues qui sont devenu.e.s de très bonnes ami.e.s. Nous sommes souvent isolé.e.s dans nos milieux de travail, et c’est dans la lutte que j’ai trouvé une communauté constituée de ces personnes pour qui j’ai une grande admiration. Elles sont parmi nous ce soir. Elles sont créatives, attachantes et solidaires.

Aujourd’hui, en ce jour de recueillement et de mémoire, j’ai envie que l’on souligne la résilience des TDS qui luttent quotidiennement. Célébrons la résistance de celles et ceux qui mettent en place des stratégies pour nous protéger dans nos milieux de travail. Honorons les TDS qui luttent pour de meilleures conditions de travail, en discutant avec leurs collègues, qui dénoncent l’insalubrité sur leur milieu de travail, qui réfléchissent ensemble à des moyens d’avoir des droits dans un système qui nous pousse aux marges. Célébrons les TDS qui prennent soin l’une de l’autre, qui mettent en place des groupes de soutien et d’auto-défense, qui gardent les enfants de leur collègue pendant qu’elle travaille, qui créent des occasions pour se rassembler et s’unir autour d’un repas. Dans un système qui veut nous effacer, notre résistance face à notre stigmatisation et notre criminalisation est essentielle, mais elle ne restera pas invisible. En cette journée internationale contre les violences faites aux TDS, nous soulignons la force de nos communautés.

Soyons courageuses ensemble, soyons unies dans notre rage.

Le CATS, c’est un comité qui milite pour la reconnaissance de notre travail. Nous nous regroupons pour discuter de nos mauvaises journées au travail, des lectures qui nous ont nourri, mais c’est avant tout un lieu de réflexion militante. On ne s’entend pas toujours sur les moyens d’action et les décisions à prendre pour faire avancer la lutte et c’est bien comme ça !

C’est dans la diversité et la créativité que nous pousserons nos demandes et que nous obtiendrons la décriminalisation du travail du sexe. Et celle-ci ne sera qu’une étape parmi toutes celles à franchir avant la libération de tous et toutes.

Contre la prison, contre les frontières, contre la police, soyons solidaires, résistons ensemble à toutes les formes de criminalisation !

Photo de Clémence Lesné

Nous avons quelques copies du magazine du CATS. Nous avons fait 3 éditions et sommes actuellement en train de travailler sur la 4e édition qui sortira bientôt en janvier. Les journaux de notre collègue Jesse, décédée il y a un an, seront publiés. Cette année, nous soulignons encore sa mémoire. Jesse n’avait pas peur de prendre la parole pour défendre les TDS. Pour elle, obtenir des gains signifiait être politique, s’organiser entre nous. En son honneur et à toutes celles et ceux qu’on a perdu.e.s, je nous invite à continuer la lutte sans répit, avec courage et amour !

Jesse Dekel au micro lors d'une action du CATS le 1er mai 2021

REST IN POWER JESSE!

Journée d’action pancanadienne

COMMUNIQUÉ

POUR DIFFUSION IMMÉDIATE

Journée d’action pancanadienne

Les travailleuse.r.s du sexe demandent la décriminalisation complète de leur travail

Tiohtià:ke (Montréal, territoire autochtone non cédé, où nous reconnaissons la nation Kanien’kehà:ka comme gardienne des terres et des eaux), 2 juin 2023 – En cette journée internationale des travailleuse.r.s du sexe (TDS), plusieurs organisations de TDS à travers le Canada organisaient des actions de visibilité afin de revendiquer collectivement la décriminalisation de leur travail. À Montréal, à l’appel du Comité autonome du travail du sexe (CATS), une centaine de personnes ont manifestées. La manifestation avait comme point de départ la Place de la Paix, près de l’intersection Saint-Laurent et Sainte-Catherine, un lieu symbolique du Red Light montréalais. 

Le gouvernement fédéral doit agir!

Des militant.e.s à travers le pays portent une demande unanime: que le gouvernement fédéral dépose un projet de loi afin de décriminaliser le travail du sexe, de la même manière que l’a fait la Nouvelle-Zélande. Comme l’explique Adore Goldman du CATS, «le modèle néo-zélandais a fait ses preuves depuis une vingtaine d’années. Les TDS bénéficient des mêmes droits que les autres travailleur.euse.s et peuvent dénoncer la violence au travail par les mécanismes déjà en place dans le cadre du droit du travail.» 

Depuis plusieurs années, les travailleuse.r.s du sexe dénoncent les effets négatifs du modèle en vigueur qui criminalise les clients et les tierces parties, comme les chauffeurs et les patrons des agences d’escortes. «À cause de la répression policière, nos clients refusent de nous révéler leur réelle identité par peur d’être criminalisés. Cela rend compliqué l’identification et la dénonciation des clients dangereux», fait valoir Melina May, militante au CATS.  

Dans les milieux de travail comme les salons de massage et les bars de danseuses, les conditions de travail sont souvent menacées par des patrons qui profitent de la dérégularisation pour faire la loi. Face à des problèmes de salubrité, d’abus et d’harcèlement, les travailleuse.r.s du sexe ont peu sinon aucun moyen pour protéger leurs droits à des conditions de travail décentes. «Si mon boss était tenu imputable par les lois du travail, il serait contraint à protéger la sécurité de ses employé.e.s, à entendre nos plaintes et à prendre action», explique Adore Goldman.

Uni.e.s pour la décriminalisation

Plusieurs actions ont eu lieu aujourd’hui dans plusieurs villes canadiennes pour interpeller le gouvernement fédéral et d’autres sont à venir cette semaine. Des TDS et leurs allié.e.s dans les villes de Québec, Vancouver, Winnipeg, Calgary, et Edmonton joignent ainsi leurs voix: «Nous souhaitons envoyer un message clair au gouvernement de Justin Trudeau: on en a assez d’attendre. La criminalisation nous met en danger et nous empêche de travailler dans des conditions de travail décentes!», déclare Maxime Durocher, travailleur du sexe et militant au CATS.

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Comité autonome du travail du sexe (CATS)
Melina May
438-838-7538

Pour assurer la sécurité des membres du comité, les prises de paroles et interviews se feront de manière anonyme. Certaines personnes pourraient choisir de montrer leur visage ou de divulguer leur nom de travail.

Parce que travailler c’est faire la pute

Parce que travailler c'est faire la pute !

Par Adore Goldman et Melina May

Au Québec, plusieurs syndicats ont historiquement pris des positions anti-travail du sexe et milité activement pour la criminalisation des clients et des tierces parties. Plutôt que de se solidariser avec d’autres travailleuses en lutte pour de meilleures conditions de travail, ces positions ont reconduit un mépris de classe comme quoi nous serions des victimes à sauver plutôt que des travailleuses exploitées au même titre que les travailleur.euse.s syndiqué.e.s. 

Ainsi, ces prises de position de plusieurs syndicats ont miné non-seulement la solidarité de classe, mais aussi celle entre les femmes: suite à une prise de position controversée sur l’agentivité des travailleuses du sexe (TDS) lors d’une assemblée générale de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) en 2018, la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN), le Syndicat des professionelles et professionels du gouvernement du Québec (SPGQ) et le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) ont quitté la fédération. Nous souhaitons ici déconstruire l’argumentaire de ces groupes comme quoi nos luttes seraient individualisantes et la pratique de l’action collective, absente de nos mouvements.

Et vous, avez-vous choisi votre travail? La question de l’agentivité et du choix

Un pilier de l’argumentaire des syndicats dénonçant les positions pro-travail du sexe comme celles de la FFQ est la critique du concept d’agentivité. Pour les déserteurs de la fédération, il s’agirait d’une position individualisante, ne tenant pas compte des rapports d’oppression systémique comme le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Nous croyons qu’il y a de toute part des nuances à apporter et des éléments à clarifier afin d’avoir un débat qui en vaut la peine et qui nous inclut.

Les questions du choix et de l’agentivité sont ici centrales. La définition que la FFQ fait  de l’agentivité est la suivante: «faculté d’action d’un être; sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou à les influencer.»1 Nous sommes prêtes à convenir que cette définition est individualisante. Toutefois, affirmer comme le fait la CSN que «selon les estimations, plus de 90% des prostituées sont contraintes par la misère et les violences à subir l’exploitation sexuelle»2 appelle à la pitié et aux bons sentiments charitables plutôt qu’à une solidarité entre travailleuses.

Il n’y a rien de surprenant à ce que certaines travailleuses du sexe affirment avoir choisit de travailler dans l’industrie du sexe. Après tout, la première condition d’existence du capitalisme est que le travailleur (ou la travailleuse) soit libre de vendre sa force de travail, mais d’un autre côté, n’ait pas les moyens de réaliser seul sa force de travail (sans un capitaliste détenant les moyens de production). 

Ces TDS n’ont donc pas tort d’affirmer qu’elles ont pu choisir le travail du sexe même si en fait, c’est un ensemble de circonstances qui les y ont mené. Si ces circonstances sont parfois plus ou moins contraignantes, n’empêchent qu’il s’agit pour la plupart de la meilleure ou de la moins pire des options. Plusieurs raisons expliquent cela: le travail du sexe permet à plusieurs femmes de faire plus d’argent en moins de temps, en plus de permettre une certaine flexibilité en terme d’horaire. Il peut également être laissé et repris à tout moment et ne demande pas de diplômes. Ces caractéristiques sont attrayantes entre autres pour les mères monoparentales et pour les personnes ayant une maladie chronique ou un handicap qui les empêche d’avoir un emploi à temps plein. Ce travail permet aussi à plusieurs de retourner aux études et par la suite, d’obtenir des emplois mieux rémunérés. 

Bien sûr, pour certaines, les possibilités sont plus restreintes. C’est le cas des personnes migrantes qui travaillent dans l’industrie du sexe. Ces personnes font face aux conditions les plus difficiles. À cause de leur statut d’immigration précaire, les employeurs ont tout le loisir de les faire chanter et de les exploiter davantage, à l’instar de leur collègues migrant.e.s dans d’autres industries comme l’agriculture. Toutefois, l’argumentaire anti-prostitution fait totalement abstraction du désir de ces personnes de migrer. La CSN par exemple, se limite à cibler les trafiquants et les proxénètes, mais passe sous silence le rôle de l’État et de ses politiques migratoires sur ces conditions de travail abjectes.

Notons également que plusieurs TDS ont un autre emploi «civil» qui ne leur permet pas d’y arriver à la fin du mois. Le travail du sexe sert alors de revenu d’appoint.  De surcroît, c’est également le cas de plusieurs travailleuses syndiquées. Parmi nos collègues, on retrouve des infirmières, des travailleuses sociales, préposées aux bénéficiaires, des travailleuses du communautaire, des travailleuses de la fonction publique, des cols bleus, etc. Ainsi, en ne soutenant pas la lutte des TDS, les syndicats démontrent non seulement un manque de solidarité avec d’autres travailleuses, mais carrément avec une partie de leur base.

Bien sûr, le fait d’être libre de choisir de vendre sa force de travail ne signifie pas que nous ne sommes pas exploitées! Au contraire, il s’agit d’un faux choix puisqu’il faut bien travailler au final. On peut choisir son travail, mais pas de ne pas travailler! Selon les possibilités qui s’offrent à nous, on prendra la moins pire des options. En ce sens, nous pensons qu’il est infructueux de poser la question du choix ou du non-choix. Parce qu’il faut bien travailler et que notre travail est exploité et miné par la violence, nous souhaitons plutôt parler de stratégie d’organisation pour améliorer nos conditions de vie et de travail!

Ne nous sauvez pas, on s’en occupe ! Pour une réelle solidarité entre travailleuses !

Suite à l’adoption des positions par la FFQ, la CSN déplorait un détournement des valeurs et des intérêts de la fédération : l’action collective aurait laissé sa place aux expériences individuelles. Nous ne souhaitons pas défendre la FFQ sur cette question. Il est indéniable que depuis plusieurs années l’action collective s’y essouffle, à l’instar de nombreuses autres organisations communautaires. Et on ne peut pas dire que les syndicats soient un terrain de lutte très prolifique. Les luttes et les intérêts des travailleurs et travailleuses sont souvent paralysés par la bureaucratie et le management des grandes centrales.  Si la CSN «estime [que l’action collective] demeure la meilleure voie pour la défense des intérêts de toutes et de tous»5, elle encourage pourtant la criminalisation de l’industrie du sexe en bon sauveur, c’est-à-dire, l’intervention policière plutôt que la lutte des travailleuses. S’il y a bien une chose qui met un frein à l’organisation collective des travailleuses du sexe, et plus largement l’organisation des communautés, c’est bien la répression et la surveillance!  Car il faut le rappeler, le modèle nordique que défend la CSN et d’autres syndicats à de graves conséquences sur les TDS et notre capacité à défendre nos droits et protéger notre intégrité. La criminalisation des clients fait en sorte qu’ils sont généralement réfractaires à révéler leur réelle identité, ce qui complique l’identification et la dénonciation des clients dangereux. Les TDS peuvent aussi faire face à des charges criminelles de proxénétisme si elles offrent des services avec leurs collègues ou partagent un espace de travail. Cette disposition criminalise donc le fait de travailler à plusieurs pour assurer notre sécurité mutuelle et de s’organiser en collectif, coopératives ou syndicat. Dans un système de criminalisation, les arrestations, les évictions, les déportations de nos collègues migrantes, la fermeture de nos espaces de travail et la déresponsabilisation de nos boss à garantir un lieu de travail sécuritaire et inclusif sont tous des moyens pour miner l’organisation des TDS. D’ailleurs, nos premières tentatives d’organisation en milieu de travail rencontrent déjà ces impacts bien concrets: si nous nous organisons contre notre patron, nous courons le risque que la police l’arrête et ferme notre milieu de travail. Nous perdrions alors toutes notre emploi et nos collègues migrantes seraient déportées. Nous ne voulons pas de votre complexe de grand sauveur et de vos appels à plus de ressources pour nous sortir de l’industrie. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réelle solidarité de classe. Il est grand temps pour les syndicats de se ranger du côté des personnes que vous prétendez défendre. Nous sommes des travailleuses, nous voulons des droits du travail; nous voulons des congés de maladie, de parentalité, des fériés, nous voulons pouvoir dénoncer les abus de nos patrons et clients, et ce, par les mêmes mécanismes dont sont munis les autres travailleur.euse.s.  L’organisation des TDS n’a jamais attendu l’appui des syndicats pour s’opérer, ni pour créer et renforcer les liens avec les communautés et les groupes allié.e.s. Nous savons que les réformes légales que nous réclamons ne sauraient à elles seules lutter contre les violences structurelles, que les TDS subissent souvent, étant aux intersections de plusieurs types d’oppressions. C’est pourquoi notre force collective est aussi au cœur d’autres luttes, contre le système pénal, contre les frontières, contre la transphobie, contre les violences sexistes, contre le colonialisme et contre notre oppression en général. Alors que la CSN s’inquiète «des effets et des répercussions de la prostitution sur toutes les femmes»6, nous répondons que notre lutte s’inscrit dans un projet plus radical, dans une lutte des classes, une lutte des femmes et des genres, pour le refus des conditions d’exploitation qui pèsent sur nous toutes et tous.

1. Confédération des syndicats nationaux. (2014). Document de réflexion sur l’adhésion de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) à la fédération des femmes du Québec (FFQ), p.5 ↩

2. Confédération des syndicats nationaux. (2014). La Prostitution, une pratique à dénoncer, une exploitation à combattre, p. 6 ↩

3. «Pour qu’il y ait transformation d ‘argent en capital, il faut donc que le possesseur d’argent trouve le travailleur libre sur le marché des marchandises, libre en ce double sens que, d’une part, il dispose en personne libre de sa force de travail comme d’une marchandise lui appartenant et que, d’autre part, il n’ait pas d ‘autres marchandises à vendre, soit complètement débarrassé, libre de toutes les choses nécessaires à la réalisation de sa force de travail.» Karl Marx. (1867). Le Capital, Critique de l’économie politique, Livre 1, traduction sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre (1993), Puff, p.190↩

4. Confédération des syndicats nationaux. (2014). La Prostitution, une pratique à dénoncer, une exploitation à combattre, p.4-5 ↩

5.Confédération des syndicats nationaux. (2014). Document de réflexion sur l’adhésion de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) à la fédération des femmes du Québec (FFQ), p.5 ↩

6. IDEM, p.7 ↩

Confidentialité en ligne : un mythe ? 

Confidentialité en ligne : un mythe ?

Quelques conseils pour assurer sa sécurité

Par celeste et susie showers

L’impact des lois SESTA/FOSTA1 a dramatiquement changé l’utilisation d’Internet pour les travailleurs.euse.s du sexe (TDS) et les civils – le grand public, celleux qui ne pratiquent par le travail du sexe. Du déplateformage à la divulgation publique d’informations personnelles, la sécurité des TDS est vue comme sacrifiable.2 Le redoutable  «shadowban» touche les TDS sans avertissement et bloque systématiquement les publications de la vue des audiences. Le recours à ces plateformes externes, comme les réseaux sociaux, pour publiciser le travail est important de nos jours, puisque l’accès aux sites qui listent spécifiquement le travail des TDS est révolu (RIP Backpage).3 Cela veut dire que votre travail et, par conséquent, votre bien-être et votre sécurité personnelle sont à risque. En effet, la perte de revenu occasionnée par ces mesures peut mener à des prises de risques plus grandes, parce qu’il faut bien payer les factures! De plus, certaines TDS choisissent de travailler sur les plateformes en ligne pour quitter des milieux de travail toxiques et s’assurer un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail. Ces mesures vont donc bien au-delà de la perte d’accès à un compte Instagram, ce sont nos conditions de travail qui sont directement affectées!  Vous pouvez prendre certaines mesures pour vous protéger, ainsi que vos données : Ces précautions peuvent ne pas être pertinentes dépendamment de votre utilisation de l’Internet liée au type de TDS que vous faites ou de vos limites personnelles.
Sécurisez vos comptes/mots de passe
  • Les logiciels cryptés comme Signal et Protonmail sont sécurisés de bout en bout que si le récepteur et l’expéditeur utilisent le même service. Par exemple, si vous envoyez un message de votre compte Protonmail à une adresse Gmail, les données seront encore exposées. 
  • Utilisez des mots de passe compliqués et sûrs contenant des lettres majuscules et minuscules, des chiffres et des symboles.4 
  • Configurez l’authentification en deux étapes dans vos comptes en ligne lorsque cela est possible.
Collage: Jesse Dekel
Sécurisez vos habitudes de navigation
  • Déconnectez-vous des comptes de médias sociaux avant de quitter la page, car lorsque vous êtes connecté.e.s, vos comportements de navigation sont suivis sur toutes les autres pages que vous ouvrez.
  • Utilisez un VPN comme TunnelBear pour masquer votre position.
  • Utilisez le mode «navigation privée» lorsque vous naviguez.5
  • Utilisez une extension sur vos navigateurs pour bloquer les publicités.
  • Désactivez manuellement la collecte de données sur les sites Web que vous utilisez si possible.

Sécurisez votre contenu

  • Rendez les images de vous-mêmes moins reconnaissables. (Ex.: angles rapprochés qui ne montrent pas des parties reconnaissables du corps, comme le visage, des tattoos, etc.) 
  • Avant de publier des images liées au TDS, supprimez les données EXIF, c’est-à-dire l’horodatage et la localisation intégrés à la photo. Utilisez l’application Iphone Shortcuts pour le faire de façon automatique ou recherchez comment supprimer les données EXIF sur votre modèle de téléphone cellulaire spécifique.
  • Ne publiez pas votre emplacement sur les stories Instagram ou Snapchat pendant que vous êtes sur place, attendez d’être dans un autre endroit.
  •  
Sécurisez vos paramètres de confidentialité
  • Sur votre site Web, payez pour la confidentialité supplémentaire qui ne révèle pas le nom et l’adresse de l’acheteur du domaine.6
  • Conservez votre nom légal hors des transactions PayPal en créant un compte commercial et en utilisant le nom DBA (Doing Business As). Sinon, si vous liez votre compte à votre carte de débit plutôt qu’à une carte de crédit, aucun nom n’apparaît. Vérifiez en envoyant un petit virement de 0,01 $ à une personne de confiance et demandez-lui quelles informations figurent sur le relevé. 
  • Selon votre banque, il est également possible de modifier le nom apparaissant sur votre relevé. Vous pouvez mettre vos initiales par exemple.
Collage: Adore Goldman

Sécurisez vos moyens de communication

Aucune application ou plateforme n’est totalement sécurisée, et de nombreux sites chassent les TDS, comme on peut l’observer avec les politiques d’usage qui changent rapidement et sans avertissement. 

  • Utilisez des mots codés sur les forums pour parler de vos services.
  • Ne parlez pas d’argent ou de services explicites directement.
  • Vérifiez les politiques de la communauté en ligne avant de publier sur les forums de TDS.
  • Une liste d’adresses courriel est le moyen le plus sûr de rester en contact avec les clients. 
Sécurité lors du passage des frontières
  • Lorsque vous traversez des frontières, apportez le moins d’appareils électroniques possible. 
  • Réglez tous vos comptes de médias sociaux sur «privé».
  • Supprimez TOUTES les images et tous les messages sur vos appareils qui pourraient être liés au TDS de quelque manière que ce soit.
  • Ajoutez un mot de passe numérique sur votre cellulaire.7 
  • Modifiez les paramètres de notifications pour qu’aucun contenu des messages ne s’affiche sur l’écran de verrouillage. 
  • Faites de la publicité pour vos dates en dehors de celles où vous voyagez.
  • Supprimez toute publicité incluant votre image avant votre voyage.

Ces conseils sont sujets à changer très rapidement à cause de l’évolution constante du monde en ligne. Notre meilleure arme contre les attaques politiques en ligne reste toutefois la solidarité et l’organisation entre collègues pour obtenir des changements.

 Les lois Stop Enabling Sex Traffickers Act (SESTA) et Allow States and Victims to Fight Online Sex Trafficking Act (FOSTA) ont été votées par le sénat américain en 2018. Depuis, les plateformes qui hébergent en toute connaissance de cause du contenu facilitant la prostitution sont tenues responsables. Ces lois, censées s’attaquer au trafic sexuel, ratissent plus large: elles viennent criminaliser tout site hébergeant du contenu associé à la prostitution. C’est donc sans surprise que plusieurs médias sociaux, comme Tumblr et Instagram, ont décidé de changer leurs standards pour ne plus accepter le contenu des TDS sur leur plateforme. ↩

2. Thorin Klosowski. (s.-d.). How to Protect Your Digital Privacy, récupéré de https://tinyurl.com/platformsdiscrimination ↩

3. Pour en savoir plus sur la fermeture de Backpage et les autres conséquences de SESTA-FOSTA: Adore Goldman et Céleste. (2021). Croisade contre la porno, récupéré de https://tinyurl.com/croisadeporno ↩

4. Thorin Klosowski. (s.-d.). How to Protect Your Digital Privacy, récupéré de https://tinyurl.com/platformsdiscrimination ↩

5. Dan Raywood. (2018). Top Ten Ways to Reduce Your Digital Footprint. ↩

6. Hacking hustling. (2019). Online Worker Safety Hazards and Cautions : A Practical Harm Reduction Guide on Why and How Sex Workers Can Protect Ourselves at Work ↩

7. IDEM ↩

Every mother is a working mother

Every Mother is a Working Mother

Par Adore Goldman et Latsami

Dans notre société, la sexualité est un produit que toutes les femmes sont forcées de vendre d’une manière ou d’une autre. En tant que femmes, notre pauvreté ne nous laisse pas beaucoup le choix. En échange de leurs services sexuels, les putains reçoivent de l’argent en espèces, et les autres femmes, un toit au-dessus de leur tête ou une sortie. Dans les deux cas, il y a un échange, mais ni les ménagères ni les putains ne sont reconnues comme des travailleuses.1

Quand les travailleur.euse.s du sexe (TDS) revendiquent la décriminalisation complète de leur travail, les partisan.e.s du modèle en vigueur répliquent à coup sûr que les travailleur.euse.s ne sont déjà plus criminalisé.e.s au Canada depuis l’adoption de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation en 2014.2 Cette affirmation est non seulement fausse – si les TDS ne peuvent être poursuivi.e.s pour avoir annoncé et vendu leurs propres services sexuels, iels peuvent l’être si iels collaborent avec des collègues – mais elle ignore aussi le fait que la criminalisation du travail du sexe vient avec son lot de préjudices. Pour les TDS qui sont mères ou parents, le stigma quotidien impose son lot de stress et de souffrances quand iels ont à faire aux services sociaux et de santé, entre autres ceux de la protection de la jeunesse. À travers ces institutions, l’État renforce les archétypes de la madonne et de la putain, en séparant les «bonnes» des «mauvaises» mères. 
Photo prise par AM Trépanier lors du Cabaret Support your local Whoreganization

Ce texte est le compte-rendu d’une enquête militante que nous avons menée. Nous nous sommes entretenues avec trois mères/parents TDS afin d’explorer leur expérience de la maternité/parentalité, particulièrement entourant leurs relations antagonistes avec les institutions de l’État.

  • Rebecca est une femme blanche, mère de deux jeunes enfants dont elle a la garde à temps partiel. Elle a commencé le travail du sexe après s’être séparée du père de ses enfants. À travers les années, elle a travaillé comme camgirl et escorte. 
  • Anita est une personne queer autochtone et parent de deux enfants qui sont maintenant adulte et adolescent. Iel est TDS depuis la fin des années 1990 et a travaillé dans plusieurs secteurs de l’industrie. Iel est maintenant organisateur.rice communautaire et escorte. Iel est également un.e ancien.ne utilisateur.rice de drogues, ce qui l’a mené.e à entrer en contact avec différentes institutions de santé et de services sociaux.
  • Chantal est autochtone et mère monoparentale d’une fille de 16 ans. Elle travaille dans l’industrie du sexe depuis l’âge de 14 ans et est maintenant masseuse érotique.

Pour toutes, le travail du sexe a été un outil pour lutter contre la précarité économique à laquelle les mères seules sont trop souvent confrontées. Cette stratégie est toutefois  jugée sévèrement et le stigma qui l’accompagne impacte leurs enfants. Trop souvent à la stigmatisation s’ajoute la répression. En effet, la menace de signalement à la protection de la jeunesse est utilisée pour contrôler les TDS, que ce soit par les ex-conjoints, les propriétaires ou par différents acteurs du système de santé et des services sociaux.

La madonne et la putain

Nous partons du principe que le sexe et la maternité font tous deux partie de la catégorie du travail domestique, et que ce travail sert à reproduire la force de travail d’aujourd’hui et de demain. En enfantant, en prenant soin et en éduquant, les femmes et les personnes queer/trans produisent la prochaine génération de travailleur.euse.s. Dans le cadre du couple hétérosexuel, le plus souvent, ce sont elles qui cuisinent, font le ménage et baisent pour s’assurer que les travailleurs d’aujourd’hui soient frais et dispos à se remettre à l’ouvrage le lendemain. Ainsi, le travail sexuel, tout comme la maternité, est un devoir que les femmes doivent remplir par amour, mais surtout, sans rémunération. Apparaissent alors deux catégories de femmes : la femme respectable et honnête d’un côté, qui se plie aux exigences de la reproduction sociale, et, de l’autre, la dévergondée, la déviante, qui refuse d’accomplir ce travail gratuitement, notamment en ce qui concerne la sexualité. Cette dichotomie assigne les femmes au travail domestique, tout en les privant d’un salaire ou d’un pouvoir sur leurs conditions de travail. Dans ce contexte, la criminalisation des TDS est une partie essentielle de l’application de ces politiques.

Le travail du sexe est, depuis longtemps, un moyen de survie pour plusieurs femmes et, par le fait même, pour leurs enfants. Toutefois, le contrôle de cette activité par l’État est relativement récent: selon Silvia Federici, le passage d’une industrie légère à une industrie lourde3 en Europe et en Amérique du Nord s’est accompagné d’un intérêt renouvelé du Capital dans le contrôle de la sexualité des femmes.4 En effet, ce nouveau type d’industrie exigeait des travailleurs en meilleure santé et capables de travailler dans des conditions difficiles. Le travail domestique des femmes est devenu essentiel à la reproduction d’une force de travail apte et bien disciplinée à travailler dans ces conditions. Les normes sexuelles et de genre, jusqu’alors associées à la vie domestique des femmes bourgeoises et de classe moyenne, ont été imposées aux femmes prolétaires blanches, et éventuellement aux femmes racisées et autochtones. Il n’était plus socialement acceptable qu’une femme travaille à l’usine, fréquente les tavernes, occupe l’espace public et surtout, délaisse la reproduction de la force de travail. L’instinct maternel, l’amour et le don de soi deviennent des qualités féminines encouragées, qui se traduisent par les interventions de l’État auprès des familles.
La colonisation a également joué un rôle important dans la catégorisation de certaines sexualités comme déviantes. Selon Kim Anderson, professeure et chercheuse cri-métis, les femmes autochtones se voient imposées le complexe de la vierge-putain qui se traduit dans l’imaginaire colonial, en celui de la «princesse-s*5»6. D’un côté, la princesse renvoie à la «frontière-vierge […] qui attend d’être franchie».7 Sa représentation la plus populaire est sans doute le personnage de Pocahontas. Au fil du temps, les femmes autochtones ont refusé l’étiquette de la princesse, et le pouvoir colonial a alors construit l’archétype de la s*, une femme paresseuse, obscène et immorale. Dans les deux cas, ce sont des figures sexualisées qui ont permis d’asseoir la domination patriarcale coloniale. Anderson note qu’en inventant cette figure stéréotypée, les autorités ont légitimé le retrait des enfants autochtones de leurs familles et de leur communauté pour les placer dans des pensionnats ou des foyers d’accueil. Ces images, précise Anderson, «sont comme des maladies qui se propagent à travers l’imaginaire autochtone et non-autochtones»8 et ne sont équivalentes à aucune réalité tangible. Ainsi, l’État capitaliste, patriarcal et colonial a tout avantage à contrôler la sexualité des femmes et à les diviser entre bonnes et mauvaises. À travers ce processus, il assure la reproduction de sa force de travail et sa domination coloniale.
Photo prise par Youssef Baati lors du rassemblement du 3 mars 2022 organisé par le CATS et ISWAC

Précaires et solidaires!

Les mères travailleuses, they stick together! – Anita

Quand Rebecca a commencé le travail du sexe, c’était pour offrir une meilleure qualité de vie à ses enfants après sa séparation. Sans diplôme, elle voyait bien que les emplois qui s’offraient à elle ne lui permettraient pas d’arriver financièrement. «J’ai fait mes calculs et j’ai vu que ça ne fonctionnait pas!», affirme-t-elle. Une amie l’a introduite à l’industrie du sexe, d’abord comme camgirl, puis comme escorte. Ce travail lui a permis de faire plus d’argent en moins de temps et d’avoir des horaires plus flexibles: «Je pouvais amener ma fille à la gymnastique à 4h et passer du temps avec mes enfants!» Même son de cloche pour Chantal. Lorsqu’elle était sur l’aide sociale, le travail du sexe lui a permis de trouver les fonds pour prendre soin d’elle et de sa fille: «J’ai essayé de me trouver une job “normale”, mais après une semaine de 40h, tu fais 400$ quand tu pourrais faire 700$ en 12h au salon [de massage]». 

Toutefois, le travail du sexe demeure un emploi précaire. Pour Anita et Chantal, qui ont toutes les deux travaillé dans des salons de massage, les quarts de travail de 12h posaient problème. Chantal devait également s’assurer de faire garder sa fille quand elle prenait des clients à la maison. Et il n’y a aussi aucune garantie de faire de l’argent! De plus, la criminalisation fait en sorte qu’aucune norme légale en matière de travail ne s’applique. Devant ces obstacles, les TDS bâtissent des réseaux de soutien: «On se faisait des arrangements; tu prends ma fille pendant mon shift et je prends ta fille durant ton shift», explique Anita. L’entraide entre putes vient donc pallier aux difficultés en ce qui a trait au gardiennage atypique.

Le vécu d’Anita, Chantal et Rebecca ne sont pas des exceptions. Les familles monoparentales ayant une femme comme cheffe de ménage sont statistiquement plus à risque de vivre avec des revenus insuffisants.9 Cela s’explique entre autres par le fait qu’une bonne partie de leur temps est dédié à prendre soin de personnes à charge, c’est-à-dire, du travail non-payé. Dans ce contexte, plusieurs se tournent vers le travail du sexe. Ces expériences font écho au rapport What’s a Nice Girl Like You Doing in a Job Like This? du English Collective of Prostitutes.10 Le collectif a comparé les conditions de travail des TDS à celles d’autres femmes et d’une personne non-binaire qui travaillent toustes dans des emplois largement féminisés – des emplois de soins et de services. Parmi ces participant.e.s, une mère monoparentale sans emploi rémunéré a participé et calculé les heures consacrées au soin de ses enfants. Les heures de travail gratuit qu’elle effectuait auprès de sa progéniture dépassait nettement les heures consacrées au travail rémunéré par les autres. Aussi, les femmes ayant des enfants ont rapporté être discriminées à l’embauche pour cette raison. Les frais de garde d’enfants représentaient la moitié des dépenses de ces femmes. Enfin, les TDS interrogé.e.s étaient celleux qui faisaient le plus d’argent en taux horaire. Pour le collectif, au vue de ce rapport, la question n’est pas de savoir pourquoi certaines femmes font du travail du sexe, mais plutôt de savoir pourquoi toutes les femmes ne le font pas.

Fils de putes ou fils de joie?11

Le travail du sexe transforme également l’expérience des enfants et leur relation avec leur mère. Anita et Chantal ont des enfants qui sont en âge de comprendre ce qu’iels font comme travail. Pour les deux, le travail du sexe a permis d’ouvrir la discussion avec leurs enfants sur la sexualité, le consentement et la santé sexuelle et reproductive. Cela fait partie de leur travail, et iels partagent leur expertise avec leurs ados. Iels leur transmettent également des connaissances quant aux ressources communautaires, ce qui leur facilite l’accès à des condoms, à des tests de dépistage et à des moyens de contraception.

Chantal espère que cette ouverture permettra à sa fille de ne pas vivre certaines expériences qu’elle a vécues: «Ma mère ne me parlait pas de sexualité. […] Quand j’ai commencé [le travail du sexe], j’étais jeune, j’étais avec un pimp, c’était très violent. Je me demande si le fait que je suis ouverte avec ma fille, ça va faire qu’elle est plus wise. Elle a accès à plein de knowledge que je n’avais pas!» Anita souligne l’importance que ses enfants connaissent leurs droits, qu’iels travaillent dans l’industrie du sexe ou au Mcdo.

Toutefois, les enfants font aussi l’expérience du stigma. Être un «fils de pute» est une insulte qui résonne différemment dans les oreilles des enfants des TDS. «Mes enfants se demandent si c’est dirigé contre eux», explique Anita. Étant donné son militantisme, ses enfants entendaient parler de travail du sexe dès un jeune âge, mais iel explique que c’est en grandissant que sa fille a compris de quoi il s’agissait. «Il fallait démêler ce qui était la réalité versus ce qu’on voit dans les films!» Iel a dû accompagner ses enfants dans leur manière de gérer cette information. «Tu ne veux pas dire que c’est un secret, parce que tu ne veux pas que tes enfants apprennent à garder des secrets s’il y a un abus. Mais il faut le dire à des personnes de confiance. Tu ne peux pas le dire à l’éducatrice spécialisée à l’école, par exemple.» Et pour cause, pour les TDS et leurs enfants, le dévoilement de ce métier entraîne souvent de graves conséquences.

Photo prise par Youssef Baati lors du rassemblement du 7 octobre devant le palais de justice à Montréal
Les ménagères de la nation Il n’est pas nouveau que le contact avec les institutions de l’État comporte un risque pour les TDS. Les premières lois sur le travail du sexe apparaissent à l’ère victorienne au XIXe siècle avec le courant de l’hygiénisme moral. En matière de prostitution, le moralisme qui prévalait est remplacé par des arguments «scientifiques» : c’est désormais le corps médical qui justifie la répression des TDS. En Angleterre, la Loi sur les maladies contagieuses de 1864 instaure des examens médicaux forcés aux TDS qui sont considérées comme des vecteurs de transmissions et responsables de l’épidémie de syphilis parmi les militaires.12

Les emplois typiquement féminins qui étaient préalablement administrés par l’Église – protestante ou catholique – sont désormais laïcisés et pris en charge par l’État et sont utilisés entre autres pour réprimer les TDS. Nathalie Stake-Doucet, docteure en science infirmière et militante, rapporte que Florence Nightingale, une pionnière des soins infirmiers modernes, affirmait que «les travailleuses du sexe renfermaient en elles un mal qui engendrait spontanément la maladie».13 Selon les conceptions hygiénistes de l’époque, la propreté n’était pas seulement physique, mais également morale. Selon la militante, Nightingale était également ouvertement en faveur de la colonisation britannique des territoires autochtones, qu’elle considérait comme civilisatrice.

Simultanément, le travail social se développe pour répondre aux problèmes sociaux qui émergent avec l’urbanisation. Des femmes de classe moyenne se portent garantes de l’application de ces nouvelles normes familiales dans les classes prolétaires et les familles immigrantes.14 Jane Addams, une des fondatrices du travail social, appartenait à ce mouvement dit «hygiéniste».15 Elle participa à développer en 1890 le Home Economics Movement, un regroupement de femmes de classe moyenne, autoproclamées «ménagères de la nation». Ce mouvement cherchait à imposer de nouveaux standards de propreté et de nutrition aux familles, principalement aux familles immigrantes. Addams est également reconnue comme une des grandes combattantes contre la «traite des blanches», un mythe particulièrement répandu à cette époque selon lequel des hommes racisés kidnappaient des femmes blanches pour les forcer à vendre des services sexuels.16

En tenant compte de l’histoire du développement de ces institutions étatiques, il n’est pas étonnant que, encore aujourd’hui, les TDS redoutent leur contact. Et pour cause: le signalement aux services de protection de la jeunesse est une menace constante utilisée pour contrôler les TDS.

Quand Rebecca a dévoilé son métier à sa mère, cette dernière l’a menacée d’informer la protection de la jeunesse. Puisque sa mère travaillait dans le domaine des services sociaux, cela l’a amené à cacher son métier à toustes les intervenant.e.s autour d’elle pendant longtemps: sa psychiatre, sa psychologue, son médecin… l’empêchant d’avoir des soins adéquats. Au final, ses craintes ne se sont pas avérées fondées: sa psychiatre et sa psychologue ont bien réagi à son dévoilement. Toutefois, sa mère à informer le père des enfants de Rebecca de son métier, et celui-ci a fait un signalement. Le dossier a été vite fermé, mais toute cette expérience a été éprouvante pour elle.

Pour Anita, la stigmatisation a commencé alors qu’iel était enceint.e et qu’iel s’est rendu.e dans un centre de thérapie pour sa consommation. Iel explique que «quand tu fais de la prosto de rue, tout le monde pense que tu n’as pas le choix, que tu es forcée et que tu es traumatisée…». Iel a défendu ses droits auprès de ses intervenant.e.s: «J’étais déjà une fière pute!» Quelques années plus tard, une crise psychosociale l’a mené.e à consulter une travailleuse sociale. Cette dernière lui a indiqué que si iel «retombait» dans le travail du sexe, elle n’aurait pas le choix de faire un signalement, ce à quoi iel a répondu: «C’est des paroles comme ça qui fait que les gens sont pas capables de te dire ce qu’ils ont  besoin de toi. Je ne te fais pas confiance et si j’étais dans le milieu, je ne te le dirais jamais». 

Chantal a également vécu ce genre de rapport avec un travailleur social. «J’étais en crise parce que mon loyer me coûtait 1000$ et mon chèque d’aide sociale était de 300$», confie-t-elle. Toutefois, la relation avec son travailleur social était tout sauf soutenante. «C’était un pervers: il me regardait tout le temps les seins. Quand je lui ai nommé que je faisais des massages à côté pour du extra money, il a fait un signalement!» Elle pose l’hypothèse qu’il espérait des services sexuels gratuits pour acheter son silence. «Peut-être qu’en regardant mes seins, c’était son message!»

Broderie par Melina May

La rareté des grands logements place aussi les TDS dans une position vulnérable. Pour Rebecca, l’accès à un logement de taille adéquate a été une difficulté majeure que le travail du sexe lui a permis de surmonter. «C’est la plus grande dépense qui vient avec le fait d’avoir des enfants!» Une difficulté partagée par Chantal, dont le loyer dépassait grandement le montant de son chèque d’aide sociale. Et lorsque les proprios connaissent l’activité de leur locataire, iels se retrouvent dans un rapport de pouvoir qu’iels exploitent. Celui de Chantal la menaçait de faire un signalement à cause de son travail si elle ne déménageait pas. «Ça a marché. Ce n’était pas une chance que je voulais prendre, alors j’ai déménagé…»

Une lutte pour le temps

À la lumière de ces témoignages, on constate que la précarité économique des femmes et des personnes queer/trans est un facteur central dans la décision de pratiquer le travail du sexe, particulièrement quand on a des enfants à charge. Cet état de fait est très souvent utilisé par les militantes anti-prostitution pour défendre «l’abolition de l’industrie du sexe» – qui ne s’est pourtant jamais matérialisée malgré la criminalisation actuelle.

Au contraire, les politiques qui entourent notre activité accroissent la stigmatisation, ce qui mène à la répression des «mauvaises» mères qui pratiquent le travail du sexe. Un élément qui revient constamment dans les témoignages de Rebecca, Anita et Chantal, c’est que la menace de signalement génère beaucoup de peur, mais très peu de ressources au final. Après que son travailleur social ait signalé Chantal, la DPJ n’a pas retenu le signalement mais, personne dans toute cette histoire ne l’a aidée à trouver un logement respectant sa capacité de payer.

Si pratiquer le travail du sexe n’est jamais un choix dépourvu de contraintes économiques, c’est vrai pour l’ensemble des décisions prises dans un monde capitaliste. Comme l’affirme Juno Mac et Molly Smith, TDS et militantes au Sex Workers Advocacy and Resistance Movement, «les travailleur.euse.s du sexe revendiquent la reconnaissance de leur capacité à lutter contre le travail – même de le haïr – tout en étant considéré.e.s comme des travailleur.euse.s. Nul besoin d’aimer ton travail pour vouloir le garder.»17

Ainsi, en tant que mères et TDS, se positionner comme travailleur.euse.s permet de revendiquer les ressources dont on a besoin pour vivre dans des conditions décentes. Nous en avons ici nommé plusieurs: accès à un grand logement et dans sa capacité de payer, des services de garde gratuits et adaptés aux horaires atypiques, des revenus d’aide sociale décents – et pourquoi pas un salaire!

Enfin, ce qui ressort de cet entretien avec Anita, Chantal et Rebecca, c’est que les mères et parents TDS ont besoin de moins de travail et plus d’argent, comme l’illustre les propos d’Anita: «Comme les autres parents, on est toutes en train de se démener pour survivre et offrir à nos enfants ce dont ils ont besoin. On veut avoir plus de temps de qualité avec nos enfants!»

1. Wages for Housework. (1977). «Housewives & Hookers Come Together», Wages for Housework Campaign Bulletin, vol. 1, no 4, Traduit de l’anglais par Sylvie Dupont dans dans Luttes XXX, Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe, 2011, Éditions du remue-ménage.

2. L’adoption de la Loi sur la protection des collectivités et personnes victimes d’exploitation en 2014 a rendu le travail du sexe illégal pour la première fois au Canada. Cette loi interdit de promouvoir les services sexuels d’une autre personne, de communiquer dans certains lieux publics pour offrir ses services, de profiter matériellement du travail du sexe et de se procurer des services sexuels quelqu’en soit le contexte.

3. L’industrie légère est associée à la production de biens destinées à la consommation, comme les aliments et le textile. L’industrie lourde renvoie par exemple à l’extraction minière, la métallurgie et le transport ferroviaire. Elle nécessite l’emploie d’outils et de capitaux importants.

4. Silvia Federici. (2021). «Origins and Development of Sexual Work in the United States and Britain», Patriarchy of the Wage. Notes on Marx, Gender, and Feminism, p. 109.

5. En tant que personnes allochtones, nous avons choisi de ne pas expliciter le mot en S utilisé par Anderson puisqu’il est empreint d’une connotation péjorative, raciste et sexiste.

6. Kim Anderson. (2000). «Chapter Six. The Construction of a Negative Identity», A Recognition of Being : Reconstructing Native Womanhood, p. 99- 112

7. Traduction libre de «virgin frontier, pure border waiting to be crossed». Idem, p. 101

8. Traduction libre de «these images are like a disease that has spread through both the Native and the non-native mindset» Idem, p. 100

9. Au Québec en 2019, 30% des familles monoparentales vivaient sous le seuil de la pauvreté contre 9% des familles biparentales. 75% des familles monoparentales ont une femme comme cheffe de ménage. Malgré un taux d’emploi plus élevé, ces familles sont plus pauvres que les familles monoparentales ayant un homme comme chef de ménage.
Conseil du statut de la femme. (2019). Quelques constats sur la monoparentalité au Québec. p.17
Secrétariat à la Condition féminine Québec. (s.d.) Les femmes monoparentales. Quelques données statistiques pour l’égalité entre les hommes et les femmes

10. English Collective of Prostitutes. (2019). What’s a Nice Girl Like You Doing in a Job Like This?

11. Référence à la chanson de Stromae, Fils de joie (2022).

12. Frédéric Regard. (2014). Féminisme et prostitution dans l’Angleterre du XIXe: la croisade de Josephine Butler. ENS Édition 

13. Nathalie Stake-Doucet. (2020). La dame raciste à la lanterne. Revue Ouvrage.   

14. Mariarosa Dalla Costa. (1997). «Mass production and the new urban order», Family, Welfare, and the State Between Progressivism and the New Deal, Commons Notion, p.9

15. Idem, p. 99

16. Nicole F. Bromfield. (2015). Sex Slavery and Sex Trafficking of Women in the United States, Sage Journals
Pour en savoir plus sur la traite des blanches et l’historique raciste des lois sur le travail du sexe voir Jesse Dekel. (2022). Un très bref survol de l’historique raciste des lois américaines contre le trafic sexuel, CATS Attaque ! Deuxième édition 

17. Juno Mac, Molly Smith. (2020). Le sexe n’est pas le problème dans le travail du sexe. Revue Ouvrage

Let porn wrap your view Jesse Dekel

Des brumes d’idées

Des brumes d'idées

Céleste

Choisir de travailler dans cette industrie m’a principalement apporté un emploi. Je pouvais finalement travailler moins d’heures et gagner beaucoup plus d’argent. Sur cette scène assez marginalisée, un peu à part du reste de la réalité, quelques pensées me sont venues tout au long de mes expériences. Des fois, c’était des apprentissages dont je me souvenais ou de nouvelles perspectives qui m’éclairaient. Alors voici quelques pensées que j’ai notées au fil des dernières années. 

Jesse Dekel

L’espoir est partiellement une ouverture radicale 

En essayant de continuer à vivre dans ce monde pourrissant, je cherche un sens et de l’espoir un peu partout. Des aperçus de cela me sont offerts dans les détails de la vie et chez mes proches. J’en suis venue à croire qu’un sentiment d’espoir peut émerger d’une ouverture radicale face au monde et aux autres qui nous entourent. Si nous pouvons nous décentrer de ce que nous vivons dans l’instant, cela ne peut qu’amener davantage de connexions entre nous. Laisser aller nos biais, la quête de toute une vie, ne peut uniquement qu’amener du bien à soi et aux autres. Être ouvert à recevoir peu importe ce que l’autre présente, sans jugement, peut atténuer une partie de la solitude que nous ressentons tous. L’espoir n’a pas besoin d’être total pour exister. Il peut être vu dans la mince lumière de la possibilité de continuer ou dans l’enchaînement à la continuité. L’ouverture peut nous montrer que rien n’est fini et que tout peut encore survenir.

Le pire et le meilleur de l’humanité s’entremêlent dans ces espaces. 

Comme partout où nous regardons, nous pouvons trouver de la dualité dans notre monde humain et notre imaginaire. Dans cette industrie, où les clients peuvent réaliser leurs fantasmes et combler leurs besoins de connexion et d’intimité, j’ai rencontré les gens les plus incroyables. Des collègues qui rayonnaient sans effort. Leur passion, leur curiosité, leurs mouvements et leur sensibilité étaient si transperçants que je ne pouvais pas détourner le regard. Elles m’ont inspirée à mieux me connaître. J’ai appris plus à propos de l’empathie et de l’accueil de l’autre dans ce domaine que nul part ailleurs. Il y a aussi les pires types de gens dans ces espaces; des abuseurs qui n’ont aucun souci pour les autres. Des gens tellement déconnectés, qu’ils ne font aucun sens à mes yeux. Leurs préoccupations frivoles pour l’argent, les apparences, les normes sociales et leur égo les séparent des autres et façonnent leurs relations interpersonnelles. Les hommes vont faire confiance à d’autres hommes pour l’unique raison qu’ils ont déjà eu des transactions financières réussies entre eux. Ils protègent les leurs. Leurs émotions noires sont tellement nourries par eux-mêmes qu’elles les consument. C’est plus facile de rester aligné avec ces sentiments que d’accepter un tout autre individu avec ses propres vues. Ce fut toujours fascinant et insupportable d’être témoin et de faire partie d’un petit monde régi par l’argent, les addictions et l’hétéronormativité dans lequel l’intimité et les connexions profondes pouvaient s’épanouir quand même.

X-Rated collage Adore Goldman
Collage: Adore Goldman

Protégez votre coeur. 

En apprenant à être là pour soi-même, il faut chercher des moyens de protéger son coeur. N’importe quoi peut prendre la forme d’un soulagement si vous le souhaitez. Peut-être que la première façon que vous avez trouvé pour épargner votre coeur a été la dissociation. Quitter cette réalité pour accéder à un genre de paix au loin. Être ailleurs peut être vital, cela peut vous aider à survivre. Je me suis perdue dans ma cachette et je sens que ce qui peut aider, c’est de revenir à soi-même. Soyez le plus proche de vous que vous pouvez. Connaissez ce qui vous apaise, ce qui vous aide à aller de l’avant.

Avec amour, 

Céleste

Du Red Light au Quartier des spectacles 

Du Red Light au Quartier des spectacles

Industries culturelles et créatives, travail du sexe et gentrification

Entrevue par Maxime Durocher et Adore Goldman

AM Trépanier est un.e artiste-chercheur.euse, éditeur.trice et travailleur.euse culturel.le. À travers sa pratique, iel explore la particularité de différents médias, technologies et actions à (re)médier les discours qui traversent une situation donnée. Ses activités artistiques se traduisent sous la forme de publications, de vidéos, de discussions, de sites Web et d’expositions. Dans son travail, iel porte une attention particulière aux tactiques performées par des communautés marginalisées et des publics alternatifs afin de produire des espaces autres, de se donner accès à l’information et de s’approprier différents outils techniques.

AM a collaboré avec le Comité autonome du travail du sexe (CATS) dans le cadre du projet Dans le souffle de c., qui porte sur les processus de gentrification urbaine qui ont mené à la requalification d’un site dédié au travail du sexe en un imposant pôle de diffusion artistique et culturelle: le 2-22. Nous lui avons demandé de nous parler un peu plus de son processus et des découvertes qu’iel a faites au cours de ses recherches.

Adore Goldman (AG) et Maxime Durocher (MD): Comment en es-tu venu.e à t’intéresser à l’histoire du 2-22 ?

AM Trépanier (AM): À l’automne 2021, j’ai été invité.e à participer à une exposition collective qui réfléchit à la notion de valeur d’un point de vue critique, au-delà de sa définition par l’économie de marché. Les commissaires souhaitaient créer un espace qui puisse présenter différentes positions adoptées par des artistes vis-à-vis de l’institution de l’économie.

En amorce du projet, j’ai fait une recherche générique sur l’histoire du lieu où se situe l’exposition: les locaux de VOX, un centre de recherche et de diffusion de l’image contemporaine, ont élu domicile dans un complexe culturel appelé le 2-22 situé à l’angle de Saint-Laurent et Sainte-Catherine. En creusant l’histoire du 2-22, qui a été réalisé par la Société de développement Angus (SDA) et inauguré en 2012, je suis tombé.e sur une image du bâtiment qui l’avait précédé à cet endroit-là, simplement en me promenant sur Google Street View et en observant l’évolution de ce coin de rue au fil du temps.

J’ai été happé.e par le contraste. Avant qu’elle ne disparaisse, la bâtisse qui faisait le coin abritait encore jusqu’en 2008 différentes petites entreprises et comptait parmi celles-ci le Studio XXX, un cabaret érotique qui proposait différents services comme un peep-show, des cabines privées de visionnement de films XXX et des danses contact. Bref, cet édifice était largement dédié à l’industrie du sexe.

Ce qui m’est immédiatement et tout naturellement venu en tête, c’était un désir de savoir ce qui avait causé une telle transformation de cette intersection. Quelles forces étaient entrées en jeu pour en venir à changer le quartier ainsi, et qui étaient les protagonistes majeur.e.s de cette transformation? Quelles positions ces protagonistes – les institutions artistiques, les médias, la municipalité, la société de développement immobilier, les groupes communautaires, l’État – ont-iels occupé.e.s dans l’histoire de cette «revitalisation» du quartier? À qui ce changement profite-t-il?

Eugene Harberer, «Montreal.Forgaty & Bros. Wholesale and Retail Shoe Factory and Shop, Corner St. Catherine and St. Lawrence main Streets, 1875», Pièce 1979, Canadian Illustrated News 1869-1883, https://tinyurl.com/usineforgaty

AG-MD : Quand tu as fait tes recherches, qu’as-tu découvert concernant le processus de consultation par rapport à la transformation du secteur? Est-ce qu’il y avait des protagonistes qui étaient pour ou contre la démolition et le nouveau projet? Comment ça s’est passé?

AM : Tout ce que j’ai trouvé dans les archives de la Ville de Montréal sur la démolition de l’ancien bâtiment, c’est une résolution adoptée en 2006 au conseil municipal pour exproprier (avec dédommagement) les locataires du bâtiment dont le Studio XXX faisait partie. Il n’y aurait eu aucune consultation publique pour la démolition.

Cela dit, comme le projet initial du 2-22 proposait la construction d’un immeuble dépassant la hauteur limite permise par le Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal, il devait y avoir une consultation publique afin d’obtenir l’autorisation avant de pouvoir procéder. C’est à ce moment-là que les différents intérêts de la population et organismes impliqués ont pu être cernés. Les différent.e.s intervenant.e.s étaient très divisé.e.s.

De manière générale, les organismes culturels et artistiques, surtout ceux qui étaient impliqués dans le projet et qui allaient avoir accès à la propriété grâce au projet 2-22, étaient absolument en soutien avec sa réalisation. Ça leur assurait une sécurité, un accès à un espace de travail et de diffusion qui serait autrement pratiquement impossible à trouver. C’est un enjeu réel du milieu de la culture et des arts, je ne le nie pas. L’accès aux espaces est très difficile pour les artistes et les diffuseurs, qui ne sont pas épargné.e.s par les hausses de loyer liées à la gentrification. Alors, une vitrine permanente en plein milieu du Quartier des spectacles, c’était extrêmement prometteur pour des organismes comme VOX.

À l’inverse, les organismes patrimoniaux et communautaires ne voyaient pas le projet d’un aussi bon œil. Les organismes patrimoniaux craignaient que les projets de la SDA s’intègrent mal au patrimoine historique du quartier, surtout pour le projet sœur du 2-22, le Quadrilatère Saint-Laurent [aujourd’hui appelé le Carré Saint-Laurent]. Ce deuxième volet a notamment failli faire disparaître le Café Cléopâtre, mais celui-ci s’est opposé et a refusé d’être exproprié. Le dossier s’est d’ailleurs rendu jusque devant les tribunaux.1

Plusieurs organismes communautaires se sont opposés au projet ou ont émis des réticences – parce qu’il y a une nuance importante à souligner : les organismes reconnaissaient qu’il y avait une certaine valeur dans ce projet, bien qu’ils y voyaient aussi des dangers principalement concernant les résident.e.s du quartier. Des organismes comme Stella2 ont rédigé un mémoire pour manifester leurs inquiétudes.3 

À la base, ce qu’elles proposaient, c’est surtout d’être partie prenante dans le projet, de faire partie du projet de développement du 2-22 comme un.e acteur.trice local.e, d’avoir un mot à dire, de participer à la réalisation du projet, d’être consultée. Elles ont tendu la main au développeur du projet, mais ça n’a pas été accueilli positivement.

Pourtant, Stella a résidé pendant huit ans sur la Main, et connaissait donc très bien le quartier. De plus, elles font partie d’un bon nombre de personnes et d’organismes qui ont dû être relocalisés à cause du mauvais état des lieux. Elles aussi reconnaissaient que c’était un quartier qui avait besoin de soin, d’amour, de fonds et de développement, mais pas nécessairement de la manière proposée par la SDA, l’entreprise qui a réalisé le projet du 2-22.

Une autre chose que j’ai apprise en lisant le mémoire de Stella, c’est qu’à l’époque où elles étaient sur le boulevard Saint-Laurent, elles avaient une vitrine et y organisaient des expositions, principalement sur le travail du sexe et l’histoire du Red Light.

Cela souligne bien un enjeu important lorsqu’on parle de politiques culturelles: qu’est-ce qui est défini comme faisant partie du secteur culturel et à quels types de pratiques donne-t-on de la visibilité? Par exemple, ce qui est issu du travail du sexe, comme ce que présentait Stella dans sa vitrine, n’aurait pas pu se retrouver aussi facilement dans les murs du 2-22 puisque les «gardien.ne.s de la culture» jugeaient l’activité immorale. C’est ce dont témoignent les règlements de l’immeuble. On ne leur donne pas de place dans les lieux d’exposition, les lieux de diffusion culturelle parce que ces formes d’expressions sont taboues pour certain.e.s. En choisissant de ne pas offenser, on les place en marge. C’est curieux puisqu’historiquement, le travail du sexe et les arts ont entretenu une grande proximité. 

Ce que je trouvais aussi vraiment dommage dans toute cette façon de faire, c’est qu’en déplaçant les communautés qui y vivent, on vient complètement briser le lien entre ces communautés et leur lieu d’activité, on brise leur historique en les repoussant complètement à l’extérieur des centres, loin de leur passé. On empêche ainsi la transmission continue des histoires liées aux lieux de ces communautés de pratique. Notre discussion avec le CATS l’a bien mis en évidence. C’est vraiment difficile de pouvoir cultiver la mémoire du milieu, de la culture d’un groupe, quand les liens sont ainsi brisés à plusieurs niveaux par la gentrification.

Une autre chose intéressante avec le mémoire rédigé par Stella, c’est qu’elles y faisaient une liste des effets néfastes qui avaient déjà été observés dans le secteur depuis sa requalification, avant même que le projet du 2-22 soit présenté au public. Durant une période où la gentrification était en train de s’amorcer, où le Quartier des spectacles commençait à s’ériger, elles ont fait une analyse de terrain qui démontre non seulement qu’il y avait déjà des déplacements des travailleur.euse.s du sexe (TDS) vers d’autres secteurs, mais qu’à l’époque, il y avait de plus en plus de contrôles policiers, de présence policière en tout temps dans le secteur et un nombre croissant de contraventions données aux «indésirables». Cela créait, comme avec la destruction du Studio XXX, des pertes d’emploi, des pertes de réseaux entre TDS et un effacement de leur mémoire collective dans le quartier. Avant que le 2-22 apparaisse, c’était déjà un enjeu bien présent.

Wikipedia. (s.d.). Terrain vacant du 2-22 en 2008, récupéré de https://tinyurl.com/terrainvacant

AG : Est-ce que dans le nouveau projet, tu as pu trouver des justifications pour la nécessité de revitaliser le milieu?

AM : Sur son site Web, la SDA utilise plusieurs  slogans et images pour présenter ses projets, et un terme qui revient souvent, c’est  «revitaliser», dans ce cas-ci «revitaliser par la culture».4 Cela met vraiment des mots sur le phénomène que j’ai étudié pendant la réalisation de ce projet. Ce qu’on y dit, c’est que le quartier était «mort» et qu’on avait besoin de le faire revivre en remplaçant la culture locale par une autre, plus contrôlée et rentable. 

MD : À leurs yeux c’était mort, pourtant ce ne l’était pas. Il y avait des activités, mais qu’iels ne reconnaissaient pas.

AM : Oui, exactement. Souvent des activités invisibilisées ou illicites, mais ça ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas. D’ailleurs, dans une entrevue, Gérald Tremblay, le maire de la Ville de Montréal en poste lors de la construction du 2-22, disait qu’il en avait vraiment marre de voir des bâtiments placardés. On sent un désir de rentabiliser l’espace à tout prix, mais pas de donner un accès au logement, à des cliniques de santé ou à des choses qui pourraient vraiment servir la population. On ne peut pas faire que des lieux d’art, des bureaux, des espaces de divertissement ou de consommation, on doit diversifier les activités d’un secteur pour vraiment permettre aux gens d’y habiter, d’y vivre convenablement.

Collage de Adore Goldman

AG-MD : Dans ton processus, tu as réalisé une entrevue avec des TDS, dont des militantes du CATS. Qu’est-ce qui en ressort sur les relations entre la gentrification et le travail du sexe ?

AM : Je pense que c’est le collectif lui-même qui a le mieux répondu à cette question-là. Je vais donc vous partager les points saillants.

Ce qui m’a le plus marqué dans la discussion, c’est que la gentrification comme phénomène n’est pas juste une question d’espace. Ça commence par le déplacement de communautés, oui, mais les effets vont au-delà de ça. Notamment pour les TDS, il y a l’impact psychologique et relationnel, car ce déplacement affecte leur capacité à se soutenir mutuellement.

Ce qui est très impressionnant, c’est que malgré cela, les TDS trouvent des manières de recréer leurs liens, de développer de nouvelles méthodes pour se soutenir, d’être présent.e.s les un.e.s pour les autres, et ainsi, se donner les ressources dont iels ont besoin pour travailler. Je pense que c’est vraiment ça que le CATS incarne.

Quelque chose d’autre qui a aussi été beaucoup nommé pendant l’échange, c’est que plus on détruit les espaces de travail qui sont dédiés au travail du sexe, plus les TDS se retrouvent isolé.e.s, à travailler chacun.e de leur côté. Ça rend les efforts de solidarité et de lutte commune plus difficiles, mais ce n’est pas suffisant pour les arrêter complètement; il y a toujours des efforts qui persistent!

Ces déplacements mettent aussi en valeur toute l’importance des espaces communs, des espaces qui sont liés aux activités professionnelles communes. On s’aperçoit ainsi que c’est dans ces espaces où il y a des échanges, des moments de partage, que c’est là que la sororité se développe et transforme ces lieux en espaces sanctuaires.

Tant que le travail du sexe demeurera une activité criminalisée, il y aura une limite à la protection que pourront trouver les TDS dans leurs espaces de travail, un enjeu crucial. Iels assurent leur sécurité par leurs propres moyens, dénotant une résilience phénoménale malgré la transformation urbaine qui progresse constamment et met un frein à leur recherche de sécurité.

Ce qui a été aussi constaté pendant l’échange, c’est que dans le Quartier des spectacles, on observe un processus vicieux et ironique qui délocalise des communautés professionnelles pour ensuite se servir de leur langage, de leurs symboles, de leurs outils de représentation pour promouvoir le nouveau quartier assaini et lui donner plus de valeur. Par exemple, la façade vitrée du bâtiment 2-22 est, semble-t-il, une référence aux effeuilleuses qui se dénudaient dans les vitrines du Red Light. On vient tirer énormément de profit des symboles de ces communautés, tout en leur refusant de pratiquer leurs activités professionnelles, d’en tirer profit en maintenant leur criminalisation ou en les interdisant tout simplement comme on a pu voir avec le 2-22.

De plus, en gentrifiant et en déplaçant les communautés, en fermant leurs espaces de travail, on vient aussi limiter l’accès que celles-ci ont aux services dont elles ont besoin. Par exemple, Stella a dû se relocaliser avec la gentrification, ce qui a eu un impact négatif sur la capacité des TDS à avoir accès à ces services de première ligne, des services essentiels, qu’offre Stella.

Je terminerais en disant que de manière générale, la gentrification invisibilise toutes ces pratiques marginalisées en les poussant de plus en plus des centres vers des coins plus isolés, loin du regard du reste de la société. Cela met ces personnes-là en danger, car plus elles sont invisibilisées, plus elles sont à risque d’abus et de violences. C’est un effet extrêmement pervers de la gentrification. C’est une violence sanctionnée par les autorités.

AG-MD : Es-tu le.a seul.e artiste qui s’est intéressé.e au bâtiment qui a précédé le 2-22

AM : J’ai trouvé d’autres artistes qui s’y sont intéressé.e.s et qui ont voulu documenter l’existence de ce peep-show, avant qu’il ne soit détruit.

Il y a Mia Donovan, une photographe et documentariste qui a consacré le début de sa carrière à documenter le milieu du travail du sexe. Durant cette période, elle a réalisé une série de photographies avec des TDS dans l’ancien Studio XXX.5 C’est à ma connaissance parmi les rares images que l’on a de l’intérieur du lieu avant sa destruction.

Il y a aussi Angela Grauerholz, une autre artiste visuelle, qui a tourné une vidéo de l’intersection en 2005. À l’époque, on pouvait y voir une rétroprojection de deux danseuses dans la fenêtre du Studio XXX qui faisait le coin de Saint-Laurent et Sainte-Catherine.

Ces artistes ont préservé l’existence de ces TDS-là en les mettant à l’avant-plan de leur lieu de travail. Elles se sont vraiment intéressées à la physicalité, la présence incarnée des corps des TDS dans ces espaces-là, et non juste au bâtiment lui-même. Ça m’a beaucoup marqué. C’est mon souhait aussi de justement essayer de creuser ces connexions, qui sont multiples, entre les arts et le travail du sexe. Nombreux.ses sont les TDS qui font de l’art et les artistes qui font du travail du sexe. Je pense qu’on a beaucoup à apprendre et à partager.

Dans le souffle de c. a été présenté dans le cadre de l’exposition L’imaginaire radical II : désœuvrer la valeur / Reclaiming Value du 9 septembre au 3 décembre 2022 à VOX, centre de l’image contemporaine

Vous trouverez d’autres ressources documentaires ayant servi à nourrir le projet sur son complément Web : https://tinyurl.com/danslesoufledec 

1. Pour en savoir plus sur la lutte du Café Cléopâtre: Wikipedia. (s.d). Café Cléopâtre, récupéré de https://tinyurl.com/cafecleopatre

2. Stella est un organisme communautaire qui a pour but d’améliorer la qualité de vie des travailleuses du sexe et de sensibiliser et d’éduquer l’ensemble de la société aux différentes formes et réalités du travail du sexe afin que les travailleur.se.s du sexe aient les mêmes droits à la santé et à la sécurité que le reste de la population. Pour en savoir plus voir: https://chezstella.org/

3. Pour lire le mémoire rédigé par Stella: Stella. (2009). Mémoire sur la requalification du Quartier des spectacles, récupéré de https://tinyurl.com/quartierdesspectacles

4. Société de développement Angus. (s.d.). Le 2-22, récupéré de https://tinyurl.com/le2-22saintlaurent

5. Cette série de photographies a été présentée au Monument National en 2008 dans le cadre de l’exposition Le Coin produite par UMA, la Maison de l’image et de la photographie. Les trois artistes sélectionné.e.s étaient invité.e.s à documenter l’intersection des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine, à l’aube de sa transformation. Pour en connaître davantage sur cette exposition: UMA, la Maison de l’image et de la photographie. (2008). Le Coin, récupéré de http://www.umamontreal.com/lecoin/

Poèmes – Par Percevale

Poèmes

Percevale

I.
la prostitution c’est pas
un contrat
c’est pas un mari
j’ai pas d’bague au doigt

je le fais comme ca
de bonne chatte
de bonne foi

avant d’ramasser mon cash
pis d’leur dire
‘’bon ciao’’

donnez moi des sous
pour qu’j’achète à mon tour
quelque chose pour charmer
tous les hommes à mon goût

j’suis preneuse de cadeaux
même les impersonnels
tout l’monde adore le vin
et moi j’en fait des poèmes

je n’aime pas les bijoux
mais quand j’en reçois
par vous
je me trouve élégante
et ca m’excite étrangement

je tombe amoureuse
3 fois chaque jour
durant moins d’trente minutes
et j’connais rien à l’amour

Peinture par Percevale

II.
ils rient à mes blagues de
bon coeur
mi nostalgie mi bonheur
mes vieux sans coeur
charitables
qui l’diront jamais à leur femme
moi j’ai pris le choix
d’en profiter
j’y trouve de quoi d’poétique
j’trouve même ça
bien comique
moé j’ai décidé
que j’peux prendre c’que
ça engendre
c’est comme un
travail d’actrice
de psy, d’pénis pas trop steadé
sé rentrées
d’fric
c’comme un travail qui t’scie
en deux à grands
coups d’bat
qui t’apporte du pain sa table
pis qu’tu peux faire partout
sa map
quand t’es prostituable

III.
j’viens d’enlever tous
mes vêtements
reste juste mes
boucles d’oreilles
mais j’en portais rien qu’une
aujourd’hui
je dors au salon d’putes ce soir
demain c’est l’heure
j’espère e rien sentir
(j’ai juste envie de toi)
je pique une sniffe sur
mon bras
ca sent ta sueur un peu
on n’est pas trop forts sur les
douches quand on est
ensemble hen
moi ici j’me lave après
chaque client,
les chambres empestent
le condom
le parfum cheap pis la souillure
je repense à toi tantôt
qui m’a dit ‘’je t’aime’’ pour la
première fois

maudit que la vie c’est beau.

IV.
les filles chialent qui’a
pas d’client
ca s’maquille en attendant
elles me disent de peigner
mes ch’veux
que le self-care c’est important

j’veux juste être fière comme
un bateau
qui’a pas d’humain
d’embarqué d’dans
tout c’qui m’importe c’est
d’pas couler
j’me criss du sens que
va l’courant

V.
les motels seront
des royaumes
comme le vieux banc arrière du
char
les lits seront des temples
et les cigarettes des remèdes
dans nos gueules puantes de
vivant
qui s’embrassent sans arrêt
qui mangent la bouche ouverte
et qui rient tout le temps